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Politique

Xavier Bertrand au JDD : "Reculer l'âge de la retraite est la seule voie"

INTERVIEW - Xavier Bertrand accuse Emmanuel Macron dans le JDD de préparer, avec le système de retraites par points, une baisse généralisée des pensions. Le président de la région Hauts-de-France propose son contre-projet de réforme avec une retraite à 65 ans et un minimum vieillesse à 1.000 euros.

Christine OllivierDavid Revault d’Allonnes, Emmanuelle Souffi , Mis à jour le
Spécialiste des retraites qui a mené la réforme des régimes spéciaux en 2008, Xavier Bertrand présente ses propositions pour remettre à plat le système.
Spécialiste des retraites qui a mené la réforme des régimes spéciaux en 2008, Xavier Bertrand présente ses propositions pour remettre à plat le système. © Eric Dessons/JDD

Une semaine après les confidences au JDD de Jean-Paul Delevoye , le M. retraites d'Emmanuel Macron, sur le projet de réforme en cours, Xavier Bertrand présente dans nos colonnes ses contre-propositions. Pour l'ancien ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, une évidence s'impose : "Reculer l'âge de départ [à la retraite] est la seule voie. Dire autre chose, c'est mentir aux Français." Et pour l'actuel président de la région Hauts-de-France, il faut fixer cet âge de départ à 65 ans. Selon lui, cela représenterait "15 à 18 milliards d'euros en plus".

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Pour Xavier Bertrand, le "verrou" est à l'Elysée

Que pensez-vous des hésitations du gouvernement sur l'âge de la retraite ?
C'est le cafouillage! Au gouvernement, on sait bien qu'il faudra travailler plus longtemps, mais il y a un verrou à l'Élysée pour ne pas accepter cette évidence. Ne pas reculer l'âge de départ à la retraite, c'est mentir aux Français. Ils sont réticents, c'est vrai, mais à chaque fois que je demande en réunion publique s'ils préfèrent travailler un peu plus longtemps ou toucher un peu moins, les deux tiers répondent : "Travailler plus!" Je sais qu'une telle réforme demande des efforts, mais elle garantit la survie du système auquel nous sommes attachés et met un terme définitif aux injustices. Je suis engagé sur le dossier des retraites depuis 2002. La retraite, c'est le bon exemple d'une nouvelle manière de réformer.

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Indexer les pensions sur les salaires, c'est ratiboiser le pouvoir d'achat des retraités

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Les réformes passent toujours mal!
Parce qu'il faut arrêter de les présenter comme visant uniquement à réduire les déficits. Avec du courage, de la pédagogie, on peut montrer aux Français une nouvelle façon de réformer le pays, avec justice. Pensons aux jeunes! C'est terrible de les entendre dire qu'ils n'auront droit à rien ! Il faut aussi respecter les retraités. Augmenter la CSG, désindexer des pensions, ce n'est pas un coup de canif dans le contrat mais un coup de poignard. C'est aussi créer des fractures entre les générations, entre les Français. Pour qu'aucun gouvernement n'ait la tentation de faire les poches des retraités, la garantie de leur niveau de vie - (donc l'indexation) - devra être inscrite dans la Constitution. Ainsi, personne ne pourra plus toucher à ce que j'estime être un droit fondamental. De même devra être écrite l'interdiction de recourir à la dette pour financer la protection sociale.

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Les pensions doivent-elles être indexées sur l'inflation ou sur les salaires ?
Indexer les pensions sur les salaires et non plus sur l'inflation, c'est ratiboiser le pouvoir d'achat des retraités dans les prochaines années. Les salaires n'augmenteront pas de façon si importante parce que l'extrasalarial va se développer. On touchera de plus en plus des sommes hors rémunération - intéressement, participation… Que se passera-t-il alors pour les retraités si l'inflation augmente de 2% et les salaires de 1%? Les baby-boomeurs ne sont pas des profiteurs. Les retraités jouent un rôle plus important qu'avant dans la solidarité nationale : ils aident financièrement leurs enfants et petits-enfants.

