Patrick Lowie : « L’arbre des rêves a grandi en moi, mes mains sont des branches et les rêves parlent pour moi »

Patrick Lowie par Gaëtan Chekaïban (courtesy Patrick Lowie)

Entretien de Patrick Lowie, « bricoleur de rêves », avec Pierre Guéry, réalisé pour Diacritik par échanges de mails entre le 28 juillet et le 30 août 2020.

Né à Bruxelles en 1964, Patrick Lowie a une vie de multiples professions, combats artistiques et villégiatures. À 31 ans, il écrit son premier livre Je suis héros positif, un recueil de nouvelles. De 2000 à 2005, il publie la trilogie des illusions (Au rythme des déluges, La légende des amandiers en fleur et L’enfant du Kerala), trois romans qui se déroulent au Maroc, ainsi qu’une pièce de théâtre, Le Plongeoir, qui fut jouée en plusieurs langues.

En décembre 2013, à la sortie de son livre Amaroli Miracoli aux éditions Maelström, Patrick Lowie annonce à la RTBF qu’il s’agit du début d’une série littéraire de quarante épisodes accompagnée de performances musicales, intitulée Les chroniques de Mapuetos et jalonnée de nombreux récits de rêves. Elle est censée avoir été écrite par un certain Marceau Ivréa, qu’il prétend avoir découvert et dont il aurait recomposé le travail disparate. Dans la fiction littéraire de Lowie, Marceau Ivréa est présenté comme un écrivain belgo-italien retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Saint-Gilles en Belgique, auteur de milliers de pages retrouvées dans une chambre du Grand Hôtel Liégeois de Bruxelles.

Depuis 2016, il écrit des portraits oniriques de personnalités sur le site Next-F9.com, portraits dans lesquels ce nom étrange de Mapuetos revient souvent…
Drôle d’histoire à tiroirs.
Entretien avec un bricoleur de rêves.

Dans la vidéo de présentation que l’on trouve en page d’accueil de votre site Next (F9) on perçoit une superposition de diverses langues – cette superposition barrant tout accès au sens de ce qui est dit en chacune de ces langues – puis on entend distinctement la phrase « Je m’appelle Patrick Lowie » qui à son tour devient immédiatement une liste de noms de personnes  que vous avez déjà portraiturées.
Ainsi, un certain brouillage – pour ne pas dire un brouillage certain – se place en exergue du projet. Est-ce que ce brouillage, qui en annonce d’autres sur lesquels nous reviendrons, était un protocole préalable au projet ? Ou bien s’agit-il, plus largement, d’une forme d’automatisme caractéristique de votre écriture – que celle-ci aille vers la poésie, la fiction, ou encore vers des formes hybrides et non-identifiées de la littérature ?

La vidéo en question a été réalisée par l’artiste brésilien Marcelo Favaretto. Marcelo devait, dans le cadre de ses études Film, television and media studies à l’Université Carlos III de Madrid, réaliser un portrait en vidéo. Tous ses collègues ont proposé des portraits d’amis ou de membres de leur famille ; mais lui, lorsqu’il a entendu le mot portrait, a instantanément pensé à moi. Il s’est dit que ce qui serait génial, ce serait de faire un portrait de quelqu’un qui écrit des portraits. Non pas faire un portrait de moi en tant qu’individu mais plutôt en tant que portraitiste onirique. Pour lui, c’était clairement l’idée – très surréaliste – du portrait du portrait. Nous nous sommes rencontrés à Bruxelles, je lui ai fait visiter ma ville et en marchant nous avons beaucoup parlé d’art, des rêves, de la vie. Aujourd’hui je vois cette rencontre comme un rêve.

À la fin de son court séjour, il a décidé de réaliser cette vidéo. C’est Marcelo qui est sur la chaise au début ; il était dans un nouveau monde – au Brésil tout est très unilingue et dans cette vidéo, il ressentait le besoin d’être dans le multilinguisme : un Brésilien qui fait ses études à Madrid, qui parle l’anglais et en français avec un écrivain belge, ce qui me correspondait aussi très bien puisque je suis moi-même polyglotte. Dès que la phrase « Je m’appelle Patrick Lowie » fut prononcée, il trouva normal de citer un grand nombre de personnes que j’avais déjà portraiturées, comme si ces personnes étaient en moi, comme si j’étais un miroir qui avait aspiré tous ces noms, parce que je suis un artiste protéiforme aux nombreuses personnalités.

La vidéo fut réalisée après le début du projet Next (F9), et en la voyant il était clair pour moi qu’elle devait être en page d’accueil. Marcelo avait exactement compris l’idée que je voulais développer : il a fait de moi, avec cette vidéo, ce que je faisais avec les autres.

Vous parlez, à juste titre, de brouillage, ce qu’on pourrait comprendre de façon péjorative ; mais le brouillage est le symbole du rêve justement, sa représentation visuelle dans le cinéma ou la photographie. Chez le réalisateur Jean Epstein par exemple, les symboles liés aux rêves sont toujours les mêmes : l’œil, le brouillage, les images au ralenti, les rouages de l’horloge, etc…

Et donc oui, forcément, j’ai voulu indiquer clairement où nous étions : « Les enfants, nous sommes dans des rêves ! », car je ne voulais pas que les gens puissent penser que l’histoire que je raconte est vraie. Or, malgré tous les avertissements, beaucoup de lecteurs pensent que j’écris des histoires réelles. Marcelo travaille maintenant dans une chaîne de télévision brésilienne, EPTV, où je l’espère il pourra développer son talent de magicien des images poétiques et surréalistes.

Marcelo Favaretto © courtesy Patrick Lowie

Plus largement, Next (F9) entre dans le cadre des Chroniques de Mapuetos, une ville qui n’existe pas dans un monde qui n’existe pas. Pour des raisons que je pourrai détailler plus loin, ce projet m’a pris au dépourvu : j’ai rêvé de cette ville et depuis j’essaie de la décrire, sans jamais arriver à la maîtriser. Et tous les portraits tournent consciemment ou inconsciemment autour de Mapuetos.

Quant à mon écriture depuis ce rêve de septembre 2012, en effet elle ressemble à s’y méprendre à de l’écriture automatique : pour écrire un portrait, j’entre dans une forme de transe, une forme de rêve éveillé ; à un moment je pense rêver mais je n’existe que dans le portrait onirique que j’écris de la personne, donc je ne sais plus si je suis dans le rêve ou si je rêve au rêve ; ou, pire, si ces rêves ne sont que le résultat de mon imagination !

Mapuetos

Ce nom de Mapuetos, qui revient en effet dans de nombreux portraits, désigne un lieu imaginaire qui vous est propre. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce lieu et son nom, comment il a surgi en vous, comment vous l’avez découvert et ce qu’il représente ?
Est-ce le lieu où vous attirez l’autre dans vos filets pour lire son âme, pour réécrire son rêve ? Comment agit-il dans le projet ? Est-il une clé pour entrer dans les portraits, et plus généralement dans les diverses dimensions de votre travail poétique ?

