Le fret SNCF en danger de mort à cause des grèves
Certains industriels dépendant du rail envisagent du chômage partiel à cause de la gréve cheminote commencée le 5 décembre. Le mouvement social contre la réforme des retraites risque d’achever Fret SNCF et fragilise ses concurrents.
Si nombre de voyageurs se plaignent à voix haute de la grève des cheminots, les clients industriels du train, eux, souffrent en silence. Les graves perturbations que subissent leur approvisionnement ferroviaire durent depuis plus de quinze jours. "Certains chargeurs parviennent à s’organiser pour des trafics très spécifiques", explique l’Association des usagers du transport de fret (AUTF). Dans le transport combiné rail-route qui offre par nature une alternative, les transporteurs ont réorganisé pour leurs clients leur plan de transport, 100 % routier.
Mais pour d’autres qui font appel au train, seul mode de transport à pouvoir transporter des flux massifiés, c’est plus dramatique. "Des industriels qui avaient pris leurs précautions avant cette grève, voient leur stock fondre, souligne le lobby des chargeurs. Le transport routier ne permet pas d’amener des volumes suffisants pour alimenter normalement leurs usines." Et de témoigner pour des adhérents qui ne souhaitent pas s’exprimer : "Certaines entreprises de l’agroalimentaire envisagent des mesures de chômage partiel."
Sites sidérurgiques
Autre exemple alarmant, celui de sites sidérurgiques de l’est de la France qui tournent au ralenti. "En cause, les convois ferroviaires de chaux, une composante essentielle à leur fonctionnement, qui n’arrivent plus ou alors au compte goutte", ajoute une autre source qui évoque la perspective terrible d’un arrêt de hauts fourneaux.
Premier client de Fret SNCF, ArcelorMittal dit en revanche ne subir qu’un impact limité. "Des stocks de matières premières et de produits semi-finis (brames, coils) ont été constitués sur certains sites et des solutions alternatives de transport (routier, fluvial, maritime) ont été organisées", explique le groupe.
TLF, qui recense dans un communiqué du 18 décembre les chaînons totalement bloqués (filière maritime et portuaire, logistique), déplore, au sujet du rail, une certaine schizophrénie. "Alors que le transport ferroviaire devient une nécessité environnementale, nous assistons à une quasi-disparition du fret ferroviaire en France… en dépit d’un discours environnementaliste hypocrite", note la fédération présidée par Eric Hémar, le président d’ID Logistics.
Le trafic du privé quasiment nul
De fait, l’industrie du fret ferroviaire est dramatiquement affaiblie. Paradoxe, alors que la grève du ferroviaire est menée par des cheminots SNCF et non par les conducteurs des entreprises privées, le trafic de ces dernières est quasiment nul. Or, elles tractent 60 % des marchandises en France.
La veille du 5 décembre, Agnés Ogier, la porte parole de la SNCF, prévenait que tous les trains de fret risquaient d’être logés à la même enseigne en raison des grèves à des postes clés ( aiguillage, surveillance des voies). Mais ce discours n’est pas passé auprès de l’Association française du rail (AFRA) qui s’interroge sur l’impartialité de SNCF Réseau, le gestionnaire des infrastructures ferrées. "Nous avons tapé du poing sur la table au début du mouvement auprès du gestionnaire des voies, il ne nous promettait aucun train", explique Franck Tuffereau le président de l’AFRA. Résultat, celui-ci dénombrait 7 % de trains de fret en circulation le 12 décembre sur ceux prévus puis entre "12 et 13 %" le 17 décembre. Les convois qui assurent des rotations courtes, comme les trains de carrière assurés par des opérateurs comme ETF, s’en tirent mieux. En revanche ceux qui ont besoin de plusieurs sillons pour traverser la France, comme ceux d'ECR, ne sont pas à la fête. Dans le transport combiné, Novatrans voit sa progression, qui était supérieure à celle du marché, stoppée. "Chaque jour d’arrêt nous coûte 2,5 % du chiffre d’affaires mensuel", explique Thibaut Fruiter le directeur général de Novatrans
La situation est mortifère. "En 2018, deux opérateurs ont terminé dans le vert, Europorte et VFLI. Cette année, tout le monde sera certainement en perte", redoute Franck Tuffereau.
Fret SNCF poussé dans la tombe
Cruelle situation, les cheminots en grève risquent de pousser dans la tombe Fret SNCF, tout juste renflouée et qui sera filialisée au 1er janvier en société anonyme. "Un dépôt de bilan serait dramatique, estime Franck Tuffereau, car aucune entreprise ferroviaire ne serait en capacité de la remplacer."
