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Exposition médiatique, discrétion féminine, modèles d'identification… Me Jacqueline Laffont, connue pour sa ténacité et sa maîtrise des dossiers, démonte certaines des idées reçues que l'on peut se faire du métier de pénaliste, qui plus est lorsqu'on est une femme. L'avocate, qui a notamment défendu Nicolas Sarkozy dans l'affaire des écoutes téléphoniques, Charles Pasqua, Serge Dassault ou encore Nicolas Hulot, accusé en 2017 d'agression sexuelle par le magazine Ebdo, a récemment été propulsée sous le feu des projecteurs en acceptant de représenter Alexandre Benalla, l'ex-collaborateur de l'Élysée. Cette experte de la procédure regrette néanmoins que sa discrétion – ou celle de ses consœurs – soit assimilée à une forme de mise en retrait. Jacqueline Laffont, rompue à l'exercice médiatique, plaide au contraire pour une parole rare, et ce, dans le strict intérêt de ses clients.
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Le Point. Considérez-vous que les femmes pénalistes de votre génération sont dans l'ombre d'une figure tutélaire masculine ? Et si oui, comment pourriez-vous l'expliquer ?
Jacqueline Laffont. Cette question appelle de ma part une réponse très personnelle, puisque j'ai en grande partie appris le métier d'avocate aux côtés de mon mari Pierre Haïk. Cependant, au-delà de mon propre itinéraire, je ne le crois pas. Il est vrai que certains confrères ont acquis une importante notoriété médiatique, qui peut donner l'impression d'une domination masculine sans partage sur le métier d'avocat pénaliste.
Il est vrai aussi, pour ce métier comme pour tant d'autres, que les femmes se sont trop longtemps interdit de l'exercer. La situation a pourtant beaucoup changé depuis l'époque où j'ai prêté serment, au début des années 1980. Je pourrais même dire que de nombreuses consœurs – la liste est longue, mais je pense par exemple à Emmanuelle Kneusé, Frédérique Baulieu, Clarisse Serre ou encore Corinne Dreyfus-Schmitt – font aujourd'hui de l'ombre à certains « ténors »… Et c'est une bonne chose !
Avez-vous déjà été victime d'une forme de misogynie de la part de votre clientèle ou même de la profession ?
J'ai été, comme toutes les femmes, confrontée à la bêtise et à la grossièreté, de la part de confrères, de clients, mais aussi de magistrats. Certains hommes ont du mal à concevoir qu'une femme puisse leur tenir tête ou être tout simplement aussi capable qu'eux. Je dois dire cependant, quitte à ne pas être dans l'air du temps, qu'il s'agit d'une minorité.
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Me Hervé Temime confiait récemment au Point : « Il y a parfois des défauts qui contribuent à votre notoriété », il entendait par là la discrétion et la modestie, que l'on prête plus souvent aux femmes. Que pouvez-vous nous dire de cela ?
Que la notoriété d'Hervé Temime est d'abord assise sur ses qualités d'avocat ! D'autre part, je crois que l'attrait pour les médias n'est pas le propre des hommes. Pour ma part, si j'accorde peu d'interviews et refuse la plupart des interventions qui me sont proposées, ce n'est pas le fait d'une supposée « discrétion féminine », mais parce que je ne suis pas toujours convaincue que cette exposition serve les intérêts des clients que je défends. Je dirais, enfin, que nombre d'avocates et d'avocats pénalistes exercent ce métier avec talent et professionnalisme sans être exposés médiatiquement.
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il n'y a pas eu, ou très peu en tout cas, de modèle d'identification de grande avocate femme auquel votre génération aurait pu se raccrocher ?
Il y a bien sûr Gisèle Halimi qui a mené des combats judiciaires exemplaires dès les années 1970, Françoise Cotta et d'autres encore. En outre, et là encore j'ai bien conscience de ne pas tout à fait dire ce qui est attendu de moi, j'ai eu la chance de côtoyer dans ma vie professionnelle des avocats extraordinaires – Thierry Levy, Henri Leclerc, Philippe Lemaire. C'est auprès d'eux, et de tant d'autres, que s'est forgée ma conception du métier d'avocat. Qu'ils fussent des hommes m'importait peu, ils étaient inspirants, et c'était suffisant.
Comme la compagne Dubost de Veran, promue députée par la magie de la photo de Macron sur l'affiche électorale, qui n'hésite pas à couper la parole ou parler sur celui qui parle, et à ne pas répondre à la question, en expliquant qu''"elle est une femme ! ", ou encore, telle Royal évitant toute question non anticipée en répétant qu'on la lui pose parce qu'"elle est une femme ! " On ne peut pas ainsi jouer avec la raison.
Sans cette discrimination faisant choisir la couleur ou le sexe d'un individu et non en premier sa valeur, sans couleur ni sexe, nous ne déplorerions pas la piètre qualité de certaines femmes au pouvoir, passé ou actuel. Les exemples abondent, hélas.
L'inverse est aussi valide ! Question de parité chère maître.