Tout commence par un rêve. Je réside à Marrakech à cette époque-là. Une nuit, comme toutes les nuits de ma vie, je fais un rêve. Je rêve que je quitte la ville, que je prends des chemins pour grimper au sommet d’une montagne ; plus j’avance, plus je me sens serein, libre, heureux. Je m’élève. Je me retourne plusieurs fois pour observer la ville qui s’éloigne, son brouhaha, ses questionnements, sa violence, sa no-life, et tout devient très petit. Pourtant, en grimpant, tout devient plus sombre, il y a une sensation d’insécurité, mais cela n’a aucune importance dans le rêve, je veux aller là-haut, plus haut. Puis, un panneau m’indique le nom du lieu : Mapuetos. Je me réveille aussitôt et instinctivement j’allume mon ordinateur ; je fais une recherche sur Google, Bing, Yahoo et je ne trouve aucune occurrence de ce mot, pas même le nom d’un village ou le nom d’une famille en Amérique du Sud. La première chose que je fais alors, dans cette nuit du 10 au 11 septembre 2012 à 3:30, est d’acheter le nom de domaine.

Quelques semaines plus tard, à Bruxelles, au Palais de Justice, place Poelaert, en sortant d’une des salles, un greffier que je ne connaissais pas (je veux dire, que je n’avais jamais vu) s’approche de moi et me parle d’un certain Marceau Ivréa, un écrivain brillant mais méconnu, belgo-italien, décédé en prison sans jamais avoir été jugé. Il m’autorise à parcourir le dossier et les milliers de pages manuscrites retrouvées par la police dans un hôtel de la capitale. En feuilletant je découvre que Marceau Ivréa parle dans son œuvre de Mapuetos. Pour moi, c’est le choc ! J’ai donc rêvé dans la nuit du 10 au 11 septembre 2012 d’un lieu inconnu, inexistant, mais présent dans l’œuvre de Marceau Ivréa, un écrivain inconnu jamais publié. Dans ce dossier il n’y avait pas que des textes manuscrits mais aussi des photos, des dessins. Ivréa n’avait aucun légataire universel, pas de famille, et ses écrits allaient moisir dans les archives du Palais de Justice. J’ai donc décidé, avec l’accord du greffier, de m’approprier ses textes et de tenter d’en créer une œuvre, l’œuvre de Marceau Ivréa, en essayant de le trahir le moins possible et parfois le plus possible, n’ayant à ma disposition que très peu d’informations. Et je me suis lancé en 2013 dans les Chroniques de Mapuetos.

Est-ce un lieu imaginaire ? Sans doute, un espace onirique en tout cas. Je me sens un peu explorateur, je continue mes recherches dans de vieux atlas, des livres de voyageurs comme ceux d’Alvise Ca’ da Mosto, de Bartolomé de Las Casas ou même de livres sur la mission jésuite du Brésil. Du coup, il s’agit peut-être aussi d’un lieu fantasmé, une forme de paradis un peu inquiétant. Tout ce que l’on sait pour l’instant, c’est que Mapuetos est sur une île, avec en son cœur le volcan Imyriacht. Il y a ici et là dans les sept livres publiés jusqu’à aujourd’hui (sur quarante prévus) des informations plus précises, mais c’est un puzzle et nous ne connaîtrons la vérité sur Mapuetos qu’à la fin des Chroniques. Je suis, moi-même, au même niveau de connaissance que les lecteurs, je n’en sais pas plus. Mais il est évident que sans ce rêve de 2012, je n’aurais jamais pu écrire les portraits Next (F9). Mapuetos est une des clés pour entrer dans les portraits, oui. Dans le portrait de Trifone Addeo par exemple, je fais parler l’écrivain italien : « Chose promise, chose due, voilà, d’ici, de là où je me trouve, je vois l’Imyriacht. Vision magistrale. Il érupte, érupte, dans un calme étonnant. La nature ne panique pas, elle accepte, elle trouve les changements normaux, nécessaires. Comme une procession des temps passés. » Dans ces Chroniques de Mapuetos, et dans les portraits oniriques Next (F9), j’avance inconscient, je n’ai rien préparé, il ne s’agit pas d’un concept étudié. Je découvre, je transcris, je recherche, j’explore, et je pense que la poésie est le seul moyen d’explorer. Rimbaud est mort en explorateur plus qu’en poète. Il y a dans la poésie une exploration du monde, de soi, des autres. Et il y a, dans l’exploration, la poésie des mondes.

Je partage cette pensée et engage donc ici les lectrices et lecteurs à explorer sans plus attendre la nébuleuse Mapuetos. Explorateurs et amateurs de surprises, c’est pour vous !
Vous dites au sujet de Marceau Ivréa que vous n’avez que très peu d’informations à son sujet, et vous parlez aussi, en quelque sorte, de trahison et de fidélité tout à la fois pour en trouver une vérité, en avançant « à l’aveugle » sur un long cours. J’en reviens donc aux personnes que vous portraiturez sur Next (F9), qui sont, je le précise, bien réelles, et auxquelles vous demandez, en amont de l’écriture, une brève biographie.
En quoi cette biographie de la personne, et plus largement ce que vous connaissez d’elle – que ce soit par son œuvre ou par un lien amical – est-elle un guide pour le portrait que vous allez en faire ? Comment cette biographie joue-t-elle, selon que la personne est connue ou inconnue de vous, selon aussi son degré de notoriété ?
Et finalement, est-ce que la biographie que chaque personne rédige et vous transmet – en somme, une autobiographie –, n’est pas déjà une sorte de vie rêvée qui vous attire vous-même dans un rêve ?

La photo et la biographie n’apparaissent pas dans les livres, ils font partie du projet web exclusivement. Et vous avez raison de dire que ce texte biographique parfois très court (comme par exemple celui de Jean Rausis qui m’a envoyé ceci : « Jean Rausis est un MentalHacker« ) ou parfois très long me transmet inconsciemment une autre partie du rêve de la personnalité portraiturée.

La notoriété est un handicap pour moi, un obstacle qui peut bloquer mon écriture automatique. Je ne suis pas à la recherche de personnes célèbres, je propose plutôt le projet à des personnes que j’apprécie. Les écrivains me proposent souvent de beaux textes que je me sens dans la nécessité, souvent, d’intégrer tels quels dans le portrait – comme ce fut le cas pour le photographe Marc Kiska.

Je pense écrire trois types de portraits : les labyrinthiques, les balades oniriques, les allégoriques. Et je pense que c’est fortement lié à la profession, à la biographie de la personne. Je n’écris aucun portrait sans l’autorisation de l’intéressé.e et forcément sa participation puisqu’il/elle doit me fournir la photo (ce n’est pas moi qui choisis) ainsi que la biographie. Depuis le début, j’alterne un portrait d’homme et un portrait de femme ; malheureusement, les femmes me répondent moins souvent que les hommes, moins rapidement, et nombreux sont les refus. Il est possible que ma pratique intimide plus les femmes que les hommes, qu’elles considèrent que cela fait partie d’une sphère trop intime, je ne sais pas (mais n’est-ce pas Pessoa qui a écrit que « le rêve c’est ce que nous possédons de plus intimement nôtre, de plus impénétrablement, inexpugnablement nôtre » ?). Depuis quelques semaines en tout cas, j’ai abandonné cette règle et le déplore. J’ai écrit 100 portraits de femmes sur 216, 114 portraits d’hommes et 2 portraits de trans.

