L’esclavagisme : l’être humain, une marchandise comme les autres

Une pratique qui n’a jamais cessé d’exister

Est-ce que l’esclavagisme a disparu ? Est-il une parenthèse de l’histoire que l’on peut attribuer à la traite négrière où le monde occidental s’approvisionnait en Afrique. À cette période on estime qu’il y a eu environ, entre le VII et le XIX siècle, de 7 à 12 millions d’africains arrachés par la force pour servir un modèle économique esclavagiste international. Cette pratique n’est pas exclusive aux puissances Européennes et Américaines. Elle fut réalisée par l’ensemble des grandes puissances à travers l’histoire. Par exemple, L’Empire Ottoman avait une forte demande d’esclaves domestiques. Également, l’Égypte réalisait des razzias dans le Soudan pour s’alimenter en main d’œuvre. De nombreux événements similaires pourraient être mentionnés.

Pas à pas, une vague d’abolition se déroule dans l’Occident du XIXème. En 1808 les États-Unis interdisent la traite (ceci ne sera pas réellement respecté), l’Argentine suit en 1813, en 1833 c’est au tour des colonies Britanniques d’interdire la pratique. Dans les colonies françaises, c’est plus tardivement, en 1848 que la traite officielle d’être humains est interrompue. Une première abolition avait eu lieu en 1794 avant le retour autorisé en 1802. Cela n’empêchera pas le commerce illégal, sous le regard bienveillant des grandes puissances de continuer et ceci au sein même de leurs territoires. La déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 devait être le point final de la pratique esclavagiste dans le monde, sans résonance globale.

L’esclave est, d’un point de vue matériel une propriété privée de ses libertés, qui ne peut changer d’activité et qui est maintenu dans un état de servitude. Cet condition s’entretient notamment par la force ou par des moyens de contrôle détournés, notamment par l’addiction volontaire à des drogues.

Instabilité politique, corruption, guerre, pauvreté, discrimination ethnique / sociale et culture traditionnelle telles sont les facteurs permettant la mise en place de ce type de modèle économique. Pour autant, l’enrichissement et la compétitivité qu’apporte un être humain transformé en bien reste le premier facteur engendrant la servitude. A l’heure actuelle, l’achat d’un esclave en Asie coûte entre 100 et 1 000$ et entre 2 000 et 8 000$ en Europe de l’Ouest. Le prix d’achat est rapidement remboursé car la rentabilité s’élève à 1 000% par an. Il y a donc une persistance de l’esclavagisme mais sous quels formes ? À quel niveau ? C’est ce que nous allons essayer de voir.

 

I. L’esclave : un bien humain utilisé à travers le monde

Map mondial esclavagisme

Selon les chiffres officiels il y aurait à travers le monde 41 millions d’esclaves. La première région touchée par ce phénomène demeure l’Asie qui en exploite 25 millions. L’Inde à elle seule en comptabilise 7,9 millions, loin devant la Chine, 2ème marché, qui en utilise 3.8 millions. Ces deux nations regroupent à elles seules 28.5% de l’ensemble mondial d’individus assujettis.

L’estimation du nombre de personnes soumises à l’esclavagisme moderne est difficile à réaliser. Dans le cas de la Thaïlande, « The Global Slavery Index » émet le chiffre de 610 000 esclaves tandis que certaines enquêtes de terrain considèrent qu’il y a 2 millions d’esclaves accompagné d’une très forte prédominance dans le secteur de la prostitution. Le fait que l’esclave soit soumis, contrôlé par le biais de la force, de la drogue et qu’il dispose d’un revenu soit inexistant soit soumis au contrôle de son propriétaire l’empêche de s’émanciper et d’exister publiquement. Il est donc invisible pour la société.

Cette pratique touche majoritairement les femmes, soit environ 71% du marché. Les enfants, cibles les plus fragiles, seraient 9.959 millions, soit 24.2% de l’ensemble. Aucun continent n’est épargné par cette activité lucrative contraire aux droits de l’homme.

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Les formes d’exploitation des esclaves sont variées. Exploitation sexuelle, travail forcé, travail domestique, mendicité, mariage voir même trafic d’organes sont les activités qui leurs sont allouées. Les diagrammes ci-dessus montrent la répartition des tâches selon leurs proportions. Le travail forcé représente 39.7% Le mariage forcé est en seconde position. Ce qui peut surprendre est le fait que cela touche aussi les hommes alors que dans l’imaginaire collectif cela est souvent une affaire de prédation d’hommes envers des femmes. Par ailleurs, 1/3 des mariages est réalisé avec un enfant, souvent vendu par ses parents.

