Musée Picasso

La formule secrète des “tableaux magiques” de Picasso

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Publié le , mis à jour le
Durant l’été 1926, Pablo Picasso entre dans un état de transe créatrice. Comme envoûté, l’artiste se lance, jusqu’au printemps 1930, dans une série de 150 peintures où têtes et corps féminins se métamorphosent en d’étranges messages cryptés. Qualifiés de « tableaux magiques » par le critique d’art Christian Zervos en 1938, ces curieux assemblages de formes ont été réunis le temps d’une exposition au musée Picasso. L’occasion de les décortiquer… et de dévoiler leur formule secrète !

1. Entrer en transe

Pour réaliser cette suite de « tableaux magiques », Picasso s’est changé en chaman. Comme absorbé par un rituel incantatoire, le peintre dessine en série, à un rythme soutenu. Avec quelques variations, il décline les mêmes formes étranges d’une toile à l’autre, comme s’il répétait en boucle un sortilège dicté par une puissance invisible ! À une période où les intellectuels se passionnent pour l’occulte, le rêve et la psychanalyse, Picasso serait-il en train de s’adonner à un équivalent pictural de l’écriture automatique, qui permet aux surréalistes de laisser parler leur inconscient ? Pas tout à fait, objectent les commissaires de l’exposition Émilie Bouvard, Marilyn McCully et Michael Raeburn : à travers cet état de transe, l’artiste chercherait plutôt à révéler la part d’invisible présente dans le réel qui l’entoure…

Pablo Picasso, Femme endormie dans un fauteuil
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Pablo Picasso, Femme endormie dans un fauteuil, 1927

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Huile sur toile • 92 × 73 cm • Yokohama Museum of Art • © Succession Picasso 2019

2. Traduire le réel sous forme de signes

Le plus souvent, les « tableaux magiques » représentent une tête de femme, ou une femme assise dans un fauteuil… mais traduites dans une langue bien étrange. Car Picasso invente ici des formes inédites qui semblent venir d’un autre monde et porter en elles des significations secrètes… d’où le qualificatif « magique » employé par Zervos. Sa recette ? Réduire les figures à des assemblages expressifs de lignes simples (tantôt courbes et sinueuses, tantôt droites et anguleuses), agrémentés de quelques signes mystérieux (des amandes stylisées pour les yeux, un ovale hérissé de dents pour la bouche, un bouquet de traits noirs pour les cheveux…), positionnés de manière décalée. Si bien que chaque tableau devient un grand idéogramme à déchiffrer !

Pablo Picasso, Femme au fauteuil rouge
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Pablo Picasso, Femme au fauteuil rouge, 5 avril 1929

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Huile sur toile • 65.1 × 54 cm • The Menil Collection, Houston • © Photo Paul Hester

3. Métamorphoser les femmes en créatures

Vingt ans après ses premières expérimentations cubistes, le peintre déstructure de plus belle les figures féminines en exagérant, modifiant et déplaçant leurs traits, jusqu’à transformer ces dames en d’étranges créatures extraterrestres dotées d’antennes, de naseaux et de crocs acérés ! Dans Buste de femme avec autoportrait (1929), le modèle s’est métamorphosé en un drôle de cheval hennissant, plus schématique encore que celui de Guernica (1938). Comme si le peintre cherchait à faire surgir, à incarner plastiquement, l’intériorité des femmes représentées. Ou du moins la façon dont il les perçoit secrètement : dangereuses, déroutantes, indéchiffrables…

Pablo Picasso, Buste de femme avec autoportrait
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Pablo Picasso, Buste de femme avec autoportrait, février 1929

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Huile sur toile • 71 × 60.5 cm • Collection particulière, Courtesy McClain Gallery • © Succession Picasso 2019

4. S’inspirer des arts « primitifs »

À l’époque, les artistes d’avant-garde s’intéressent de plus en plus aux formes simples et percutantes des arts premiers. Masques, fétiches, statuettes… Au milieu des années 1920, le peintre possède une importante collection d’œuvres extra-occidentales, et en particulier africaines. Des objets rituels dont il continue clairement de s’inspirer pour cette série de toiles. Quant aux cadres rectangulaires dans lesquels Picasso enclot ses formes étranges, ils évoquent un objet européen tout aussi « magique » : l’ex-voto !

Pablo Picasso, Dormeuse
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Pablo Picasso, Dormeuse, 1927

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Huile sur toile • 46 × 38 cm • Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979 • © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2019

5. Miser sur les contrastes de couleurs

Pour accentuer la simplicité frappante de ses toiles, Picasso utilise des assemblages de plans colorés régis par de forts contrastes, soit en créant des associations stridentes de tons vifs et primaires (Femme dans un fauteuil, 1927), soit en juxtaposant du clair et du foncé. De ces fonds colorés, l’artiste fait surgir des traits noirs, parfois eux-mêmes rehaussés, pour un effet encore plus tranchant, d’un blanc éclatant.

Pablo Picasso, Femme dans un fauteuil [Figure]
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Pablo Picasso, Femme dans un fauteuil [Figure], 1927

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Huile sur toile • 128 × 97.8 cm • Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection • © Succession Picasso 2019

6. Introduire des ombres mystérieuses

En arrière-plan de plusieurs de ces tableaux, comme Buste de femme avec autoportrait (février 1929) ou Arlequin (1927), l’artiste glisse une silhouette mystérieuse et poétique : un profil masculin aux contours nets, comme une ombre découpée sur un mur… et qui n’est autre qu’une référence à la présence spirituelle de Picasso lui-même ! Une manière pour le peintre de continuer à veiller sur la scène représentée et de s’affirmer en poète voyant, capable de percevoir et révéler l’invisible… À ces ombres – sans doute inspirées de photographies surréalistes – se substituent parfois des brumes : pour Figure (été 1927), Picasso utilise de la craie blanche pulvérisée pour créer une atmosphère vaporeuse et irréelle. Résolument magique !

Pablo Picasso, Figure
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Pablo Picasso, Figure, Été 1927

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Don de Florene May Schoenborn et Samuel A. Marx

Huile et craie (blanc d’Espagne) sur toile • 100 × 81 cm • The Art Institute of Chicago • © Succession Picasso 2019

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Tableaux magiques

Du 1 octobre 2019 au 23 février 2020

Retrouvez dans l’Encyclo : Pablo Picasso

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