Ceci dit, il m’est arrivé une ou deux fois d’écrire des portraits sans biographie ni rêve. Il faut dire que même si nous rêvons tous les jours, nous sommes nombreux à ne pas nous souvenir de nos rêves. De ce fait, mon approche devient aussi thérapeutique puisque cela résonne et certaines personnes font un véritable effort pour se souvenir, ou même se mettent à se souvenir de leurs rêves depuis que je leur ai demandé de m’en fournir un. Enfin, je ne peux pas éluder la possibilité que je reçoive de faux rêves ! Mais cela n’a peut-être pas beaucoup d’importance.

J’ai eu beaucoup de refus, évidemment, car la question elle-même peut paraître saugrenue : « bonjour, pourriez-vous me raconter un rêve marquant que vous avez fait ? » (rires) et j’accepte les refus avec philosophie : je pose la question mais la réponse est dans le camp de la personne à portraiturer, sa réponse la regarde. Il y a des personnes connues que j’aimerais portraiturer et j’ai toujours espoir qu’ils accepteront un jour, je pense à Alejandro Jodorowsky, Xavier Dolan, le mannequin portugais Luis Borges, Anne Dorval, Caetano Veloso, Teresa Salgueiro, Abdel Malik, Jean-Claude Vandamme, Johan Faerber, Benoît Poelvoorde, Xam Hurricane… C’est ma liste des étoiles et il est probable qu’ils n’accepteront jamais.

Mais pour revenir à votre question : oui, la biographie m’ouvre un chemin pour le portrait, c’est un fil qui me permet d’avancer le rêve dans le portrait.

Vous parlez beaucoup d’écriture automatique et j’essaie de comprendre ce qu’elle recouvre et comment elle procède, dans sa partie consciente du moins. Je poursuis donc mon questionnement un peu insistant à ce sujet.
Comme vous venez de le mentionner, outre le rêve et la biographie, à chaque personne vous demandez également de vous fournir, en amont de l’écriture, une photo d’elle (qui peut aller d’un selfie artisanal à un portrait de photographe).
Pour introduire ma question, permettez-moi ici de raconter une anecdote tout à fait signifiante pour moi et qui est d’ailleurs relative aux notions de fidélité et de trahison.

Si ma mémoire est bonne, ce devait être vers 1987 et j’achevais mes études littéraires. Par un concours de circonstances, lors d’un dîner à Paris je m’étais trouvé en compagnie de Milan Kundera, alors installé en France et qui s’était depuis peu mis à écrire directement en français suite à de nombreux déboires avec la traduction de ses livres. Au cours de ce dîner, il raconta une petite histoire qui scandalisa tous les convives présents (écrivains et journalistes essentiellement), mais qui moi me ravît : il sortait d’un rendez-vous avec un traducteur (vers une langue peu courante, je ne sais plus laquelle), dans un café parisien. Ils se saluent, commandent à boire, et Kundera commence à parler en tchèque et à poser quelques questions. Rapidement il s’aperçoit que ce traducteur ne comprend ni ne parle le tchèque, pas plus que le français d’ailleurs ; ils se mettent donc à converser dans un anglais approximatif et Kundera demande à cet homme comment il compte traduire son livre. Celui-ci sort alors de son sac le livre en question (dans son édition tchèque), l’ouvre à la première page, puis saisit son portefeuille et en tire une photo qui était un beau portrait de Kundera souriant. Enfin il explique à Kundera que c’est ainsi qu’il traduit : il se laisse porter par les lettres du texte, par les sons qu’il entend en déchiffrant cette langue (dont il ne connaît même pas la phonologie) et par les noms des personnages et des lieux qui apparaissent dans le texte. Puis il regarde le portrait de Kundera qui lui sourit, puis retourne au texte et ainsi de suite, dans un va et vient incessant…
Kundera fut stupéfait et quelque peu inquiet, à juste titre, de ce que son livre, traduit-trahi, pouvait ainsi devenir dans le passage à une autre langue. Moi, cette histoire m’avait beaucoup touché et elle m’émeut encore parce qu’elle pose la question de ce que l’on peut se raconter au sujet d’une personne en observant simplement son visage ; ce que ce visage raconte non seulement du vécu réel de la personne mais aussi, potentiellement, d’une fiction créée par cette personne.

Ce qui m’amène à vous demander quel est le rôle du portrait photographique de la personne que vous souhaitez portraiturer par les mots. Quel est-il et comment intervient-il dans cette écriture que vous qualifiez d’automatique ? Le placez-vous, à la manière du traducteur que je viens d’évoquer, en vis-à-vis du texte-rêve ? Et est-ce que c’est cela qui déclenche votre propre écriture – laquelle incorpore, littéralement, le rêve écrit par la personne ?
Enfin diriez-vous, étant vous-même polyglotte, que le portrait que vous faites d’une personne est une sorte de traduction de son rêve en votre propre langue, disons en votre idiome onirique ?

Je trouve cette anecdote de Kundera très émouvante aussi. Et c’est vrai que je parle d’écriture automatique un peu par… automatisme, justement, pour me faire comprendre, car il n’y a peut-être pas d’explication structurée à donner à la façon dont je procède. Oui, je regarde la photographie, oui je l’observe puis j’essaie d’écrire quelque chose et si ça ne marche pas, j’observe à nouveau la photo. Je penche la tête vers la droite, comme lorsqu’on regarde un tableau, comme si j’étais à la recherche de quelque chose, sans trop savoir quoi ; je relis le rêve, je regarde à nouveau la photo, je relis le rêve, je ferme les yeux, j’écoute de la musique et j’écris. Et parfois ça ne marche pas, la photo n’apporte aucun élément, le rêve est trop court. Mais souvent ça marche, presque immédiatement.

Après publication sur le site (car je ne montre rien avant), il m’arrive de recevoir des messages de personnes portraiturées qui me disent : « C’est fou, on ne se connaît pas, on ne s’est jamais rencontrés, et vous avez écrit un portrait tellement fidèle, vous avez raconté des choses que personne ne savait ! ».

Je comprends l’inquiétude de Kundera bien sûr, car on attend d’un traducteur une forme de connaissance, de technique, un rapport avec la langue ; or ce traducteur là lui a proposé un tour de magie ! Et en parlant de magie, je dois dire ici que j’ai eu la chance de rencontrer Federico Fellini à Rome dans les années 80 sur le tournage de Ginger et Fred, nous avons échangé plusieurs fois et il m’a beaucoup parlé des rêves. C’est lui qui a incubé cette petite graine du rêve dans ma vie. Il me disait : « Patrick, tu devrais faire comme moi, écrire tes rêves tous les matins ». Sur le moment, cela me parût des mots de vieil artiste aigri et déprimé par la situation du cinéma en Italie, mais l’arbre des rêves a grandi en moi, mes mains sont des branches et les rêves parlent pour moi. Je ne dirai jamais assez « Merci l’artiste ! ».

Évidemment que le choix de la photo est important, que sa qualité compte aussi, ainsi que le regard, ce qu’il exprime au moment précis de la photo. Tout cela me donne des informations. Je ne suis pas sûr, par contre, qu’il s’agisse d’une fiction créée par cette personne. Elle ne s’en rend pas compte mais me propose toutefois, inconsciemment, un personnage.