Dans le travail forcé l’activité domestique représente 24% de l’activité qui est réalisée à 61% par des femmes. Arrive ensuite la construction18% – composée à 82% d’hommes. Il y a donc une attribution du rôle selon le sexe de l’esclave. Les femmes sont tournées essentiellement sur des enjeux sexuelles, mariages forcés et prostitutions.

La prostitution est un secteur violent. Les femmes sont enfermées dans des milieux similaires à celui du carcérale. Le paiement de leur activité par leurs proxénètes n’est pas régulier et est soumis à de nombreuses taxes aléatoires (pas assez de clients, lit mal fait etc). Tout est prétexte pour diminuer au maximum les gains dérisoires que ces esclaves peuvent espérer récolter pour payer leurs dettes et s’affranchir.

Aux États-Unis, les bordels légaux du Nevada et du Nouveau-Mexique assurent la sécurité avec des chiens, des gardes et des murs grillages. Véritables prisons où les prostituées sont bien souvent des esclaves qui ne peuvent s’échapper. 15% des suicides aux États-Unis sont attribués à des femmes travaillant dans le marché du sexe.

 

II. Un commerce local et international

Monde

La Mauritanie est un cas particulier où réside 3 différentes catégories de population. Tout d’abord, Les Maures blancs, 40%, d’origines arabo-berbères en haut de la hiérarchie sociale. Puis, les Maures Noirs, 40%, descendants d’une population noire ayant subi les razzias esclavagistes mais désormais intégrées et affranchies. Enfin, il y a la catégorie « Négro-Mauritanien », pesant pour 20% de la démographie nationale. Ils sont en bas de la société et sont l’objet d’une forte prédation esclavagiste. Il y aurait en Mauritanie entre 43 000 et 150 000 esclaves, pour une population totale de 4.42 millions. Il y a donc entre 0.9% et 3.3% d’hommes non libres dans cette nation.

En 2015, le pays s’est doté d’un nouvel outil juridique pour interdire et pénaliser la pratique. Or, dans un même temps le double discours continue d’exister. Amnesty International a répertorié un total de 168 cas d’arrestations de militants abolitionnistes dont 17 au moins auraient subi la torture par les pouvoirs en place entre 2014 et aujourd’hui. En 2016 sur 46 affaires judiciaires touchant à cette pratique, seuls deux individus ont été condamné.

Au Niger, il y aurait entre 43 000 et 800 000 esclaves. Un écart gigantesque dans les chiffres qui s’explique par plusieurs difficultés. Un individu qui travaille sans demander rémunération mais qui est nourri et logé n’est pas considéré par la société nigérienne comme esclave. De plus, s’opposer ouvertement au problème c’est souligner que l’esclavagisme existe. Ainsi, un chef de village désireux de rendre la liberté aux 7 000 forçats contrôlés par son clan s’est vu empêché à la dernière minute par les pouvoirs publics qui l’ont arrêté et mit en prison. Le même problème apparait au Soudan et au Tchad où les autorités dénigrent le problème et considère que cette pratique est réalisée par une frange marginale de la société.

Sur le continent Africain le trafic est souvent local ou tout du moins régional. Le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Bénin pourvoient en esclaves les pays de la région. Ils seront notamment exploité dans l’agriculture, la pêche et le travail domestique. Plus globalement, sur le continent Africain, 63% des esclaves sont utilisés afin de réaliser des mariages forcés, soit environ 5.8 millions de femmes.

Pour ceux qui essayent de fuir la guerre et l’insécurité en Afrique, le continent Européen est un phare qu’il faut rejoindre qu’importe le prix. L’Algérie n’est plus un point de passage, l’État refoule les migrants directement dans le désert au sud du pays. C’est entre 10 000 et 11 276 de désespérés qui ont ainsi été expulsés. La Libye devient alors le nouveau point d’ancrage. Nation en guerre civile depuis la chute de M. Kadhafi, les groupes armés terroristes sillonnent le sud du territoire, utilisant les migrants comme biens qu’ils peuvent ensuite revendre aux clans locaux. Ils les font alors travailler où les utilisent comme esclaves sexuels. S’ils arrivent à passer outre les bandes armées ou s’ils sont revendus, ils doivent alors affronter les milices, financées par l’Italie, qui gardent les grands ports du pays. Les miliciens les envoient dans des centres de rétentions avant un éventuel passage vers le continent Européen où ils risquent bien souvent d’être soumis à de lourdes dettes et finir ainsi esclaves d’un système.

