C’est le sujet que le gouvernement risque de traîner comme un boulet au lendemain de la crise sanitaire. Celui sur lequel les députés de l’opposition vont en tout cas demander des comptes au moment de tirer le bilan de la stratégie française face au coronavirus lors de la commission d’enquête. Comment expliquer que la France, qui consacre 11% de sa richesse nationale aux dépenses de santé, ne dispose pas d’un stock de masques suffisant en cas de pandémie? Pourquoi ne pas avoir conservé le stock d’un milliard de masques constitué par la ministre Roselyne Bachelot en 2009?
Depuis quelques semaines, le gouvernement et la majorité laissent entendre que la faute revient d’abord à des décisions prises sous Nicolas Sarkozy et François Hollande. "Sur les stocks, je ne ferai pas le procès de mes prédécesseurs, a ainsi déclaré Emmanuel Macron au Point, même si parfois ce serait plus facile." Mi-mars devant les députés, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a de son côté assuré que le stock d’Etat comptait un milliard de masques jusqu’en 2013 mais qu’il n’en restait plus que 150 millions en 2020. "Il a été décidé, en 2011 puis en 2013, que ce stock n’était plus indispensable, a souligné le ministre, tant les capacités de production mondiale de masques étaient élevées, notamment en Asie." Manque de chance, l’épidémie ayant frappé la Chine de plein fouet, les importations se sont révélées plus compliquées que prévu…
Opacité sur l'évolution du stock de masques depuis 2017
Pourtant, concernant l’évolution précise du stock de masques depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, le mystère demeure. Quelques jours après l’intervention d’Olivier Véran dans l’Hémicycle, l’ex-ministre de la Santé, Marisol Touraine, a en effet riposté à la mise en cause de son successeur. Elle a affirmé que le stock d’Etat de masques s’élevait encore à 750 millions de masques en 2017, lorsqu’elle a quitté le ministère, soit cinq fois plus que le chiffre avancé par son successeur début 2020. "Je ne sais pas ce qui s’est passé depuis, confie-t-elle, mais je constate que personne au gouvernement n’a depuis contesté mes chiffres, c’est donc que le ministre a les mêmes que moi." Où sont passés les 600 millions de masques qui ont cruellement manqué à la France début 2020? Interrogé, le ministère de la Santé reste muet sur le sujet.
En fait, selon nos informations, en 2018, le ministère de la Santé a réclamé à l’agence Santé publique France un état des lieux du stock d’Etat de masques. L’agence constate alors qu’une large majorité des masques sont périmés et décide de recourir à une entreprise externe pour les tester et établir s’ils sont encore utilisables. Résultat, selon le diagnostic de la société, sur les 750 millions de masques en réserve, seule une centaine de millions sont jugés efficaces. L’agence Santé publique France fait remonter l’information en 2018 au ministère via une note adressée au directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. "Mais cela n’avait pas conduit à reconstituer l’intégralité du stock, sans doute pour des raisons budgétaires", déplore un connaisseur du dossier.
Une recommandation de médecins d'un milliard de masques non suivie
Le 23 avril devant les députés, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, a en partie confirmé ce scénario. Répondant à une question du député UDI Jean-Christophe Lagarde, il a affirmé avoir "fait analyser" les stocks en 2018 et avoir passé "une commande de 100 millions de masques" cette même année. Il a ensuite évoqué un stock de 350 millions de masques "non conformes datant des années 2000" et un stock périmé de 2019 "pour des raisons d’élastique" et donc "utilisables" de 72 millions de masques.
Reste que le stock demeurait sous-dimensionné. En 2016, le ministère de la Santé avait en effet missionné l’agence Santé publique France pour réfléchir au niveau pertinent des stocks stratégiques face à une pandémie. L’agence avait formé un groupe de médecins, pharmaciens et experts pour éclairer le choix du gouvernement. L’avis de ces experts, publié en mai 2019, est limpide. "Les recommandations d’utilisation des masques n’ont pas à être modifiées, relevait-il. En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30% de la population française." Une recommandation pour un stock d’un milliard de masques, donc, qui est restée lettre morte. Contacté le 17 avril, le ministère de la Santé n’avait pas répondu aux questions de Challenges le 23 avril.
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