Quant au fait de connaître plusieurs langues, c’est peut-être équivalent à n’en connaître aucune, et arriver à comprendre au-delà des mots. J’habite dans un pays arabe et malheureusement je ne parle pas cette langue, pourtant je comprends toujours ce qu’on me demande, je saisis lorsqu’il y a des tensions dans la ville, je comprends ce qu’il y a derrière les mots. J’ai vu beaucoup de films en langues étrangères sans sous-titres, ou des pièces de théâtre – même en chinois – sans sous-titres, cela ne m’a jamais dérangé. En effet il existe d’autres langages que les mots et les corps : le langage de l’invisible, les mots qu’on oublie, les non-dits, et c’est peut-être ce que je découvre dans ces photos.

Mais au-delà de ça, et j’espère ne pas vous effrayer en le disant, il y a surtout le silence, des liens invisibles, une télépathie, certains utiliseront le terme intuition. À Rome, sur la Piazza Navona, il y avait des tables avec des cartomanciens qui racontaient l’avenir des badauds, spectateurs de la ville, marins, familles et touristes. Un vieil Allemand sous un chapeau noir et une cape noire, boiteux et bossu (ça ne s’invente pas), m’avait attiré. J’avais vingt ans. Moi qui pensais faire du commerce toute ma vie en vendant des montres, ne voilà-t-il pas qu’il insiste pour me tirer les cartes et me dit que je deviendrai un immense artiste reconnu et que je vivrai au moins jusqu’à 80 ans. Il m’a fait le portrait d’un homme que je ne connaissais pas encore…

Ceci pour dire qu’il y a de la voyance dans mes portraits, et je remercie Fellini et ce vieil Allemand.

J’aime beaucoup la référence à Fellini parce que son cinéma, comme celui de Tarkovski dans un tout autre genre, a contribué pour moi aussi à faire grandir l’arbre des rêves, comme vous le dites si joliment.
Mais du côté de la littérature, qu’en est-il ? Le thème du portrait s’est souvent épanoui dans les eaux du fantastique, je pense par exemple à Oscar Wilde (Le Portrait de Dorian Gray), à Edgar Allan Poe (Le Portrait ovale) ou encore à diverses méditations esthétiques sur le portrait peint chez E.T.A Hoffmann ou Théophile Gautier et j’aimerais savoir quelles sont, dans votre culture personnelle, vos références au portrait peint, écrit ou photographié ?
Et après plus de 200 portraits publiés aujourd’hui, voyez-vous apparaître certaines influences, conscientes ou non, sur votre propre démarche ?

Je ne suis pas né dans une famille de grands lecteurs (mes parents sont des commerçants à la retraite) mais très jeune la lecture m’a emporté. Je ne me souviens pas être allé dans une librairie quand j’étais jeune, je découvrais et achetais plutôt les livres dans les supermarchés, les aires d’autoroute et les marchands de journaux. On avait aussi une petite bibliothèque dans la classe et bien sûr les livres imposés par le programme. Je me souviens avoir lu beaucoup de livres de science-fiction, puis d’avoir été obsédé par l’œuvre de Marcel Pagnol, je pense avoir lu quatre ou cinq fois La Gloire de mon père. Je prenais les livres que je lisais chez moi à l’école, et je me souviens avoir été réprimandé par le directeur de l’établissement parce que je lisais Jazz de Pagnol. Il estimait que je lisais des livres qui n’étaient pas de mon âge. Certains après-midis on regardait à la télévision un programme de la RTBF TV scolaire et je me souviens très bien encore d’un épisode consacré au fantastique qui m’a profondément marqué. Je voulais faire des études de latin-grec comme on disait à l’époque, mais on m’en a empêché. Puis, je pense que je ne savais plus quoi faire, j’ai fait beaucoup de sport, du football et du tennis, des compétitions, mais dans les vestiaires je lisais…

J’ai changé de parcours scolaire, j’ai fait de la photographie mais cela ne me correspondait pas, sans trop savoir ce qui allait me correspondre. Après deux années j’ai changé à nouveau d’école et là, quelque chose s’est passé, un déclic. J’avais une professeure de français que j’aimais beaucoup et qui nous a fait lire L’immoraliste d’André Gide. Elle a lu ma critique du livre devant tout le monde et ce fut mon premier véritable rapport avec l’écriture, j’avais dix-neuf ans. Dans cette même école, je suivais des cours d’espagnol et un cours de littérature étrangère. Je sens encore la vibration en moi : lire coup sur coup Hemingway, Dos Passos, Oscar Wilde et Dino Buzzati.

De Buzzati j’ai tout lu, je suis même devenu membre de l’association internationale Dino Buzzati à Feltre dans la province de Belluno en Italie. Près de quarante ans plus tard, lorsque j’ai imaginé ces portraits oniriques, je me suis dit : je veux m’inspirer de Buzzati, de ses nouvelles, je veux écrire des portraits en y mélangeant la réalité et le fantastique. Je pense souvent à la nouvelle Un service difficile, publiée dans Le K. C’est l’histoire d’un journaliste, le narrateur, à qui on demande de faire un sujet sur la porte des enfers retrouvée à Milan durant les travaux du métro. Sur place, un homme lui raconte que quelqu’un a traversé la porte et qu’il y avait de l’autre côté une ville identique, mais qu’il n’est jamais revenu de ce lieu. Un service difficile aurait pu être un rêve.

Puis mes lectures ont été Pier Paolo Pasolini, Hervé Guibert, Marguerite Duras, Hanif Kureishi, Mishima, Paul Bowles, Kawabata, Yves Navarre,…  Et lors de mon long séjour à Lisbonne, j’ai découvert évidemment Fernando Pessoa.

J’ai écrit mon premier livre au Portugal, envoûté par cette ville et par Pessoa, j’avais la sensation de tout comprendre, la sensation de ne pas avoir besoin de travailler ; tout ce que je voulais c’était écrire et faire du théâtre. Mais lorsque je parle des portraits, je dis souvent qu’écrire un portrait onirique, c’est comme un portrait de Picasso peint par Dali ; ce n’est plus de la peinture, c’est de la poésie.  

Connaissant votre amour de la langue et de la littérature italiennes, j’aurais pu penser à l’influence de Buzzati, qui me semble évidente maintenant que vous en parlez. J’ai d’ailleurs moi-même et plusieurs fois fait ce rêve de villes contiguës séparées par une simple porte, mais j’en suis revenu et pour l’instant j’en reviens toujours (rires).
Quant à Pessoa, dont toute l’œuvre est un rêve hétéronymique, la référence coule de source, si je puis dire. Et lorsque vous avez souhaité faire mon portrait (n’en faisons pas mystère, je suis ici comme qui dirait dans un conflit d’intérêts !), en sus du rêve écrit je vous ai adressé quelques lignes de Pessoa que j’aime beaucoup et que vous avez judicieusement placées en exergue au portrait.
Mais puisque nous avons parlé d’automatisme, quid de l’écriture automatique telle que la prônait André Breton dans Manifeste du surréalisme ? « Écrivez vite, sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir, et ne pas être tenté de vous relire… Continuez autant qu’il vous plaira. »
Est-ce que vous appliquez cette injonction et est-ce que le surréalisme, qui est longtemps demeuré très vif dans les lettres belges, qui a beaucoup résonné avec les travaux de Freud sur les rêves et qui a  aussi fortement contribué à la construction d’une poétique du rêve, a eu une influence sur vous – que ce soit par les biais artistiques ou littéraires, de cette époque ou plus tardifs ? Je pense, du côté de la poésie, à Henri Michaux notamment et en particulier à son essai Façons d’endormi, façons d’éveillé (1969) ?

