Ne me parlez surtout pas de musique, Glenn Gould par lui-même

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« Puis-je en placer une, maintenant ? »

Excentrique sublime, Glenn Gould (1932-1982) était aussi très drôle, à la façon d’Antonin Artaud, ou de Woody Allen.

« Je trouve que vous coupez quelque peu les croches en quatre, M. Gould. »

Plus loin : « Oh, certains de mes amis sont critiques, mais je ne suis pas sûr que j’accepterais de laisser l’un d’entre eux jouer sur mon piano. »

Dans un dialogue avec lui-même faisant suite à ses positions fracassantes sur la supériorité de la musique enregistrée sur la production live, en scène, lé pianiste, internationalement célèbre depuis son enregistrement des Variations Goldberg de Bach en 1955, annonce d’emblée qu’il ne parlera surtout pas de musique.

A 32 ans, Glenn Gould, qui a décidé en effet de ne plus se produire sur scène, stupéfie ses admirateurs ne jurant que par les courants d’air de la grande salle de Salzbourg.

Postulat : « Je suis enclin à penser que les révélations les plus instructives découlent de sujets qui ne sont qu’indirectement liés au métier de celui qui est interviewé. »

Tenus sur un ton de haute courtoisie féroce, les propos de Gould ne cessent de pirouetter avec beaucoup d’ironie.

« Je n’aime pas du tout les termes comme « public » ou « artiste », et en particulier la hiérarchie qu’implique l’usage d’une telle terminologie – je crois donc que l’on devrait accorder à l’artiste l’anonymat. »

Glenn Gould fait un pari sur la musique pure, débarrassée de la fascination que peut susciter son interprète, de l’ordre selon lui d’un parasitage.

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L’enjeu est donc ici spirituel, dans un effort de se débarrasser de l’ego démesuré du créateur-démiurge, et d’envoyer dinguer tout ce que l’homme occidental construit depuis la Renaissance (centralité du moi).

« Vous savez, déclare Gould à son démon, cet attachement bizarre à la liberté de mouvement, à la liberté d’expression et tout le tremblement est un phénomène étrangement occidental. Tout cela fait partie de l’idée occidentale selon laquelle on peut aisément séparer les paroles des actes. »

Et le voici d’enchaîner, tel un Réformateur du XVIe siècle : « Je crois que nous devons accepter le fait que l’art n’est pas inconditionnellement bénéfique, qu’il est même potentiellement destructeur. »

Glenn Gould par Glenn Gould sur Glenn Gould est donc une réflexion très profonde sur l’art, dans un tentative admirable de désubjectivation, quand chacun fait aujourd’hui l’éloge du sujet.

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Glenn Gould, Glenn Gould par Glenn Gould sur Glenn Gould, traduit de l’anglais par Elise Patton, Allia, 2019, 48 pages

Editions Allia

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