Sur le plan mondial, comme la carte ci-dessus le montre, les pays de l’Occident de l’Ouest restent des nations demandeuses en esclaves. Les nations pauvres du Sud ravitaillent en esclaves un Nord développé économiquement qui obtient ainsi une main d’oeuvre corvéable à merci. En Espagne, ces forçats du monde moderne sont utilisés dans l’agriculture. En France, ils alimentent la prostitution, le travail agricole ou encore des industries textiles.

 

III. Les enfants : vendus par leurs parents

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Sur les 9.9 millions d’enfants esclaves à travers le monde, environ 1.2 millions alimentent le marché international. La majorité de cette forme d’exploitation est donc tournée vers une économie locale. 94% sont vendus par leurs parents, pauvres ou endettés qui voient dans cette vente les moyens de subvenir à leurs besoins. Dès les premiers jours, ils subissent des sévices corporels, sont drogués et amené à une situation de sous-alimentation afin de garder un contrôle total.

Dans le cas du mariage forcé, qui représente environ 57% du marché d’esclaves d’enfant, cela peut-être dans le cadre familial, auprès d’un oncle qui une fois lassé, revendra son bien à une tierce personnes. Ce dernier pourra alors lui aussi l’utiliser puis la revendre jusqu’à épuisement ou perte de valeur du nouveau bien.

Au Népal, plaque tournante de la vente d’esclave pour approvisionner l’Inde, le prix à l’achat de l’esclave homme est de 110$ tandis que celui d’une femme est de 175$. Le trafic se réalise via des intermédiaires qui viennent acheter directement auprès des parents (qui reçoivent environ 22$). Le nouveau bien acquis subira durant son transport dans bien des cas des situations de viols et de maltraitance. Si durant le trajet il essaye de s’évader il peut-être égorgé devant le reste de la cargaison qui devra ensuite nettoyer le sang. Ce premier contact avec ce business de l’être humain doit être brutal, afin de briser en 20 jours maximum toutes formes de volonté et de résistance, rendre l’enfant (ou bien l’adulte) malléable et soumis à la terreur afin d’empêcher toutes formes de contestations.

Une fois arrivé sur place, la prostitution infantile est monnaie courante pour assouvir les besoins d’une clientèle locale ou internationale. La violence de leurs nouveaux maîtres et des clients ne connait alors pas de limite sur ces biens déshumanisés :

« Dans presque tous les bordels que j’ai visités, j’ai entendu au moins un cri résonner dans les couloirs sales des bordels… Une fillette est revenue dans son village, le bras cassé car elle refusait d’avoir des rapports sexuels avec un client »
Siddaharth Kara, Inside the Business of Modern Slavery, Colombia University Press, 2009,p.49

Parqués, parfois dans des cages et sans espoirs, les esclaves sont vidés de leur humanité et ne peuvent espérer retrouver la liberté. Les enfants qui sont l’objet d’un trafic réalisé avec l’approbation des parents, rémunérés, ne peuvent espérer s’échapper de cet enfer.

 

Bilan :

Le constat est donc accablant. L’estimation basse est de 41 millions d’esclaves à travers le monde et souligne l’étendue de la situation. L’ensemble des continents est touché par cette pratique et la lutte pour endiguer son développement semble en dessous des besoins.

L’esclave moderne répond à une demande internationale d’un bien consommable et jetable. Sa survie n’est pas prioritaire car la capacité d’approvisionnement du marché semble sans limites. La chute des prix de l’être humain favorise une offre qui détruit l’individu pour le rendre malléable. Invisible aux yeux de la société et sans défenses ils ont dans bien des cas aucuns espoirs de s’émanciper et sont pris dans un engrenage infernal. Frappés, drogués et abusés sexuellement, l’esclavagisme moderne est le pendant d’une humanité débridée qui déshumanise son prochain afin d’assouvir ses besoins économiques et charnel.

 

Sources :