Les portraits publiés sur le site ne sont ni relus ni corrigés et il s’agit bien de l’écriture automatique prônée par Breton. Les deux livres en version papier, eux, proposent des portraits corrigés, dans le but de créer quelque chose de linéaire entre les portraits, d’éviter les répétitions de certains mots ou certaines références, parfois même les citations.

Ceci étant, lorsqu’on parle des surréalistes, Breton et Michaux sortent toujours évidemment du lot mais d’autres auteurs ont plus intensément lié le surréalisme au rêve. L’excellent livre de Sarane Alexandrian, publié en 1974 aux éditions Gallimard, Le surréalisme et le rêve, a été pour moi une source bibliographique impressionnante, surtout sa Bibliothèque surréaliste du rêve, en fin de volume. J’ai un regret avec cette bibliothèque, c’est qu’il y met Julien Gracq mais pas Dino Buzzati ! Par contre, il m’a fait découvrir Hans Bellmer, Michel Fardouli-Lagrance et Leonora Carrington. Et il n’a pas oublié E.L.T. Mesens (1903-1971), avec qui j’ai une histoire particulière puisqu’en 1991 (si ma mémoire est bonne), j’ai organisé une exposition sur lui à Bruxelles avec Jean Philippe Guilbert (décédé récemment), dans un café-cinéma, Le Paltoquet, que j’avais créé avec le peintre Paolo Cipriani. Il s’agissait d’une exposition qui ne reprenait que des œuvres appartenant à des proches du surréaliste. Il se trouve que ce café-cinéma était situé dans la rue natale de Mesens, qui était né au 36 de la rue de la Grande Ile alors que le Paltoquet était au 70-72. On en donc a profité pour demander aux autorités d’inaugurer une plaque commémorative sur sa maison. Le père de Mesens était droguiste et la façade, en 1991, était toujours intacte mais malheureusement aujourd’hui ils ont tout enlevé. Il faut dire que la plaque, en plus de son nom, date de naissance et métiers habituels, nous avions ajouté : « Sans dieu, sans maître, sans roi ET SANS DROITS », un vers qui n’était autre que le début de Poème de guerre qu’il dédia à André Breton.

ELT Mesens – L’état-major – 1962 © courtesy Patrick Lowie

Pour répondre plus précisément à votre question, les rêves sont présents dès mon premier livre Je suis héros positif, 17 histoires pour le cinéma (1995, Ed. EL), où plusieurs nouvelles sont des rêves transcrits à l’aube en écriture automatique, et mes livres qui ont suivi ont tous des moments oniriques.

Mais étrangement à l’époque cela ne paraissait pas essentiel pour moi, comme s’il y avait un déni d’onirisme, un déni de surréalisme. On me présentait parfois comme écrivain-voyageur, comme écrivain-éditeur ou réalisateur-écrivain ou encore comme écrivain de Belgique, mais jamais personne n’a parlé des passages oniriques dans mes livres, ou de surréalisme. Tout commence avec Mapuetos et avec l’épisode 0 de sa série : Amaroli Miracoli, publié en bookleg chez Maelström. Comme si j’allais moi-même définitivement comprendre ce que je faisais, qui j’étais, et que j’allais enfin assumer cette écriture surréaliste.

J’ai écrit une vingtaine de livres publiés depuis 1995, mais il faut dire aussi que j’ai réalisé quelques courts-métrages en 16mm : Recherche Producteur désespérément, Flash, Visages brésiliens, Cher Hender, ou 32 décembre – J’irai cracher sur vos moules frites, qui sont à l’évidence des films oniriques et surréalistes, réalisés avec peu de moyens et sans subventions ni producteurs, en toute liberté. Puis je pense au théâtre puisque j’ai écrit et monté Le Plongeoir, au Brésil et en Belgique, théâtre des mots mais aussi théâtre onirique et surréaliste.

Tout cela pour dire qu’au-delà des influences, des lectures, des intérêts (pas vraiment des études puisque je n’ai qu’un bac), il y a en moi cette nécessité onirique, cette omniprésence du rêve. Je pense qu’il m’est impossible d’écrire un livre « normal », comme on me l’a proposé récemment pour être publié dans une grande maison d’édition (rires) ; ou de réaliser un film réaliste, ou d’écrire une pièce de théâtre qui soit autre chose que des monologues de personnes soumises à la puissance des rêves et des cauchemars.

Et le point culminant, me semble-t-il, a été mon dernier roman : Le rêve de l’échelle (Maelström, 2018), assemblage de dix-huit rêves composant un tableau onirique. C’est l’histoire de deux hommes couchés sur l’herbe, de l’autre côté du fleuve bleu ; ils mangent des sushis, fument des joints, lisent et dorment. Comme des frères siamois, ils sont connectés et font les mêmes rêves au même moment.

Le théâtre, le cinéma, la poésie… On est clairement avec vous dans le monde artistique.
Et justement, dans la galerie de portraits de Next (F9) on trouve quelques artistes célèbres comme la chanteuse Viktor Lazlo, le crooner pop suédois Jay-Jay Johanson, le photographe Frédéric Vignale (qui vous a d’ailleurs portraituré), la diva brésilienne Virginia Rodrigues, plus récemment la musicienne iranienne Shadi Fathi. Mais aussi les éditrices Joëlle Losfeld et Anne-Laure Brisac, l’humoriste et chroniqueur de radio Guillaume Meurice, la femme politique Fadila Laanan, et bien sûr beaucoup de poètes et écrivains comme Patrick Quillier, Laurent Herrou, Luvan, Rachid O. ou Serge Noël. Ainsi que Véronique Bergen qui d’une certaine façon s’auto-portraiture discrètement en signant le portrait onirique de… Patrick Lowie, ce qui est assez inattendu et facétieux.
Mais plus surprenant encore dans la mesure où vos portraits sont ceux de personnes vivantes, on y trouve le psychanalyste Carl Gustav Jung ou encore, tout récemment, la mystique allemande Hildegarde Von Bingen, tous deux bel et bien décédés.
Est-il très différent de portraiturer une célébrité ou une personne inconnue ? Et pour ce qui concerne Jung, immense contributeur à l’analyse et à l’interprétation des rêves – et dont le portrait est je dois dire absolument réjouissant –, comment avez-vous procédé et vous a-t-il révélé, à vous-même, quelque chose de spécial, quelque chose qu’aucun autre portrait ne vous aurait révélé ?

La liste est incomplète, je pense au chanteur de jazz David Linx, à l’écrivaine et psychothérapeute Ghizlaine Chraibi, au mannequin et rappeur Ali Latif que j’adore, à Hassan Charach, incroyable cuisinier et spécialiste des épices, je pense aussi à Edoardo Brusco, photographe italien, à l’écrivain Mattia Madonia, fils d’un chanteur italien dont j’étais fan dans les années 80, à l’éditeur et ami David Giannoni, au chanteur Elias Dris, à l’instagrameur Luis Paulo Gomes dont le portrait a fait un buzz au Brésil ainsi qu’aux trans tunisiens Khooka Mc Queer et Mavi Veloso. Et vraiment, je pourrais tous les citer !

