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Pandémie

Covid-19 : le risque d’un lourd tribut des peuples autochtones

Début avril, un cluster de transmission du virus a été découvert en Guyane française. De quoi inquiéter de nombreuses communautés : sans confinement possible ni anticorps suffisant, l’épidémie pourrait fortement les toucher.
par Aude Massiot
publié le 20 avril 2020 à 20h01

«Si le virus arrive dans un village amérindien, en France, cela fera des ravages.» Quelques jours après avoir prononcé ces mots, Claudette Labonté, présidente de la Fédération Palikur de Guyane, a vu ses craintes confirmées. «Ça y est, le 9 avril, un cluster de transmission Covid-19 a été trouvé au sein du village amérindien Cécilia, en bordure de Cayenne», dit-elle à Libération. Y ont été contaminées seize personnes. Immédiatement, le village a été coupé du reste du monde.

Les peuples autochtones (en Guyane française comme ailleurs) qui vivent pour certains isolés ou qui ont vu leur système immunitaire fragilisé par le mode de vie occidental imposé, sont parmi les plus vulnérables face au Covid-19. Dans le nord du Brésil, un adolescent yanomami de 15 ans est mort le 9 avril des complications de la maladie. «Nous fournissons des hélicoptères pour évacuer les personnes vers des centres de santé plus sophistiqués», a tenté de rassurer le ministre de la Santé brésilien, Luiz Henrique Mandetta, limogé il y a quelques jours par le Président, Jair Bolsonaro.

«Invasions de territoires»

Ces «mesures sont insuffisantes», juge Nara Baré, la coordinatrice générale de l'Organisme coordinateur des organisations autochtones dans l'Amazonie brésilienne (Coiab). «Nous craignons l'extinction de certains peuples, comme cela s'est produit par le passé quand des épidémies ont conduit à l'extermination de beaucoup de nos proches, s'inquiète-t-elle. Malgré le contact avec la société, nous n'avons toujours pas les anticorps contre de nombreuses maladies. Alors quand on voit l'impact du coronavirus sur la population générale, nous sommes certains que ce sera une tragédie pour nous !»

Dans les années 60, au Brésil, une épidémie de rougeole au sein des Yanomami a tué 9 % des personnes infectées. Jeudi, 28 cas de Covid-19 étaient confirmés chez les autochtones dans la région amazonienne, et 7 personnes en sont mortes, selon Coiab. La majorité des cas se trouvent dans l’Etat d’Amazonas, qui a déjà déclaré l’effondrement de son système hospitalier en raison de la hausse des cas de coronavirus.

Partout dans le monde, les autochtones sont obligés de vivre à plusieurs familles dans une même maison, à cause du manque d'accès à la terre. «Le confinement y est donc impossible, explique Claudette Labonté. De plus, avec l'arrivée de l'alimentation industrielle dans nos communautés, nos anciens sont nombreux à souffrir de diabète et d'hypertension.» Autant de facteurs de risque face au coronavirus. Elle ajoute : «Depuis le début du confinement, les prix des aliments ont doublé ou triplé. Un paquet de steaks hachés coûte maintenant 13 euros.»

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Pour se nourrir, le peuple de la militante continue alors de pratiquer la chasse et la pêche, au risque de croiser des orpailleurs illégaux, nombreux à profiter de la situation pour exploiter le sol au maximum, et qui peuvent transporter le virus avec eux. «Les rivières sont tellement polluées au mercure en ce moment qu'elles ont changé de couleur», poursuit Claudette Labonté. La préfecture a assuré qu'elle renforcerait les contrôles.

Au Brésil aussi, certains profitent du confinement pour intensifier leurs activités : «Pendant cette période de quarantaine, nous avons vu une augmentation des invasions de territoires indigènes par des mineurs, des coupeurs de bois et même des missionnaires qui insistent pour entrer dans les territoires des peuples autochtones en isolement volontaire», assure Nara Baré.

Isolement dans la forêt

Ces contacts avec la population générale représentent la principale menace pour les autochtones. En Indonésie, l'alliance de peuples Aman, plus de 20 millions de personnes, a elle aussi été endeuillée par le Covid-19. Et elle craint une aggravation de l'épidémie dans l'archipel dans les prochains mois, avec la fête musulmane de l'Aïd, fin mai, lors de laquelle des millions de personnes devraient «rentrer au village», prenant le risque d'y apporter le virus.

Dans les pays riches, la situation n’est pas meilleure. Aux Etats-Unis, la nation des Navajos, qui préfère le nom de Diné, a vu le coronavirus se répandre à toute vitesse sur son territoire, à cheval sur les Etats du Nouveau-Mexique, de l’Utah et de l’Arizona. Le taux de mortalité au coronavirus y est deux fois supérieur à la moyenne nationale, d’après le département de santé navajo. Lundi, 1 197 cas positifs avaient été identifiés, ainsi que 44 morts.

Pour ne pas voir l'histoire se répéter, de nombreuses communautés ont décidé dès mars de se fermer du monde extérieur. D'autres se séparent en petits groupes et partent s'isoler dans la forêt. «Il est plus que prouvé que nous prenons soin de la planète, interpelle Nara Baré. Si nous sommes anéantis, nos territoires seront livrés aux activités extractives et dévastatrices pour la nature.»

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