Le commerce triangulaire
https://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/DORIGNY/15328
Quelques dates sur l’esclavagisme
https://www.universalis.fr/encyclopedie/abolition-de-l-esclavage-dans-le-monde-reperes-chronologiques/
L’Empire Ottoman et ses esclaves
https://www.cairn.info/revue-historique-2006-4-page-813.htm
Définition de l’esclave
http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/international-migration/glossary/slavery/
Une pratique qui continue malgré l’abolition de la traite des esclaves
https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1962_num_2_7_2982
Statistiques internationaux sur l’esclavagisme moderne
https://www.globalslaveryindex.org/2018/findings/highlights/
Structure ethnique – Mauritanie
http://www.unice.fr/bcl/ofcaf/25/Ould%20ZEIN%20Bah.pdf
Estimation des chiffres en Mauritanie
https://mondafrique.com/la-mauritanie-premier-pays-esclavagiste/
Loi pénalisant l’esclavagisme en Mauritanie
http://www.rfi.fr/afrique/20150815-loi-esclavage-mauritanie-double-discours-ong-ira-balla-toure
Les abolitionnistes : traqués et torturés
http://geopolis.francetvinfo.fr/mauritanie-la-chasse-aux-militants-contre-l-esclavage-bat-son-plein-183575
46 affaires d’esclavagisme, 2 condamnations – Mauritanie
https://www.liberation.fr/planete/2018/03/27/en-mauritanie-la-lutte-contre-l-esclavage-etouffee_1638143
Niger – l’esclavagisme traditionnel
https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/esclavage-au-niger-le-combat-pour-la-liberte_482220.html
Fiche – Afrique
https://www.globalslaveryindex.org/2018/findings/regional-analysis/africa/
L’Algérie refoule les migrants dans le désert
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/28/les-autorites-algeriennes-continuent-d-expulser-les-migrants-en-plein-desert_5322528_3212.html
Libye : les ports sous contrôle des milices
http://www.rfi.fr/afrique/20171120-indignation-apres-diffusion-cnn-images-marches-esclaves-libye
Espagne – Agriculture & esclaves modernes
https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/12/19/en-espagne-neuf-interpellations-pour-l-emploi-de-migrants-esclaves-dans-des-serres_4835298_3214.html
France – les esclaves modernes
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/10/01016-20160310ARTFIG00048-l-esclavage-moderne-existe-dans-notre-pays.php
L’élevage en batterie des femmes prostituées
https://sisyphe.org/imprimer.php3?id_article=912

Ouvrages / Revues

Hans van de Glind and Joost Kooikmans, Modern-Day Child Slavery, International Labour Organization, Journal Compilation, 2008, pp.150 – 166
Kevin Bales, Zoe Trodd and Alex Kent Williamson, Modern Slavery – The Secret World of 27 million people, OneWorld, 2009, pp.234
Siddaharth Kara, Inside the Business of Modern Slavery, Colombia University Press, 2009, pp.320
Pour aller plus loin :

Conséquences de l’esclavagisme en Afrique
https://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/DIOP_MAES/15329
Global Estimates of Moderne Slavery – Rapport officiel
https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/documents/publication/wcms_575479.pdf
Carte du niveau d’esclavagisme
https://www.globalslaveryindex.org/2018/data/maps/#prevalence
Détail de l’esclavagisme
https://education.francetv.fr/matiere/education-civique/premiere/article/panorama-sur-l-esclavage-dans-le-monde
Rapide retour sur l’esclavagisme
https://education.francetv.fr/matiere/epoque-contemporaine/cinquieme/video/qu-est-ce-que-l-esclavage-moderne

Les routes de l’esclavage (1/4) – Arte
https://vimeo.com/271050648
Les routes de l’esclavage (2/4) – Arte
https://vimeo.com/269223863
Les routes de l’esclavage (3/4) – Arte
https://vimeo.com/269223986
Les routes de l’esclavage (4/4) – Arte
https://vimeo.com/269224190

6 réflexions sur “L’esclavagisme : l’être humain, une marchandise comme les autres

  1. Il aurait été bon de procéder, en début d’article, à une définition de ce qu’est un esclave et notamment un esclave moderne, puisqu’il semble que ce soit une définition assez problématique. En effet, vous parlez des mariages forcées et de l’endettement comme une forme d’esclavage, de même pour les emplois non-rémunérés (mais avec logement et repas garantis). Peut-on pour autant considérer cela comme de l’esclavage ? C’est là un problème puisqu’on pourrait être amené à penser le contraire sans une définition précise de ce qu’on entend par esclave.
    Un autre point qui m’a embêté : les cartes. Elles sont très bien faites, mais parfois le choix des couleurs ne me semble pas judicieux. C’est le cas de la carte de la traite des esclaves dans le monde de la deuxième partie : il y a deux bleus différents sur la carte et qu’un seul présent dans la légende. On a alors du mal à comprendre ce qu’est l’autre couleur…
    Très bon article sinon, très intéressant !

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  2. Je savais que le phénomène existe, y compris dans mon pays, mais pas à une telle ampleur. C’est dramatique et révoltant. Il faut cependant plus de sensibilisation et d’informations pour lutter contre cette honte du siècle. Mais cette lutte sera dure et longue car les esclavagistes sont les puissants de ce monde. A commencer par les Etats.

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  3. Excellent travail, bien documenté. Travaillons à abolir les formes modernes d’esclavages. Ne soyons pas les les esclaves serviles de certainsuccès groupes de pression ( politiques, syndicaux…)

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