Portraiturer Carl Gustav Jung est une idée qui m’est venue en parlant avec le collectif poétique Le Mot : Lame, car j’aime beaucoup le travail de Nathaniel Molamba et je suis son parcours avec passion. Il m’a proposé d’écrire un texte pour la revue Nos périodes V – onirisme et j’ai imaginé d’écrire un portrait de Jung en partant d’un rêve qu’il raconte dans un de ses ouvrages. Le second portrait d’une personnalité non-vivante est en effet celui de Hildegarde von Bingen, figure emblématique du XIIe siècle en Allemagne, religieuse bénédictine mystique, compositrice et femme de lettres franconienne, poétesse, visionnaire, féministe ; elle avait un don de voyance et de guérisseuse et est très présente dans les livres d’Umberto Eco.

Pour répondre à votre question, non cela n’a pas été plus différent d’écrire le portrait de Jung que celui de Laurent Herrou, par exemple. L’écriture d’un portrait dure entre deux et trois heures et quand je commence je veux qu’il se termine sans interruption. Il m’est arrivé une ou deux fois de terminer le portrait le jour suivant, mais la règle est : que ça sorte !

Je n’ai pas tout lu de Jung, et je n’ai découvert ses écrits que très récemment. Dès les premières pages de Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées, j’avais compris que c’était quelqu’un que j’aurais pu rencontrer à l’époque et donc cette rencontre je l’ai écrite. Le portrait m’a poussé à devenir son confident mais je n’ai pas voulu publier certains passages qui auraient pu être perçus comme trop prétentieux ou pédants. En effet il doit toujours y avoir ces équilibres indispensables dans les portraits entre réalité et rêve et entre respect et amour. Il m’arrive souvent d’écrire qu’un tel est beau ou qu’une telle est belle car désigner la beauté (quelle qu’elle soit) permet de créer cet équilibre : « Oui, je vais écrire votre portrait et pour cela vous devez savoir qu’il n’y aura que respect et amour ».

Tous les portraits ne sont pas bienveillants juste au nom de la bienveillance mais pour créer un cadre où je peux me sentir le plus libre possible. Je n’ai pas écrit plus de 200 portraits pour faire du clash ou de la critique immonde. Pourquoi je vous dis cela ? Parce que, que ce soit Jung, Romelu Lukaku ou Antoine Griezmann, que ce soit Angèle ou Nana Mouskouri, que ce soit Pierre, Paul ou Jacques, une personne vivante ou une personne décédée, le cadre est toujours le même. Et, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, il y a deux constantes : je me présente toujours et le/la portraituré.e aussi. Et il y aura, dans les mois et années à venir, des portraits de Federico Fellini, Pier-Paolo Pasolini et Elis Regina, parce qu’ils font partie de mon univers onirique et de ma vie. Et je n’ai pas cité des joueurs de football par espièglerie mais parce que les sportifs manquent à mon totem onirique. Enfin pas seulement les sportifs, j’aimerais écrire les portraits de tout le monde ! (rires) Ce projet est infini, j’en ai jusqu’à la fin de ma vie !

Un écrivain m’a demandé si je ne m’étais pas enfermé dans ce projet et si je ne risquais pas de perdre une certaine liberté… Je réponds que je n’ai jamais écrit un portrait sous la contrainte, je ne le fais que pour l’amour des rêves et des gens qui rêvent.

Alors je vous dirai avec bienveillance que vous avez un peu esquivé ma question sur Jung, à laquelle vous ne répondez que partiellement, ce qui m’interroge sur le rapport entre rêve et pudeur…
Mais cette question était assez intime et je respecte votre discrétion. Poursuivons.
Sur le site Next (F9), les portraits sont classés par langues, par pays, mais aussi par genres : hommes, femmes et trans. On trouve ainsi deux portraits de personnes transsexuelles, la performeuse féministe et queer Khookha McQueer, et l’artiste transdisciplinaire Mavi Veloso, que vous venez de citer.
On peut dire que vous avez maintenant une expérience assez conséquente des rêves d’autrui et de vos propres rêves, pensez-vous que les rêves de personnes trans sont différents, et d’une façon générale diriez-vous que les rêves sont genrés – et si oui, en quoi le sont-ils ?
Et j’aimerais aussi, naturellement, vous poser une question similaire au sujet des langues : voyez-vous des manières différentes de mettre le rêve en récit selon la langue dans laquelle le ou la portraituré.e vous transmet son rêve, ou dans ce que vous faites, vous, de ce rêve ? 

Il est évident que je fais ce travail d’écriture en gardant en tête que la personne m’a dévoilé une partie intime d’elle-même. Il est évident aussi que la pudeur entre en ligne de compte, et même si Jung a révélé publiquement son rêve, je garde le rêve, l’atmosphère décrite et le sujet comme un diamant précieux.

La classification homme/femme/trans est une classification structurelle du site web. C’est essentiellement une question de recherche et cela n’existe pas dans la version  en livres. C’est la même chose pour les langues et les pays. Cette structure a été imaginée dès le début du projet en ligne et je dois reconnaître qu’elle est très efficace. Parce qu’il s’agit d’un projet internet avant tout, avec la nécessité d’apparaître dans les moteurs de recherche et de pouvoir partager les portraits mais aussi les rubriques sur les réseaux sociaux.

La difficulté du projet réside principalement dans cette question de l’internaute : vais-je lire le portrait onirique de quelqu’un que je ne connais pas ? Réponse : rarement. Donc, j’essaie d’attirer les internautes à lire les portraits par d’autres moyens : le pays, la langue et le genre. Tout cela n’a aucun lien avec les rêves. La question que vous posez, à savoir si les rêves de personnes trans sont différents et si les rêves sont genrés est pertinente mais on peut également poser la question des zones géographiques, de la langue qu’on parle, du statut social – les riches par exemple rêvent-ils la même chose que les pauvres ? etc. Or nous savons déjà que l’interprétation des rêves est différente suivant la culture et la religion, puisque les codes le sont.

Ceci dit, les quelques portraits de personnes trans parlaient beaucoup de leur changement d’identité. Ce que j’ai constaté aussi, c’est qu’il y a globalement des rêves récurrents pour tou.te.s, comme celui de voler au-dessus d’une ville, d’être incapable de sortir d’un labyrinthe, de se faire tuer ou d’assister à sa propre exécution, de partir vers des villes inconnues avec un sac à dos ou d’être invisible dans une soirée en famille. Il y a aussi les rêves où le monde a des allures de jeu vidéo, ou bien ceux où il y a des tsunamis.

J’imagine un jour pouvoir travailler avec un ou plusieurs psychologues ou psychothérapeutes et classer tous ces rêves, essayer de comprendre avec d’autres outils ce que ces rêves représentent et nous apportent aujourd’hui. J’en parle souvent avec Ghizlaine Chraibi, psychothérapeute rogérienne et écrivaine talentueuse dont j’ai particulièrement aimé le dernier roman Un jour la nuit, qui ressemble tant à un rêve. J’essaie aussi d’établir des contacts avec d’autres psys travaillant dans d’autres régions du monde, afin d’avoir une vision globale de ces rêves archivés.

