Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, le 13 janvier 2020.

Alors que le pays entre dans une récession historique et que les autres organisations syndicales tentent de conjuguer sécurité des salariés et reprise du travail, la CGT et son secrétaire général, Philippe Martinez, jouent une autre partition, nettement plus radicale.

afp.com/Ludovic Marin

Un véritable coup de tonnerre. Après deux semaines de reprise partielle, alors que les 1 900 salariés du site s'apprêtaient à reprendre le chemin du travail le 11 mai, la justice a ordonné la fermeture provisoire de l'usine Renault à Sandouville, le 7 mai, à la suite d'un référé déposé par la CGT. La nouvelle a estomaqué les autres syndicats du groupe. "Cette démarche politique me laisse pantois, soupire Franck Daoût, délégué syndical central CFDT chez Renault. Ce site est l'un de ceux où le dialogue social pour préparer la reprise a le mieux fonctionné." Les conséquences pour les salariés sont loin d'être anodines. "Ils vont perdre de l'argent car ils ne sont plus couverts par l'accord de chômage partiel", s'agace l'élu.

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La stratégie du pire

Un cas isolé, celui de Sandouville ? Pas vraiment. Multiplications des procédures, préavis de grève dans les services publics, référé (rejeté) devant le Conseil d'Etat pour arrêter certains pans de l'activité industrielle non essentiels pendant le confinement... Depuis le début de la crise sanitaire, une poussée de fièvre semble avoir gagné la centrale de Montreuil. Comme ce tract du 19 mars qui a rendu rouge de colère le cabinet de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Deux jours après le début du confinement, au moment où la France entière s'inquiète de l'approvisionnement en médicaments et en gel, la fédération nationale des industries chimiques CGT (qui regroupe la pétrochimie, le caoutchouc, mais aussi la pharmacie) appelle à "cesser le travail par tous moyens : droit de retrait, maladie ou grève." "Les salariés ne sont pas de la chair à virus/à canon pour les profits !" est-il écrit en lettres majuscules sur le communiqué. "Chacun peut imaginer les conséquences pour le pays si un tel appel était suivi d'effets", s'offusque un proche de la ministre sur une boucle WhatsApp.

"En tant qu'industrie de santé, on a l'obligation de fournir des médicaments, mais les conditions sanitaires n'étaient pas réunies pour que les salariés travaillent, argumente aujourd'hui Thierry Bodin, responsable CGT chez Sanofi. Les protections manquaient." La menace n'a pas été suivie d'effets : aucun site n'a été mis à l'arrêt, précise la direction du géant pharmaceutique, mais l'exemple illustre le bras de fer qui se joue avec la CGT.

Un combat politique

Alors que le pays entre dans une récession historique et que les autres organisations syndicales (à l'exception de Sud) tentent de conjuguer sécurité des salariés et reprise du travail, la CGT joue une autre partition, nettement plus radicale. L'appel à cesser le travail a irrité jusqu'au sommet de l'Etat. "Lors d'un échange avec le gouvernement, Philippe Martinez a essayé de le justifier en expliquant que c'était préventif, mais il était mal à l'aise", raconte l'un des participants à la réunion. Le chef de file n'aurait pas forcément l'autorité nécessaire sur certaines fédérations. "L'attitude de la CGT est surréaliste, commente Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail et fin connaisseur des relations sociales. Cela montre bien qu'elle n'a aucune culture de l'économie de marché." Auteur de La Démocratie sociale en tension (Septentrion, 2018), Dominique Andolfatto se veut plus nuancé, mais il n'en est pas moins sévère. "Les préavis de grève visent, semble-t-il, à protéger les salariés usant de leur droit de retrait, mais tout cela est confus, voire irresponsable, décrypte le chercheur. Pour la centrale, tout doit s'arrêter par précaution, peu importe l'avenir. La crise sanitaire serait même une divine surprise, l'occasion de changer le système. Le fait que l'économie française résiste ou s'effondre n'est pas son problème."

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Au moment où les entreprises multiplient les rencontres avec les représentants du personnel, sur le terrain, les échanges se crispent. "C'est chaud !" souffle un patron. "Alors qu'ils participaient avant au dialogue social, la position des élus de la CGT a changé du tout au tout depuis le confinement, témoigne le directeur d'une entreprise du bâtiment. Ils ne sont plus constructifs, ils s'opposent à tout, menacent de faire appel au droit de retrait ou à l'inspection du travail." Dans l'affaire Sandouville, c'est un défaut de procédure de consultation des représentants du personnel, et non un constat sanitaire, qui a mis l'usine à l'arrêt. Les élus cgtistes n'auraient pas reçu les convocations aux réunions préalables à l'ouverture du site.

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Le jusqu'au-boutisme du syndicat qui s'est illustré lors du conflit sur les retraites est encore monté d'un cran. "La CGT est passée d'un registre syndical à un registre politique, dans un combat assez éloigné des enjeux du terrain, souligne un observateur. Ses revendications sont complètement décalées, loin de celles des autres organisations syndicales qui ont à coeur de préserver l'outil industriel français et l'emploi."

La centrale de Philippe Martinez jouerait-elle une carte électoraliste ? "Leur seule façon d'exister, c'est d'organiser les luttes, ils sont dans le chaos social permanent", soupire un élu du terrain. Alors que la confédération est en perte de vitesse, sa radicalité serait une façon de regagner des adhérents, mais surtout de coiffer un futur mécontentement social de type gilets jaunes. A l'heure où beaucoup de salariés s'inquiètent de perdre leur emploi, la stratégie semble pour le moins risquée.

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