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Iran

En Iran, révoltes et représailles mortelles dans les prisons touchées par le Covid-19

Images circulant sur les réseaux sociaux en Iran montrant les émeutes ou évasions de prisonniers à Tabriz (à gauche), Ahvaz (centre) et Saqqez (à droite).
Images circulant sur les réseaux sociaux en Iran montrant les émeutes ou évasions de prisonniers à Tabriz (à gauche), Ahvaz (centre) et Saqqez (à droite).
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Malgré l’annonce de la libération temporaire d’un peu plus de 100 000 prisonniers pour contrôler l’épidémie de coronavirus Covid-19, des émeutes ont eu lieu dans une dizaine de prisons iraniennes ces trois dernières semaines. La rédaction des Observateurs de France 24 a pu s’entretenir avec des sources carcérales qui pointent du doigt le manque de produits d’hygiène de base, à l'origine de la colère de nombreux détenus.

Les médias officiels iraniens ont fait état d'émeutes dans plusieurs prisons, ayant causé selon eux un décès à Khorramābād dans la province du Lorestan le 19 mars, et un total de 97 évasions.

Mais selon des activistes de défense des droits de l’homme, une dizaine de prisonniers seraient décédés durant ces émeutes liées au coronavirus. Une publication relayée sur le site internet d’activistes iraniens le 3 avril liste notamment les noms de dix de ces prisonniers avec leurs photos, et dans certains cas, des images de leurs funérailles. Neuf de ces prisonniers sont décédés, selon ces activistes, durant les émeutes qui ont eu lieu les 30 et 31 mars derniers dans deux prisons de la ville d’Ahvaz, dans la province du Khouzistan au sud-ouest de l’Iran. 

Le responsable de la police locale a de son côté affirmé dans les médias iraniens le 31 mars qu’aucun prisonnier n’était décédé. Mais une source carcérale contactée par notre rédaction a affirmé que des familles de victimes ont compté 38 corps en provenance des prisons à la morgue d’Ahvaz. 

Le 27 mars dernier, l’Organisation des prisons iraniennes a expliqué par la voix de son représentant, Ashgar Jahangir, que 100 000 prisonniers avaient reçu des permissions de sortie, soit environ 40% des 240 000 prisonniers iraniens. Or, une source au sein des prisons a expliqué à la rédaction des Observateurs de France 24 que seulement une poignée de prisonniers des deux prisons d’Ahvaz avaient reçu des permissions, car la plupart d’entre eux ne pouvaient pas payer le prix élevé de la caution.

Le 6 avril, l’Iran a communiqué un bilan de 60 500 personnes atteintes du Covid-19, et 3 739 décès.

>> Lire sur Les Observateurs : En Iran, les autorités "dissimulent" de nombreux décès liés au Covid-19

Cette vidéo circule sur les réseaux sociaux en Iran et montre une émeute dans une prison de Tabriz le 26 mars. On entend quelqu’un dire : "Vous pouvez voir les forces de sécurité sur le toit de la prison de Tabriz, et des détenus dans la cour. On a entendu aussi des tirs".

Pas d’eau, pas de savon, et des cellules pleines

Des activistes affirment que les scènes les plus violentes ont eu lieu les 30 et 31 mars dans deux prisons d’Ahvaz, à Sepidar et Sheiban.

Ahmad (pseudonyme) est un ancien détenu de la prison de Sepidar. Libéré l’année dernière, il a gardé contact avec plusieurs détenus et leurs familles, et a pu suivre les émeutes avec ses connaissances encore incarcérées.

Cette vidéo postée le 31 mars montre de la fumée s’échapper de la prison de Sheiban à Ahvaz. Notre Observateur, un ancien prisonnier, explique que les détenus ont mis le feu à leurs serviettes pour protester contre les conditions sanitaires à l’intérieur de la prison.

 

J’ai gardé le contact avec des détenus jusqu’à ce que les communications soient coupées le 31 mars à minuit. Au moins trois personnes sont suspectées d’avoir le coronavirus dans la prison de Sepidar, et des prisonniers dans celle de Sheiban disent qu’il y a au moins un détenu qui serait mort du Covid-19.

Le premier conseil que chacun donne pour faire face au coronavirus est de se laver les mains. Mais c’est impossible dans les prisons d’Ahvaz. La situation sanitaire dans les deux prisons est horrible, en raison du manque d’infrastructures et d’accès à l’eau dans la province du Khouzistan. Parfois, les prisonniers n’ont pas d’eau pendant plusieurs jours.

Dans cette vidéo postée sur Telegram le 27 mars, le narrateur explique : "Voici la prison de Ghezel Hesar [une prison de Téhéran]. Jusqu’à présent, deux ou trois personnes sont mortes du coronavirus ici. Ils ne font rien pour régler ça ! Ils nous gardent dans la cour depuis ce matin. Tous les pays donnent des permissions à leurs prisonniers, excepté notre fichu pays".

 

Les autorités à Sepidar ont diminué les rations de savon l'an dernier, disant qu’elles n’avaient pas les moyens. Les prisonniers doivent donc acheter leur savon à la boutique de la prison. Mais beaucoup de détenus n’ont pas d’argent.

