Martin Parr is born, par Martin Parr, photographe

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©Martin Parr / Magnum Photos

Avec un rythme de publication accru, les éditions Clémentine de la Féronnière (Maison FC) prennent de l’ampleur, et c’est une grande joie.

Célébrant les premiers travaux de Martin Parr, le livre Early Works est une réussite – clarté graphique, élégance, format permettant aux images de respirer, de vivre en liberté.

Halifax. Steep Lane Baptist Chapel buffet lunch. 1976. ©Martin Parr / Magnum Photos
©Martin Parr / Magnum Photos

On peut s’agacer du grand nombre d’ouvrages consacrés chaque année aux œuvres de quelques-uns des géants de la photographie – Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon, Saul Leiter, Martin Parr -, mais c’est à tort, tant ces classiques sont des sources inépuisables de contemplation, de rêverie, de réflexion.

Trésor national vivant, Martin Parr, qui était exposé cet été à Clermont-Ferrand à l’Hôtel Fonfreyde – thème de la plage, carton plein –, n’est pas qu’un satiriste pop des classes ouvrière et moyenne britanniques, c’est aussi un élégiaque restituant au moyen format avec beaucoup de tendresse et d’humour la réalité de son peuple, fantasque et enjoué.

Un pays où l’on aime les chemins de traverse, où l’on prend le temps de vivre, où l’on se manque en voulant se rencontrer.

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©Martin Parr / Magnum Photos

Pour la première fois, un ouvrage, reproduit son travail en noir & blanc majoritairement réalisé pendant la décennie 1970.

Il s’agit du premier livre issu de la Martin Parr Foundation de Bristol, acte inaugural témoignant de la qualité et de la jeunesse de ses archives, qu’il convient de regarder d’un œil neuf, vif, presque vierge.

Je ne sais pas si l’Angleterre existe vraiment, et si le Brexit est une catastrophe ou une chance, mais une œuvre est là, disponible, considérable, offrant de ce pays le charme d’une vision à la fois décalée et directe, out of joint, comme chez les dandys.

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©Martin Parr / Magnum Photos

Un attaché-case, une chevelure impeccable, Monsieur et Madame Smith s’achèteront bientôt un beau pavillon de banlieue, qui pourrait être le décor d’un film de Jacques Tati.

Martin Parr s’amuse de l’incommunicabilité et des gestes incongrus.

En groupe ou isolés, ses personnages témoignent de ce que George Orwell appelle la «common decency », qui correspond à la moralité ordinaire du peuple n’ayant nul besoin qu’on lui enseigne officiellement le sens des valeurs pour les incarner quotidiennement.

On se regarde, on s’épie, on s’évite, on se frôle.

Les corps se placent dans l’espace comme dans L’Eclipse de Michelangelo Antonioni.

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©Martin Parr / Magnum Photos

En ses premières années, Martin Parr ne craint pas le vide, même s’il y a souvent fête, même s’il y a liesse, même s’il y a foule.

Des rêves de révolution ? Oui, surtout dans les coiffures.

On se débrouille comme on peut dans la pauvreté, dans la solitude, dans la grisaille.

On aime ses enfants, ses copains de pub, sa petite maison en briques rouges mal chauffée.

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©Martin Parr / Magnum Photos

Au lycée, on s’éclate, entre répression de la sexualité et explosion incontrôlée d’un corps de pleine vitalité.

Les habitants des photographies de jeunesse du maître anglais sont des gens modestes et souvent drôles, parce que l’humour est une façon de masquer la pesanteur des jours.

Rébus d’un backpaker, d’une tour médiévale, d’une vache placide et d’une jeune femme méditative.

Du brouillard, des terrils, de la tourbe.

La terre est basse, mais il faut travailler encore, toujours.

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©Martin Parr / Magnum Photos

Dieu est un enfant lançant des galets sur une plage de Bristol.

Dieu est une digue en béton.

Les photographies de Martin Parr se lisent dans leur ensemble, mais se comprennent dans le détail, d’une incongruité, d’un geste farfelu, d’une grimace.

Une centaine de petites culottes blanches séchant sur la tôle d’un hangar.

Deux soldats minuscules derrière un bar, comme deux enfants se cachant.

Des grands-mères chinoises faisant l’oiseau.

Une foule amicale contemplant le contemplateur.

Une brebis attendant le déluge.

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©Martin Parr / Magnum Photos

Une automobile recouverte de neige, grotesque et anthropomorphe.

Une vieille dame indigne buvant seule.

Une armée de pauvres diables dans un champ.

Si Martin Parr est souvent vu comme un ironiste, il est surtout un fabuleux observateur, empathique, de la petite race humaine, drôle et insaisissable, impayable et grégaire, solitaire et rêveuse, distinguée et populaire.

On peut le comprendre mieux aujourd’hui, dans toute l’ampleur de son grand œuvre, c’est une chance pour nous qui nous vivons désormais dans le démonde infini analysé par Pasolini comme un ethnocide permanent.

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Martin Paar, Early Works, texte de Jeffrey Ladd, Maison CF, 2019, 148 pages – 102 photographies noir & blanc

Martin Parr Foundation

Maison CF Paris

Galerie Clémentine de la Féronnière

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Se procurer Early Works

 

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