Évolution

L’origine du plumage plus coloré des mâles élucidée chez les canaris mosaïques

Chez les oiseaux, les mâles arborent souvent un plumage plus coloré que les femelles. Le mécanisme génétique à l’origine de cette différence a été déterminé chez le canari mosaïque.

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Canaris mosaïques

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Les couleurs du plumage des oiseaux sont souvent plus vives et plus prononcées chez les mâles que chez les femelles. On parle de « dichromatisme sexuel ». Pour Darwin, cette différence s’expliquait par l’action des femelles qui, durant des générations, avaient choisi de s’accoupler avec les mâles arborant les plus vives parures. Ces derniers seraient ainsi devenus au cours du temps, par sélection sexuelle, de plus en plus colorés. Or récemment, des études ont montré que le dichromatisme sexuel des oiseaux résulterait plutôt d’une perte de couleur chez les femelles. Ce plumage, permettant un meilleur camouflage, serait le produit de la sélection naturelle. Entre sélection sexuelle et sélection naturelle, quel mécanisme choisir ? Małgorzata Gazda, de l’université de Porto, au Portugal, et ses collègues ont apporté un nouvel éclairage à ce débat, en identifiant le gène responsable du dichromatisme sexuel chez le canari mosaïque.

Les couleurs les plus vives du plumage (rouge, orange, jaune) sont généralement dues aux caroténoïdes, des pigments qui proviennent de l’alimentation et sont transportés jusque dans les plumes. Une accumulation différente de ces pigments chez les mâles et les femelles est souvent à l’origine du dichromatisme sexuel. C’est le cas du canari mosaïque, une variété de canaris dont le plumage, majoritairement blanc, diffère selon le sexe par la présence de taches unies (jaunes à rouges), plus ou moins étendues.

Cette variété de canaris a été obtenue de manière empirique par des éleveurs, au début du XXe siècle, en croisant à plusieurs reprises des canaris domestiques, qui ne présentent aucune différence de plumage, et des tarins rouges du Venezuela, une espèce où le dichromatisme est très marqué (elle est à l’origine de ce caractère chez les canaris mosaïques). Dans ces croisements, la proportion de canaris d’aspect mosaïque était toujours faible, ce qui a permis plus tard aux généticiens de comprendre que le « caractère dichromate » était récessif, c’est-à-dire qu’il devait être présent en deux versions identiques sur les chromosomes (gène homozygote) pour s’exprimer.

Pour trouver le gène à l’origine du dichromatisme, Małgorzata Gazda et son équipe ont séquencé l’ADN des canaris mosaïques, des canaris non mosaïques et des tarins rouges. Leur objectif était de trouver les gènes homozygotes présents chez le tarin rouge et chez tous les canaris mosaïques. Trois gènes ont ainsi été identifiés : PTS, BCO2 et TEX12.

Pour élaguer cette liste de candidats, les chercheurs ont analysé l’expression des trois gènes dans les plumes de la queue des canaris mosaïques, une région colorée uniquement chez les mâles. Seul le gène BCO2 a révélé une expression variable selon le sexe des individus, permettant ainsi de l’identifier comme le gène à l’origine du dichromatisme sexuel chez ces oiseaux. Or le rôle du gène BCO2 est connu depuis quelques années. Ce dernier code une protéine qui intervient dans la dégradation des caroténoïdes.

En accord avec ces données, les chercheurs ont montré que la production de protéines BCO2 était inversement proportionnelle à la quantité des pigments présents dans les plumes du canari mosaïque, la protéine étant très concentrée dans les plumes blanches, et peu présente dans les plumes jaunes et rouges. À l’échelle des individus, le plumage moins coloré des femelles provient donc d’une production accrue de protéines BCO2, empêchant l’accumulation de pigment et donc la coloration des plumes.

Les travaux de Małgorzata Gazda et de son équipe nous permettent de comprendre que chez les serins (les canaris sont la forme domestiquée du serin des Canaries) le plumage de la femelle résulte en partie d’une dégradation active des couleurs, due au gène BCO2.

Si le mécanisme génétique sous-jacent au dichromatisme sexuel chez le canari mosaïque est ainsi élucidé, cette étude ne suffit néanmoins pas pour dire s’il résulte d’une sélection naturelle ou sexuelle. Il faudrait pour cela connaître l’état ancestral du gène BCO2 : est-il apparu uniquement chez les femelles et a-t-il conduit à la perte de couleur, un caractère retenu par la sélection naturelle ? Est-il apparu chez les mâles et les femelles et a-t-il été perdu par les premiers, avec un gain de couleur qui aurait été conservé par sélection sexuelle ?

L’étude montre toutefois que ces résultats sur le gène BCO2 ne sont pas applicables chez le roselin familier, un oiseau proche des serins : il existe vraisemblablement d’autres gènes à l’origine du dichromatisme sexuel parmi les oiseaux. Il n’est donc pas exclu que chez les oiseaux, différents scénarios évolutifs soient à l’origine de la différence de couleur entre mâles et femelles.

Coraline Madec

Coraline Madec est enseignante en biologie et journaliste indépendante.

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Références

M. A. Gazda et al., A genetic mechanism for sexual dichromatism in birds, Science, vol. 368, n° 6496, pp. 1270-1274, 2020.

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