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« La haine anti-Tziganes revient toujours par secousses dans l’histoire de l’Europe »

Pour Ilsen About, historien spécialiste des Tziganes en Europe, les récentes attaques contre les Roms en France font écho à des mythes racistes anciens.

Propos recueillis par 

Publié le 27 mars 2019 à 18h21, modifié le 28 mars 2019 à 20h00

Temps de Lecture 3 min.

Depuis la mi-mars, les communautĂ©s roms de la rĂ©gion parisienne sont la cible d’une sĂ©rie d’agressions violentes, souvent filmĂ©es et diffusĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux par leurs auteurs. A l’origine de ces attaques se trouvent des rumeurs, qualifiĂ©es par la prĂ©fecture de police de Paris de « totalement infondĂ©es Â», qui attribuent Ă  des personnes roms des enlèvements d’enfants Ă  des fins de trafic d’organes ou de prostitution.

Ilsen About, chargĂ© de recherche au CNRS, spĂ©cialiste de l’histoire des Tziganes et ancien commissaire de l’exposition Mondes Tziganes – qui s’est tenue en 2018 au MusĂ©e national de l’histoire de l’immigration, Ă  Paris –, rappelle que ces rumeurs ont des racines profondes, ancrĂ©es dans l’histoire de l’Europe, et qu’elles sont rĂ©vĂ©latrices de l’exclusion dans laquelle ses sociĂ©tĂ©s maintiennent les communautĂ©s Tziganes vivant en leur sein.

Les dernières rumeurs sont-elles, comme certains acteurs associatifs l’ont dĂ©noncĂ©, la rĂ©surgence d’un mythe ancien, celui du « Tzigane voleur d’enfant Â» ?

En Europe, les Tziganes ont toujours Ă©tĂ© accusĂ©s de toutes sortes de crimes imaginaires, dont le vol d’enfant n’est qu’un exemple. La diffusion de ces mythes connaĂ®t un moment charnière entre la fin du XIXe siècle et le dĂ©but du XXsiècle du fait de l’essor de la presse, qui joue un rĂ´le analogue Ă  celui des rĂ©seaux sociaux aujourd’hui en diffusant des rumeurs infondĂ©es, ciblant les Tziganes.

Des journaux se spécialisant dans les faits divers et tirant à des centaines de milliers d’exemplaires apparaissent et répercutent ces représentations négatives à des échelles jamais vues. Plusieurs titres de cette nature comme Faits divers, Détective ou encore, dans l’entre-deux-guerres, Police magazine, alimentent cette haine anti-Tziganes dont les effets sont décuplés par l’utilisation de l’iconographie, de la photographie et du dessin de presse.

Il y a aussi toute une production littĂ©raire Ă  la fin du XIXe siècle qui est liĂ©e Ă  ces questions et qui a figĂ© dans l’imaginaire des histoires d’enfants volĂ©s sur la route par des roulottiers, un thème qui fait Ă©cho Ă  la lĂ©gende urbaine actuelle des camionnettes blanches. Mais les accusations qui circulent dans la presse dĂ©passent de loin, Ă  cette Ă©poque, le thème du vol d’enfant. On parle de cannibalisme, de magie noire… des peurs archaĂŻques qui ressurgissent au cĹ“ur de la modernitĂ© triomphante.

Reportage dans la revue « Détective » en 1936.

Ces rumeurs conduisaient-elles dĂ©jĂ  Ă  des actes de violences ?

A cette pĂ©riode, il y a de nombreux cas d’émeutes dans les campagnes, de razzias anti-Tziganes. On peut notamment citer les violences de Toulouse en septembre 1895, qui visent la population gitane et provoquent la mort de plusieurs personnes. Les agressions contre les Tziganes sont alors rarement rĂ©primĂ©es et laissent donc peu de traces dans les archives judiciaires.

La diffusion de la haine contre les nomades alimente, en fait, des politiques de répression menées au même moment par les Etats européens. On veut contrôler, identifier, persécuter et forcer à la sédentarité ces populations que les idéologues nationalistes considèrent comme allogènes et inassimilables. Cela conduit au génocide des Tziganes perpétré par l’Allemagne nazie et ses alliés pendant la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’une rupture définitive avec le monde de l’Ancien Régime où les communautés Tziganes étaient parfaitement intégrées économiquement et culturellement, dans toutes les régions d’Europe.

Qu’est-ce que la persistance de ce mythe et de ce rejet nous dit du rapport de nos sociĂ©tĂ©s aux communautĂ©s Tziganes ?

En France, au catalogue des haines ordinaires, le racisme contre les Roms est le plus répandu, le plus insidieux. Les derniers rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ne cessent de le confirmer. On voit que la haine anti-Tziganes revient toujours par secousses dans l’histoire de l’Europe. Les dernières attaques montrent bien que, même si les contextes sont toujours différents et doivent être étudiés pour ce qu’ils sont, on continue à construire l’objet imaginaire d’un Tzigane éternel, à refuser d’admettre cette présence familière des mondes roms en notre sein. Il faut continuer à s’opposer à ces représentations.

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