La culture dans les villes passées au FN : ceux qui refusent et ceux qui résistent

Un festival quitte Beaucaire dans le Gard. Des artistes, à l'inverse, maintiennent leurs concerts. Comment se décident les acteurs culturels face aux nouvelles municipalités frontistes ?

Par Juliette Bénabent

Publié le 08 avril 2014 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h12

D'abord, ç'a été le directeur du festival d'Avignon, Olivier Py, qui a fait savoir après le premier tour des municipales, le 23 mars, qu'en cas de victoire du Front National, le festival quitterait la ville. Ensuite, mardi 1er avril, le festival de musiques électroniques Positiv, installé dans les arènes de Beaucaire, dans le Gard, a annoncé qu'il ne maintenait pas sa manifestation de juillet prochain, mais cherchait un autre lieu après l'élection à Beaucaire du FN Julien Sanchez. Benjamin Bennbob, qui assure la communication du Positiv Festival, explique : « Ce fut une décision difficile, mais il faut un minimum de valeurs partagées pour organiser un festival avec une mairie, et avec le Front National, c'est impossible. Nous refusons de prendre le risque d'être récupérés par la mairie qui se dirait contente que le Positiv Festival se passe très bien sur son territoire. »

Dans les villes FN comme dans les autres, la programmation culturelle des prochaines semaines ou mois a été négociée par les équipes précédentes. Faut-il s'attendre à des désistements ? Au Luc en Provence, dans le Var, conquis par Philippe de la Grappe, le groupe provençal Petite musique maintient son concert programmé en mai. Plutôt deux fois qu'une, explique Cédric Psaïla, l'un des frères auteurs : « On est en PACA, dans une région où le FN cartonne régulièrement, au paradis du clientélisme et de la corruption. Je trouve ça crétin d'annuler les concerts ou manifestations, d'abord parce que tous les habitants n'ont pas voté FN, ensuite parce qu'il faut aller parler, discuter, débattre, et surtout pas déserter le terrain. Nous, on ira comme on est, on dira ce qu'on pense, on réfléchit à une chanson un peu provoc', en arabe. Ce n'est ni par le mépris ni par la diabolisation que l'on traitera le sujet de l'extrême droite, il faut débattre, aller au contact, c'est ça la démocratie. »

Même volontarisme dans les Yvelines, où le festival de musique et arts de rue Contentpourrien passera, en juillet, sur le territoire de Mantes-la-Ville (qui a élu Cyril Nauth). Alexandre Aumont, responsable du festival, attend son rendez-vous avec la nouvelle équipe pour le confirmer. Même s'il a « un problème éthique à travailler avec le FN », il estime « dommage de s'en aller » et « préfère y aller, et s'exprimer, faire entendre une autre voix. Ce n'est pas en se taisant qu'on milite ! »

Pourtant, plusieurs responsables de structures culturelles craignent les désistements d'artistes qui ne voudraient pas voir leur nom accolé à celui d'une mairie FN. Dans le Vaucluse, au Pontet, qui a élu Joris Hébrard, le château de Fargues doit accueillir cet été des spectacles inscrits au OFF du festival d'Avignon, tout proche. « La question de maintenir ce projet, signé avec la précédente municipalité, se pose très clairement, reconnaît Raphaël Zolet, gérant d'Octobus, la société qui programme ces spectacles. C'est une question économique : j'ai peur que les artistes et la presse refusent de venir dans un lieu administré par une mairie FN. » En pleines discussions avec les équipes municipales, il n'a pas encore pris sa décision. 

A Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) aussi, où Steeve Briois a été élu dès le premier tour, cette crainte est celle de Bernard Bones, directeur de l'espace culturel L'Escapade. Créée il y a quarante-deux ans, hébergée par la mairie qui la subventionne à plus de 50%, L'Escapade programme concerts, spectacles, et organise de nombreux ateliers de pratiques artistiques encadrés par des professionnels. Bernard Bones se montre prudent : « La semaine dernière, l'adjoint à la culture est venu voir un spectacle, puis m'a demandé un rendez-vous. Il s'est montré très rassurant, m'a garanti qu'ils ne changeraient rien, qu'ils étaient pragmatiques et qu'ils ne souhaitaient pas faire de l'idéologie ». Il se dit « dans l'expectative », mais reconnaît que l'éviction de la Ligue des Droits de l'Homme de son local municipal « n'est pas très rassurante » et sait que L'Escapade a la réputation « d'être gauchisante, et culpabilisante pour le public, qui voudrait plus de divertissement et de pièces de boulevard. On a peur que des artistes refusent de venir dans un lieu municipal depuis que la mairie est FN, mais on reçoit aussi de nombreux témoignages de soutien et d'encouragements ».

Samedi dernier, à Mantes-la-Villes, le groupe HK et les Déserteurs s'est produit, comme prévu, à la salle municipale Jacques-Brel. Christian Bourgaut, codirecteur de BlueLine, société productrice des spectacles d'HK ainsi que d'Idir, Zebda ou Manu Di Bango, explique : « C'est très difficile d'annuler à la dernière minute, on a un contrat signé, on risque un procès. Pour l'avenir, je pense sincèrement que nos artistes – souvent militants, engagés à gauche – ne se produiront pas dans des lieux municipaux du Front National. Nous ne voulons pas prendre leur argent, ni leur servir de caution, ni risquer de se faire prendre en otage ».

Le groupe HK, qui chante des reprises de classiques français en version chaâbi. © Victor Delfim

Le groupe HK, qui chante des reprises de classiques français en version chaâbi. © Victor Delfim

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