Et actuellement, c’est Norouz, le nouvel an persan, donc les boutiques des prisons sont fermées. Même ceux qui peuvent se le permettre ne peuvent pas acheter de savon.

Cette vidéo, postée sur Telegram le 30 mars, a pour légende : "Actuellement à la prison de Sepidar [à Ahvaz], tous les détenus s’enfuient. La police lance des bombes lacrymogènes.

 

L’autre conseil souvent donné pour faire face au Covid-19, c’est celui de la distanciation sociale. En prison, c’est impossible, surtout dans des prisons comme celles d’Ahvaz qui sont pleines. Elles ont été construites pour accueillir 2 000 détenus environ, mais il y en a environ 4 000 à Sepidar et 5 000 à Sheiban. On trouve parfois 20 détenus dans une seule cellule. Beaucoup de prisonniers dorment à même le sol.

Dans la prison de Sepidar, il y a une salle de quarantaine, généralement utilisée pour les châtiments corporels, pas pour la quarantaine médicale. L’année passée, un détenu est revenu de cette salle avec la tuberculose.

"Certains prisonniers ont eu le corps brûlé, et sont méconnaissables"

L’ancien prisonnier Ahmad nous a affirmé que les émeutes avaient débuté à cause des frustrations liées aux permissions :

 

Beaucoup de prisonniers ont demandé des permissions, comme cela avait été promis par le gouvernement [dès le 3 mars, NDLR]. Mais seulement une dizaine d’entre eux y ont eu le droit. Les gestionnaires des prisons ont refusé beaucoup de demandes, soit parce que les prisonniers étaient considérés comme dangereux, soit parce qu’ils n’étaient pas en mesure de payer la caution. Quand on voit que certains prisonniers ne peuvent pas se payer du savon, comment peuvent-ils payer une caution entre 4 à 10 milliards de tomans [entre 250 000 et 625 000 euros] ?

Donc les prisonniers ont décidé de manifester. Ils ont brûlé tout ce qu’ils ont pu, comme leurs serviettes, et ont pris le contrôle de certains postes de garde. Mais ils n’ont pas pu aller bien loin. Ils se sont retrouvés bloqués entre les feux qu’ils avaient provoqués d’un côté, et les gardiens de prison qui leur tiraient dessus de l’autre.

J’ai parlé avec des familles de prisonniers qui ont identifié les corps de leurs proches à la morgue. Ils disent avoir compté au moins 38 corps, dont 18 venaient de la prison de Sepidar, et 20 de celle de Sheiban. Certains corps étaient totalement brûlés et méconnaissables.

Cette vidéo postée le 5 avril sur Twitter montre les funérailles de Qasem Mokhtary, un prisonnier décédé dans la prison de Sheiban à Ahvaz.

 

Nous sommes inquiets quant à la sécurité de nos amis dans ces prisons. Leurs familles n’ont aucune nouvelle depuis le 31 mars. Aucun appel, aucune visite, aucune information n’est mise à disposition. Certains ne savent même pas si leurs proches se sont échappés, ou sont morts.

Des familles se sont rassemblées en dehors des prisons pour comprendre ce qu’il se passait, mais ils ont reçu comme réponses des gaz lacrymogènes et des coups de bâtons.

Cette vidéo postée sur Twitter le 31 mars montre des familles de détenus se réunir en dehors de la prison de Sepidar à Ahvaz, alors que des émeutes sont en cours à l’intérieur.

Cette vidéo, postée sur Twitter le 31 mars, montre des familles près de la prison de Sheiban, une autre prison d’Ahvaz.

Des émeutes dans au moins dix prisons

Les premières émeutes avaient eu lieu le 19 mars à la prison de Parsilon à Khorramābād, la capitale de la province du Lorestan. Selon les médias officiels, au moins 23 prisonniers, dont la plupart sont des petits trafiquants de drogue, se sont échappés par peur d’être atteint par le coronavirus. Un détenu aurait également été tué par un garde selon des activistes.

Dans cette vidéo filmée le 20 mars, on entend des tirs, et celui qui filme explique : "Ils tirent sur ceux qui sont dans la cour, des balles à blanc je pense. Ce sont des émeutes dans la prison d’Alihoudarz. Les pauvres ont peur du coronavirus "

Les médias iraniens ont fait état d'émeutes dans au moins 10 prisons à travers l'Iran entre le 19 et le 31 mars.

Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent également des détenus courir dans plusieurs directions, certains essayent même d’arrêter des véhicules à Saqqez. Dans cette ville du Kurdistan, les médias ont fait état d'évasions le 27 mars. Au moins 74 détenus ont fui en raison des conditions sanitaires dans le centre médical de la prison.

Dans ces images de vidéo-surveillance publiées le 23 mars sur Telegram, des détenus échappés courrent pour s'enfuir de la prison de Saqqez.

Cette publication postée sur le site Internet d’activistes iraniens le 3 avril montre les photos de détenus supposés être morts durant les émeutes liées au coronavirus. Parmi eux : Mohammad Tamouli, 25 ans, serait mort à la prison de Sepidar à Ahvaz, et Daniel Zynilabedini, 19 ans, à la prison de Mahabad.

Article écrit par Ershad ALIJANI

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