Faudra-t-il travailler plus longtemps?
Oui, parce que nous vivons plus longtemps. Il n'y a pas d'autre solution. Je propose que, dès janvier 2020, on augmente progressivement l'âge de départ à la retraite de deux ou trois mois par an pour aboutir à 64 ans à l'horizon 2028-2030. En fonction de la progression de l'espérance de vie en bonne santé, on peut imaginer ensuite aller jusqu'à 65 ans à l'horizon 2034. Travailler un an de plus amènerait près de 6 milliards d'euros aux régimes de retraite! Avec la retraite à 65 ans à terme, ce serait 15 à 18 milliards d'euros en plus. Ces gains ne doivent pas être affectés uniquement à la réduction des déficits. Si les Français font des efforts, ils doivent en voir la couleur. Il faut montrer qu'une réforme, ce n'est pas seulement comptable, cela peut aussi être bon pour les Français.

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Il ne s'agit pas de demander aux Français de travailler pour travailler

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Par quels moyens?
On ne peut pas accepter qu'un ancien agriculteur ou ouvrier perçoive en moyenne 750 euros par mois. On ne peut pas avoir des gens, qui ont travaillé toute leur vie, à moins de 1.000 euros par mois. Je propose donc que, à terme, aucune pension ne puisse être inférieure à 1.000 euros. Le minimum vieillesse aujourd'hui s'élève à 868,20 euros ; il faut le relever! Et que quelqu'un qui a fait toute sa carrière au smic ne touche pas moins en retraite. Arrêtons de dire qu'il y a trop de social en France, reconnaissons que le social n'est pas bien réparti : les retraites en sont un bon exemple. Avec les milliards d'euros générés, on pourrait financer la fin de ces injustices! Dans le cadre d'une réforme d'ensemble des retraites, il faudra aussi avancer la date de paiement des pensions : qu'elles soient versées en tout début de mois, avant que ne tombent les charges.

L'emploi des seniors et la question des femmes en balance

Comment intégrez-vous la pénibilité?
Bien sûr, vous ne pouvez pas demander à un ouvrier de chantier ou un travailleur de nuit de travailler jusqu'à 65 ans! Les conditions de pénibilité doivent être redéfinies par métiers et par branches professionnelles. Emmanuel Macron avait revu les critères de pénibilité au travail, mais le compte pénibilité reste trop compliqué, une usine à gaz… Pour celui qui a commencé à travailler jeune, qui a une santé dégradée à cause de son métier, quelle est la solution? Soit il part plus tôt, soit il s'arrête progressivement en passant à temps partiel, soit on lui permet, par exemple, de devenir formateur sur son métier, pour transmettre son savoir.

Comment travailler jusqu'à 65 ans quand un salarié sur deux liquidant sa retraite est déjà en inactivité?
L'emploi des seniors a progressé en France, mais on doit faire mieux. Il ne s'agit pas de demander aux Français de travailler pour travailler, mais bien de leur montrer qu'ils sont utiles et que, passé un certain âge, leur travail vaut toujours quelque chose. Qu'ils ne pensent plus qu'on va les débarquer. Il faut donc continuer à former les plus de 50 ans, avec, s'il le faut, des pénalités pour les entreprises qui ne le font pas. Toute réforme des retraites pose la question de l'emploi des seniors , et celle des femmes.

C'est-à-dire?
Tant que les salaires et les carrières des femmes ne seront pas les mêmes que ceux des hommes, il faudra une majoration de leur pension de retraite pour qu'elles ne soient pas les éternelles perdantes. Un système par points qui ne prévoit ni des mesures prenant en compte la pénibilité ni une disposition pour les femmes est une machine à baisser les pensions!

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Le système par points est une vaste opération ­hypocrite de baisse généralisée des retraites

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Pourquoi?
Sans mesure de relèvement de l'âge, le système par points est un piège, une vaste opération ­hypocrite de baisse généralisée des retraites. Si le gouvernement va au bout de sa logique, dans dix ou vingt ans, les pensions baisseront de 5 à 20%. En douce. Aujourd'hui, les retraites sont calculées sur les 25 meilleures années. Si on prend en compte toute la carrière, les pensions baissent ­mécaniquement. Je ne l'accepterai pas. Il faut donc des garanties. Et il faut changer le rôle du Conseil d'orientation des retraites, qui serait garant de la valeur du point et de l'évolution du système. Pourquoi le COR? Parce que les parlementaires comme les partenaires sociaux y siègent déjà.