D’autre part, j’ai lancé un appel pendant le confinement, je voulais savoir si on rêvait différemment durant une telle situation. En fin de compte, les rêves de confinement – ceux que j’ai reçu en tout cas – ne semblent pas bien différents. Mais on pourrait aussi se demander : faisons-nous les mêmes rêves à la campagne qu’en ville, en temps de paix qu’en temps de guerre ?

Pour ce qui concerne les langues, il m’arrive de recevoir des rêves en italien, portugais, anglais, espagnol… car ce sont des langues que je parviens à lire et à comprendre. Pour moi, le processus est identique. Ce projet est en plusieurs langues parce que j’aime les langues, elles me passionnent et j’aime parler de gens que l’on ne connaît pas.

En fait j’ai toujours aimé mélanger les nationalités, les langues, les genres. Je suis le produit parfait du multiculturalisme, je l’assume et le revendique !

Mapuetos, le dico des beaux rêves

Il y a aussi sur le site une rubrique intitulée Mapuetos, le dico des beaux rêves. Ce dictionnaire propose des entrées par des mots simples tels aboyer, escalier, neige, cadavre, volcan, accouchement ou abandon par exemple, et très souvent l’article débute sur le mode « Si vous rêvez de ceci ou cela, ceci ou cela signifie… ».
Ainsi, pour l’article guerre par exemple: « Si dans le rêve vous vous préparez pour un départ comme s’il s’agissait de la préparation d’une guerre, que vous vous voyez très méticuleux aux préparatifs de cette guerre, ce rêve indique, comme le dit très bien Sun Tzu dans L’art de la guerre, que tout le succès d’une opération réside dans sa préparation. Vous allez donc réussir. Si dans le rêve vous voyez une guerre mais vous n’y participez pas ; vous entendez les détonations, les cris, mais vous avez la sensation qu’il s’agit d’un film, ce rêve indique que vous ne voulez pas admettre un conflit familial qui vous fait souffrir. Si dans le rêve vous êtes dans les tranchées en maillot de bain alors que tout le monde est en habit militaire, que vous échappez aux bombes en criant « Faites l’amour pas la guerre » et que vous voyez tout le monde mourir sauf vous, ce rêve indique que votre pacifisme est sans faille et que grâce à vous des conflits seront évités. » Par ailleurs, dans le petit pavé présentant cette rubrique, il est écrit : « Derrière ce dictionnaire gratuit dont certaines définitions sont disponibles en d’autres langues, il y a toute la genèse de Mapuetos. » Ainsi, que l’on prenne les choses par un bout ou par l’autre, nous voilà toujours dirigés vers Mapuetos ! Et en effet la version papier des 111 premiers portraits oniriques, publiée par vos soins aux éditions P.A.T (que vous avez crées en 2011) est sous-titrée Chroniques de Mapuetos. Toutes les routes y mènent sans que l’on y parvienne jamais – un peu comme dans un rêve que moi-même je fais fréquemment. Il semble donc que vous aimez orienter tout autant qu’égarer, tout comme le rêve lui-même le fait, et que dans ces trajets vous n’excluez pas l’humour.
J’ai alors plusieurs autres questions : avez-vous des outils préexistants pour vous aider à livrer ces interprétations symboliques, ces significations cachées ?
Je suis frappé en effet par le ton de ces articles, qui ressemble beaucoup à celui du célèbre astrologue Rob Brezsny, dont on peut lire l’horoscope – souvent humoristique lui aussi – chaque semaine dans Courrier International.
Ce qui m’amène à vous demander plus précisément si vous avez recours par exemple à l’astrologie, aux tarots ou à d’autres sciences dites occultes ou ésotériques, comme Jung a pu le faire lui-même ? Quelle est votre relation avec ces disciplines et en quoi d’après vous éclairent-elles la vie onirique ?

J’observe que vous êtes un excellent enquêteur (rires) !

Je ne parle pratiquement jamais de ce dictionnaire. Je vais remettre tout cela dans l’ordre. Chronologiquement, le dictionnaire a été écrit avant les portraits. Il y a une centaine de mots – si j’avais un peu plus de temps, je continuerais à proposer des interprétations de rêves d’autres mots. L’inspiration provient probablement de Rob Brezsny qui me fait beaucoup rire avec son horoscope, c’est un vrai génie. En relisant aujourd’hui quelques définitions du dictionnaire des beaux rêves, on comprend qu’il s’agissait d’un prélude aux portraits. Mais j’ai arrêté le dictionnaire pour écrire les portraits oniriques.

Effectivement tout est lié ou relié à Mapuetos. Tout comme cet autre travail plutôt artistique, Les Agitateurs.

Dès le début, en rêvant de Mapuetos, je savais une chose : je ne sais pas où est Mapuetos, je ne sais même pas ce que c’est. Cela m’a offert une immense liberté dans mon écriture car lorsqu’on parle des rêves, lorsqu’on décrit des rêves, la liberté est telle qu’elle vous donne des vertiges et ce sont en quelque sorte ces vertiges qui vous mettent ensuite en transe !

J’ai promis que le quarantième épisode des Chroniques de Mapuetos apporterait des réponses, j’espère qu’il s’agit d’un pressentiment. Et j’ai choisi sans réfléchir le chiffre 40, mais je ne suis pas le premier à l’avoir utilisé. Tout est symbolique en effet et les Chroniques de Mapuetos sont surtout un jeu littéraire. Par exemple, les deux livres qui reprennent les portraits ont deux chiffres symboliques. Dans le premier, il y a 111 portraits (chiffre magique) et dans le second 66. Le 66 est un chiffre qui équilibre la vie spirituelle, physique et matérielle. Il y a des indices partout dans les sept premiers épisodes publiés. J’espère avoir assez de temps pour publier les trente-trois prochains épisodes, tout en sachant qu’un des épisodes sera un livre accompagné de tarots que j’ai l’intention de créer. Ma liberté, donc, consiste à ne pas avoir de plan de route et je pourrais dire que le projet Mapuetos avance un peu comme ces gens qui découvrent une ville en suivant des inconnus puis d’autres inconnus puis encore d’autres inconnus.

Quand je suis parti en Inde en 1994 avec mon ami Tiago Salinas Vaz (qui m’a dit deux jours avant de mourir, en 2011, m’avoir envoyé un manuscrit que je n’ai jamais reçu) – alors qu’il y avait une épidémie de peste bubonique et de peste pneumonique dans le sud du pays –, nous nous sommes disputés car il avait étudié le Lonely Planet avant de partir et moi Le Guide du Routard, j’ai trouvé cela ridicule. Depuis, je n’achète plus jamais de guide et quand j’arrive dans une ville, je me laisse porter et emporter. Il y a toujours des signes, des éléments, des rencontres, des surprises. Donc il n’y a pas de guide de Mapuetos, il y a seulement des signes, des éléments, des rencontres, des surprises. Et soyez en sûr, je n’ai jamais été en croisière ou en voyage organisé !

