Gitans, de Josef Koudelka, mémoires d’outremonde

CZECHOSLOVAKIA. Straznice. 1966. Festival of gypsy music.
Moravie, 1966 © Josef Koudelka / Magnum Photos

On les a vues et revues, elles se sont déposées en nous, participent du chaudron de notre inconscient visuel.

Elles ont été prises entre 1962 et 1971 en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en France, en Espagne, et sont toujours aussi magistrales, neuves, inouïes.

Il faut les montrer, continuer à les faire circuler, en parler.

CZECHOSLOVAKIA. Slovakia. Zehra. 1967. Gypsies.
Slovaquie, 1967 © Josef Koudelka / Magnum Photos

Ce sont les photographies des Gitans de Josef Koudelka, disponibles pour la première fois en version de poche chez Delpire – la première édition française, dans une version différente, date de 1977, l’édition grand format étant de 2011.

Un monde a disparu, que des images construites comme des instants de rêve prolonge jusqu’à aujourd’hui.

Beauté des insoumis, vitalité brute, gestes frères d’une communauté à travers l’Europe.

Les visages viennent de très loin, du mythe, du plus profond des migrations humaines.

La mort est omniprésente, et les rites de deuil, mais aussi les enfants jouant dans la boue, les musiciens de villages et les portraits de la Vierge Marie.

CZECHOSLOVAKIA. Slovakia. Zehra. 1967. Gypsies.
Slovaquie, 1967 © Josef Koudelka / Magnum Photos

D’origine tchèque, Josef Koudelka l’exilé – il obtient l’asile politique au Royaume-Uni en 1970, aidé par ses amis de l’agence Magnum Photos – est un photographe errant, un témoin majeur, un envoyé supérieur très certainement, puisque ses images ont la force des documents historiques échappant à la pesanteur du temps dévorateur, tout en étant parfaitement inscrits dans une époque.

Les Gitans qu’il photographie n’ont pas encore appris les codes de la représentation et de la mise en valeur publicitaire de leur apparence, ils sont, simplement, irréductiblement, parfaitement là, en présence.

En un propos liminaire, Stuart Alexander cite John Szarkowski, conservateur pour la photographie au MoMa de New York : « Les clichés de Josef Koudelka semblent avoir pour sujet les rituels prototypiques et l’art dramatique des contes ancestraux et immuables, qui s’expliquent peut-être par la religion plutôt que par la psychologie. »

ROMANIA. 1968.
Roumanie, 1968 © Josef Koudelka / Magnum Photos

Dans un format portrait aux photos verticales et horizontales, la nouvelle édition de Gitans comporte cent neuf photographies.

« Contrairement à la plupart des autres photographes, écrit Stuart Alexander, cela fait cinquante ans que Josef Koudelka ajuste la présentation de ses œuvres de jeunesse sur les Gitans. Faisant appel à des formats variés, il modifie le séquençage et la présentation pour imprimer le sens qu’il souhaite donner. A l’instar de toute œuvre d’art, c’est au lecteur de compléter l’interprétation. »

Un homme mène par une longe son meilleur ami le cheval.

Une maman est étendue dehors avec son bébé sur un drap matelassé.

Un enfant est assis sur une table, petit géant, comme dans un tableau de Goya.

Des hommes boivent dans un jardin public.

Un violoniste aux dents gâtées s’apprête à lancer la musique.

Une petite fille écrit, les cheveux contenus par un foulard.

CZECHOSLOVAKIA. KLADNO. 1966.
Slovaquie, 1966 © Josef Koudelka / Magnum Photos

Des familles de toutes générations regardent dans les yeux leur hôte le photographe.

Des couples pauvres, des solitudes, les objets de la foi.

Des nudités de petits bonhommes dans des pièces misérables.

Une impression de pionniers, de première et dernière humanité installée dans des territoires hostiles, désolés, balayés par les vents criminels de l’Histoire.

Une petite fille se lavant dans une bassine.

Des tapis élimés sur le plancher.

La beauté des indigènes de toujours et de partout.

Cheveux noirs, regards noirs, peaux noires.

S’imposent ici la loi de Dieu, la loi des plus résistants, la loi des lames de couteau.

Koudelka photographie la vie nue, et de haute civilisation.

Un monde où se heurtent folie, fierté et sauvagerie.

Il faudrait être ethnologue pour déplier les significations de chaque image, mais on peut aussi les regarder comme on découvre un conte, comme on lit une légende, âpre, cruelle et de fulgurante beauté.

Koudelka est grand, parce que ce qu’il a vu et photographié des Gitans était jusqu’à lui sans exemple, dans cette profondeur de présence à la fois immédiate et atemporelle.

9791095821229-1

Koudelka, Gitans, textes de Stuart Alexander & Will Guy, éditions Delpire, 2019, 240 pages – 109 photos noir et blanc

Delpire Editeur

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  1. Barbara Polla dit :

    qu’ils sont vivants et qu’ils sont beaux !

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