Le gouvernement avance donc masqué, selon vous?
Évidemment! Il est temps de sortir de l'ambiguïté. Reculer l'âge de départ est la seule voie. Dire autre chose, c'est mentir aux Français. Il n'y a qu'ainsi qu'on dégagera des marges de manœuvre financières et sociales. On pourra neutraliser la décote, qui fait que si vous n'avez pas toutes vos années de cotisations, vous partez à 67 ans. Certains craignent qu'avec le recul de l'âge de départ la retraite à taux plein passe à 69 ou 70 ans. Il faudra atténuer les effets de la décote pour que ceux qui ont commencé à travailler tard ne soient pas obligés de travailler jusqu'à 70 ans. Et une autre ligne rouge : interdiction formelle de baisser les pensions de réversion!

Lire aussi - Retraites : comment va fonctionner le système des points

Selon Jean-Paul Delevoye, le système par points permet de mieux prendre en compte des carrières de plus en plus hachées, avec de plus en plus de contrats courts…
Allons au bout, alors! Je suis pour le contrat unique du Prix Nobel d'économie Jean Tirole. Si l'intérim restera nécessaire, il y a aussi des millions de Français qui sont considérés- par les banques, par exemple - comme des salariés de seconde zone parce qu'ils n'ont pas de CDI : ils ne peuvent pas acheter une voiture, un appartement, ni louer sans garant, et on continue à détourner la tête! Les retraites sont une des conséquences. Attaquons-nous aux causes de la précarité et demandons-nous comment éviter que quelqu'un ne fasse sa carrière qu'en contrats courts et précaires!

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Ayons un vrai débat sur les propositions des partenaires sociaux

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Quid des régimes spéciaux?
Le gouvernement est parti pour un vaste recul sur les régimes spéciaux. Si vous alignez les régimes, il faudra intégrer les primes des fonctionnaires dans le calcul de leur pension, comme c'est le cas dans le privé. Cela suppose de ­prévoir des mesures ­correctives, sinon le fonctionnaire de catégorie A, qui travaille à Bercy par exemple, bénéficiera davantage du nouveau système que l'enseignant ou l'agent de la fonction publique territoriale.

Intégrer les primes des fonctionnaires , cela va coûter cher…
L'alignement des régimes du ­public et du privé ne générera que peu d'économies. C'est surtout une question de justice : public ou privé, parlementaire ou artisan, élu local ou salarié du privé, les règles doivent être les mêmes pour tous. Les Français devront faire un pas supplémentaire, mais ça devra être le même pas pour tous.

La droite a été au pouvoir. La retraite à 65 ans, vous ne l'avez pas faite.
Les réformes des retraites courageuses ont été portées par la droite : la réforme Balladur en 1993, la réforme Fillon-Delevoye en 2003, celle des régimes spéciaux en 2009 et celle d'Éric Woerth en 2010.

Faut-il poser la question des retraites par référendum?
Retrouvons plutôt le fil de la discussion avec les partenaires sociaux, ayons un vrai débat sur leurs propositions pour garantir un équilibre des régimes. Il y a toujours plus d'idées dans deux têtes que dans une, et même si le dialogue ne permet pas d'aller au bout, il faut le tenter. Des syndicats - comme la CFDT - peuvent être plutôt favorables à l'allongement de la durée de cotisation. Mais il faut arrêter de les prendre de haut, travailler avec eux et les respecter.

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En France, quand il y a un problème, on fait un impôt

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Quid de la dépendance?
[Sourire ironique.] Eh bien, tout est réglé?! Le gouvernement aurait trouvé la solution sans demander d'argent aux Français! Et dire que personne ne s'était rendu compte qu'il y avait 9 milliards d'euros posés là, sur l'étagère! Soyons sérieux et arrêtons de dire aux Français "tout va bien". Je ferai des propositions sur la dépendance dans les prochains mois.

