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Disparition

Mort de Théo Klein, grande figure du judaïsme et défenseur de la laïcité

Ancien résistant et président du Crif, Théo Klein, homme élégant et brillant, incarnait un judaïsme ancré dans la République. Attaché à Israël, il ne ménageait cependant pas ses critiques à l'égard de la politique de l'Etat hébreu.
par Bernadette Sauvaget
publié le 29 janvier 2020 à 19h03

L’histoire (celle avec un grand H) perd, certains jours, l’un des siens. C’est le cas avec la disparition de cette importante figure du judaïsme libéral que fut Théo Klein. L’ancien avocat est mort à l’âge de 99 ans, a annoncé, le 28 janvier, le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), organisme qu’il présida de 1983 à 1989.

«C'était un prince, un homme d'une grande élégance, culturellement et politiquement», commente l'universitaire et sociologue Michel Wieviorka. La vie de Théo Klein, homme de gauche, est d'abord une «traversée du siècle», selon l'historien Marc Knobel. Et son parcours fut, au sens strict, celui d'un homme d'engagements, même si l'expression paraît quelque peu galvaudée. Ceux-ci se sont bâtis sur un enracinement, une culture, les soubresauts et les tragédies de l'histoire. «C'était fondamentalement un modéré mais qui exprimait fermement ses positions», rappelle Gérard Unger, vice-président du Crif.

Fils de médecin, né à Paris en 1920, l'ancien avocat était issu d'une famille de Juifs alsaciens, ancrés dans un profond attachement à la France et à la République. Son arrière-grand-père fut grand rabbin de Colmar, ville qui comptait, à l'époque, une importante communauté juive. Les convictions de Théo Klein se forgent également dans l'épreuve. Pendant la guerre, il entre dans la résistance et organise notamment le sauvetage d'enfants juifs. «Jeune, il a dû faire face à la mort. Le nazisme n'était pas, pour lui, une connaissance abstraite. Il a été lui-même confronté à son incroyable horreur», remarque Marc Knobel.

Liberté de ton

Dès la fin des hostilités, Théo Klein prend la tête de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). L'époque est douloureuse. Les déportés rentrent des camps. Ils ont tout perdu. Ebranlée, la communauté juive est traversée de doutes. Mais il faut reconstruire. «L'objectif de Théo Klein à la tête de l'UEJF est que les rescapés puissent reprendre le rythme de la vie. Il se bat pour que les étudiants obtiennent un logement, des bourses. Et que cela ne soit pas réservé seulement à ceux qui ont la nationalité française», raconte, à Libération, Noémie Madar, l'actuelle présidente de l'organisation.

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Après Sciences-Po, Théo Klein suit des études de droit et devient avocat. Brillant et cultivé, il sera l'un des dirigeants d'un grand cabinet de droit des affaires situé sur les Champs-Elysées. A partir de 1970, il est inscrit également au barreau israélien. Proche de l'ancien Premier ministre israélien Shimon Pérès, il a toujours gardé une liberté de ton à l'égard d'Israël dont il a souvent critiqué la politique. Qualifié de «sioniste à part», il montrait, malgré les critiques dont il pouvait faire l'objet, un grand attachement à l'Etat hébreu dont il avait aussi la nationalité. «Le lieu de ma culture est la France, le lieu de ma spiritualité est Israël», disait-il. Pour Théo Klein, la solution au conflit israélo-palestinien impliquait la création d'un Etat palestinien.

Réputé homme de dialogue, Théo Klein montre son art de la négociation lors de la grande crise du carmel d’Auschwitz. Dans les années 80, un groupe de religieuses polonaises s’installent dans l’enceinte du camp pour y créer un couvent. Jean Paul II et une grande partie de l’épiscopat de Pologne soutiennent le projet.

«Qu'une croix soit érigée dans ce lieu était inacceptable pour les associations juives, rappelle Gérard Unger. Cette polémique risquait de mettre à mal la réconciliation entre chrétiens et juifs qui avait eu lieu après la Seconde Guerre mondiale.» Travaillant avec les archevêques de Lyon et de Paris, les cardinaux Albert Decourtray et Jean-Marie Lustiger, Théo Klein obtient un accord. Sur ordre de Jean Paul II, les religieuses déménagent en 1993. Jusqu'à la mort en 2007 de Jean-Marie Lustiger, lui-même d'origine juive, Théo Klein et le prélat catholique entretiendront une relation de proximité, empreinte d'un grand respect mutuel.

«Sionisme de paix»

A la tête du Crif, l'ancien avocat met en place le fameux dîner annuel, désormais très couru par la classe politique. «Il estimait que le dialogue était nécessaire entre la communauté juive et les pouvoirs publics», souligne Gérard Unger. Ses positions critiques à l'égard d'Israël susciteront, au cours des vingt dernières années, une certaine distance avec le Crif.

Attaché à la laïcité, Théo Klein, agnostique, était cependant nourri des écrits du judaïsme. «Dieu ne m'a jamais tourmenté, il faisait partie du paysage, à la fois omniprésent et absent», disait-il. «Au cours de son existence, Théo Klein a tressé quelque chose d'essentiel pour le judaïsme : l'action politique, l'engagement, le rapport affectif à une histoire et l'amour de la littérature», commente, à Libération, la rabbine libérale Delphine Horvilleur.

Depuis l'annonce de sa mort, les responsables communautaires ont fait part de leur tristesse. Issues des milieux juifs, des voix se sont élevées, sur les réseaux sociaux, pour dire leur respect à un homme éloigné du repli communautaire et du soutien inconditionnel à Israël. Pour Noémie Madar, la jeune présidente de l'UEJF, le legs de Théo Klein est d'abord celui d'un «judaïsme tourné vers l'avenir et d'un sionisme de paix».

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