Bretagne, la ruralité avant l’agrobusiness, par Guy Hersant, photographe

a
© Guy Hersant

Saint-Jean-Brévelay est une commune située dans le Morbihan (56), mieux un territoire, mieux encore un pays.

En 1982 et 1983, le photographe Guy Hersant, répondant à une commune de La Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou, est allé à la rencontre de ses habitants, de ses paysages, de ses fêtes, de ses rites.

La Bretagne poursuit alors son grand virage, s’éloignant de l’agroécologie naturelle pour les sirènes enchanteresses de la mécanisation rationnelle de ses terres et de ses pratiques.

Le remembrement la défigure pour une grande part. Peut-être le fallait-il, la Communauté économique européenne avait ses raisons, je ne suis pas spécialiste.

d
© Guy Hersant

Saint-Jean-Brévelay est considérée alors comme un village pionnier dans l’élevage industriel de volailles.

Endettements, agrandissements, taux de rentabilité, rendements, sourires du Crédit Agricole.

Avec le temps, la valeur ethnologique du reportage au long cours de Guy Hersant s’accroît, sa curiosité l’ayant aussi amené à Guéhenno, à Plumelec, à Bignan, à Pontivy (Concours agricole), à Locminé, au festival itinérant Elixir.

L’ancien monde côtoie encore le nouveau, qui peu à peu l’avalera.

aa
© Guy Hersant

Des tracteurs qu’on peut encore bricoler, et non des usines sur quatre roues.

Des familles travaillant ensemble à la récolte du foin, plutôt que des ouvriers agricoles employés comme des mercenaires.

Des fourches, des bottes, des bérets, du courage, et peu de regrets d’être là – Guy Hersant privilégie les sourires et les visages concentrés.

La qualité du travail ne se juge pas en nombre de billets de cinq cents francs affichant la tête de Pascal, mais à l’aune de la beauté du paysage préservé, valorisé, aimé.

L’ouvrage ne manque pas, que le menhir du bord de route envisage sans ironie.

m
© Guy Hersant

Les images en noir et blanc du photographe témoignent d’une harmonie, d’un accord, d’une sorte d’assurance dans le destin et la place qu’on y occupe, d’une sécurité dans le passage des saisons.

Des Gauloises, plutôt que des Américaines.

Des télévisions qui grésillent, plutôt que des Cyclopes menaçants.

Des sorties d’églises et des bistrots remplis, plutôt que des cierges méprisés et des commerces désertés.

r
© Guy Hersant

Des familles je vous hais en vous adorant, plutôt que des solitudes s’ignorant.

Des gosses dans la rue et les champs, plutôt que des consommateurs fascinés par les réseaux de communication et la vitesse de connexion.

Mais combien sont-elles ces dindes, éclairées par la lumière artificielle du hangar ?

Des animaux ? des êtres sensibles ? des autres nous-mêmes ?

Ça tue en masse, ça réclame sa part quotidienne de viande, ça part au boulot faire couler le sang des bêtes.

Ça comptabilise, ça chiffre, ça pue la peur de mourir.

1
© Guy Hersant

Petits qui partez à l’école, apprenez bien vos leçons, ou pas, le capital se chargera de toute façon de vous.

Alors, avant de connaître un peu plus l’empire de la mort, il y a les fêtes, l’alcool, les baisers, les danses, la vie carnavalesque, le sport bon enfant, et un tee shirt à l’effigie de Jim Morrison enfilé sur quelque saint du calvaire de Guéhenno (dernière image).

Le peuple de Guy Hersant est dur au labeur, joyeux, facétieux, et tendre dans ses joies simples.

j
© Guy Hersant

Passéiste cet article ? Rétrograde ? Réactionnaire ? Antimoderne ?

Bien sûr, mais aussi souterrainement faulknérien.

Dans son texte (préface), Marie-Hélène Lafon résume : « On n’avait pas inventé les ronds-points. »

SJB-2couv

Guy Hersant, Un photographe en campagne, Saint-Jean-Brévelay, 1982-1983, textes Marie-Hélène Lafon et Gilles Luneau, Filigranes Editions, 2019,168 pages

Guy Hersant – site

Filigranes Editions

 

Laisser un commentaire