Financer la dépendance avec la CRDS, comme le propose le rapport Libault, c'est une bonne piste?
Cela reviendrait à prolonger un impôt qui devait être supprimé. En France, quand il y a un problème, on fait un impôt. Dans ce cas, le gouvernement n'aurait vraiment rien compris à la crise des Gilets jaunes…

Au fond, vous ne faites pas confiance à Macron pour faire une vraie réforme des retraites?
Je lui fais confiance, s'il dit la vérité – qu'il faut relever l'âge de départ – et s'il a le courage de le faire. Si c'est le cas, je suis prêt à accompagner la réforme des retraites, parce que c'est l'intérêt général.

Xavier Bertrand démonte la théorie du premier de cordée

Après la crise des Gilets jaunes , Emmanuel Macron est-il encore en état de faire une telle réforme?
Oui, si le Président répond d'abord à la demande sociale et fiscale des Français. S'il le fait, les réformes pourront repartir. Mais si on continue à faire des réformettes, on finira dans le mur. Notre système de gouvernance politique et administratif est à bout de souffle. Depuis cinq mois, il n'y a plus de décisions prises en France. Il faut que le pays redémarre.

 

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Avec Emmanuel Macron, nous ne sommes pas compatibles

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La droite – vos anciens amis de LR – a-t-elle de bonnes idées sur les retraites?
[Long silence.]

Cela ne vous intéresse pas?
Les Français voient les problèmes qui se posent, et qui propose des ­solutions concrètes. Quand je propose en décembre la prime de pouvoir d'achat, je sais que ça deviendra la prime Macron. Ça ne me dérange pas, surtout si elle fait du bien à 2 millions de Français. Sur la suppression de la TVA [à 5,5% sur les produits de première nécessité], je suis prêt à amener à Édouard ­Philippe la grande distribution, que j'ai contactée et qui est prête à s'engager. Et qu'on ne me fasse pas le coup du mépris : "ça ne sert à rien, ça ne représente que 20 euros par mois." Ils ont de la chance, ceux qui peuvent dire cela! Je souhaite que mon pays réussisse. Si je fais des propositions crédibles et utiles qui sont reprises, tant mieux!

Ne pensez-vous pas, surtout, à la présidentielle 2022?
Je vois le risque que représente le Rassemblement national dans ma Région : leur incompétence économique, leurs mensonges… Je ne veux pas de ça pour mon pays. Il ne faut pas jouer avec le feu en se servant du RN comme d'un punching-ball commode. Il faut s'attaquer aux vraies causes du vote RN : la misère, la colère… et donc un peu moins la ramener et un peu plus bosser!

Donc, si Macron vous propose de venir l'aider à Matignon, vous dites oui?
Est-il pour la suppression de l'ENA? Pour une vraie décentralisation telle que je la propose? Est-il prêt à sortir de l'addiction aux impôts et à avoir l'obsession de l'emploi? À remettre à plat la relation franco-allemande? À être vraiment ferme sur les questions régaliennes de sécurité et de laïcité? Et puis je ne crois pas à la théorie du premier de cordée, parce que alors vous êtes tributaire de la bienveillance du premier de cordée! Ce n'est pas ma conception de la République. Selon moi, un président doit tout faire pour cimenter la société française et rassembler les Français. Je suis contre l'assistanat mais pour la solidarité. Je ne rêve pas du modèle anglo-saxon… S'il est rénové et modernisé, je crois au modèle français! Vous le voyez, avec Macron, nous ne sommes pas compatibles, nous avons trop de différences…

Xavier Bertrand débriefe sa rencontre avec Emmanuel Macron

Leur dernier tête-à-tête remontait au 5 novembre 2018. Emmanuel Macron a reçu Xavier Bertrand vendredi, avant un déjeuner organisé à l'Élysée avec les élus des Hauts-de-France. Au menu de leurs échanges, selon ­Bertrand : "Mes propositions pour une nouvelle étape de la ­décentralisation." ­Macron "a semblé vraiment intéressé par ma proposition sur le conseiller territorial pour la ­fusion des conseillers ­départementaux et régionaux, ­dit-il. Il a paru surpris que nous soyons prêts, dans les Hauts-de-France, à le mettre en place dès 2021".

 

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