Les Chroniques de Mapuetos se construisent sur tout cela. Par ailleurs des rencontres avec des artistes me permettent de comprendre ce que Mapuetos veut dire pour eux, je joue alors moi-même à l’enquêteur : j’interroge, j’observe, j’écris. Les quelques indices pour l’instant sont le volcan Imyriacht, des coulées de lave, des espaces désertiques,… Cela prend forme mais le voyage vers Mapuetos est loin d’être terminé.

Depuis plus de vingt-cinq ans, un tarot m’accompagne partout. La première fois que j’ai vu ce tarot c’était chez une femme remarquable à Bruxelles, Edith Pipyn, qui m’a probablement sauvé la vie en 1992. J’ai été ébloui par elle et ses tarots (Le Tarot persan de Madame Indira). Elle m’a fait comprendre que tout ce que je savais sur moi-même et qui semblait un peu fou de l’extérieur, était bien réel. Qu’il suffisait donc certainement d’appliquer ce qui grandissait en moi. J’avais vingt-huit ans.

Deux ans plus tard, j’ai acheté le même tarot et me suis mis à tirer les cartes. Je l’ai d’abord fait pour moi et les amis, et depuis une dizaine d’années maintenant je me suis ouvert aux autres aussi, même si aujourd’hui c’est un outil qui ne m’est plus vraiment indispensable.

Je ressens toutes les perceptions extrasensorielles, vous savez : la télépathie, la clairvoyance, la clairaudience, la précognition et la rétrocognition, tout cela fait partie de mon quotidien. Alors évidemment, ce n’est pas très scientifique mais de toutes façons je suis un poète (rires) ! Il m’arrive de tirer les cartes de la personne que je portraiture mais je ne le dis jamais. Cela m’arrive quand je ne parviens pas à comprendre certaines choses, lorsque l’écriture automatique s’arrête soudainement, sans raison, comme par fatigue ou ennui, alors je prends mes cartes et tout s’éclaircit.

Le rapport que j’ai avec ces sciences dites occultes ? C’est la première fois que j’en parle ouvertement aujourd’hui en sachant que ce que je dis sera publié, et ce depuis vingt-cinq ans, donc. Pourquoi ? Un peu parce qu’en fin de compte je suis profondément cartésien et que cela n’a pas été facile de trouver un équilibre – mon environnement était plutôt hostile ou ignorant, j’ai donc eu beaucoup de mal à accepter ce que je faisais, je n’assumais pas. Puis j’ai découvert que mon ascendant, Jacques Lohier (né en 1550 dans le village de Fromelles en France), lignée directe de mon père, était passé devant le tribunal de l’Inquisition en 1597 à Popperinge en Flandre pour « sorcellerie », puis avait été gracié par Philippe II d’Espagne. Cette histoire m’a fait comprendre d’où je venais. Ce fut essentiel. Jacques Lohier apparaît d’ailleurs dans quelques portraits.

Je n’ai pas d’autres outils pour écrire mes portraits : mes perceptions extrasensorielles, mon jeu de tarots, le rêve de la personne que je croque et ma culture générale. Je parle de culture générale mais je dois préciser que je suis autodidacte et mes lectures très éclectiques – surtout les livres qui ont du sens, ce qui devient de plus en plus rare – me permettent aussi de créer des portraits qui ne sont pas répétitifs.

On m’a fait remarquer que dans mes 111 premiers portraits l’eau était omniprésente, je dis ça parce que je voulais dire que les excellents critiques littéraires en Belgique comme Philippe Leuckx, Daniel Simon, Véronique Bergen, David Courier ou Michel Zumkir et Jean Zaganiaris au Maroc, m’apportent des éléments pour poursuivre ce jeu de piste littéraire, ésotérique et onirique ; ils m’offrent dans leurs critiques des références qui ne faisaient pas partie de mon jeu de cartes, ils me parlent de Marguerite Duras, de Luis Borges, de Malcolm Lowry par exemple et instinctivement je vais lire ou relire ces auteurs pour comprendre le lien qu’ils ont fait. Ces critiques sont importantes pour moi.

Une dernière question, Patrick Lowie, avant de vous laisser reprendre les chemins clair-obscur de vos ascendances et de vos rêves.
À la demande du journal Al Bayane (Le Manifeste, en arabe), quotidien marocain de langue française né en 1975, créé par le Parti du Progrès et du Socialisme et qui a toujours été très attentif à la littérature et aux écrivains, vous avez écrit un autoportrait onirique, publié le 3 avril 2020, en pleine période de confinement à Casablanca où vous vivez aujourd’hui. Puis vous avez intégré cet autoportrait à la galerie des portraits publiés sur Next (F9).
Comment avez-vous procédé pour ce portrait particulier, qui diffère évidemment des autres ? Pouviez-vous appliquer à votre personne le même protocole qu’aux autres ?
Et puisqu’il été écrit durant le confinement, j’aimerais aussi vous demander si durant cette période très particulière vos rêves à vous, sinon ceux des autres, ont sensiblement changé – de thèmes, de formes, de personnages, de symboles, etc. ?

Quand le journaliste d’Al Bayane Mohamed Nait Youssef m’a demandé de participer à la rubrique Des écrivains à l’heure du Covid-19, j’ai d’abord hésité. Je ne savais pas trop quoi écrire sur la situation, je vivais mal le confinement, je lisais les autres écrivains qui trouvaient en cette situation une opportunité alors que moi je ne voyais rien et que je me sentais incapable d’écrire quelque chose sur le sujet.

Le confinement a été très dur au Maroc, avec interdiction pendant plus de trois mois de sortir de chez soi sauf pour le ravitaillement, ce n’était pas évident. J’habite seul et j’ai vécu l’isolement. Je voyais sur Internet tous ces gens heureux de faire des gâteaux à la maison avec les enfants, toutes les injonctions « Faites ceci faites cela », les webinars et toutes ces vidéos de gens qui d’un seul coup avaient des poussées de  créativité, bref je trouvais cela flippant, sans parler des polémiques en tous genres. Pour moi ça été le summum de la crétinerie. Je vis dans un 60m2, c’est donc relativement confortable pour un homme seul, mais je n’avais pas encore complètement emménagé ; puis impossible de lire, de regarder des films, d’écrire (sauf les portraits oniriques, précisément, à raison de un par semaine), de me concentrer ou d’aller à la mer qui se trouve à moins de cent mètres.

La proposition du journaliste est arrivée à ce moment-là et je me suis dit : écris un autoportrait, mets-toi en condition comme si ce n’était pas toi. Je suis parti d’un constat : si Jean Genet était l’écrivain du confinement, j’ai compris que je ne serais jamais un écrivain en prisonJe pensais qu’en prison je pourrais écrire des livres, je sais maintenant que c’est impossible. Et je me suis dit : ce n’est pas un rêve mais un cauchemar, il faut en sortir.

Disons que cet autoportrait a été écrit à la façon d’un portrait onirique, mais ce n’est évidemment pas le même procédé. Pendant toute une période, la première partie du confinement, je ne me suis pas souvenu de mes rêves. Puis ça s’est débloqué, le 29 avril très exactement, et je me réveillais en pleine nuit pour les écrire. J’ai un carnet entier de rêves de cette période-là. Rien à propos du confinement lui-même, mais des symboles oui : la mer houleuse, des vagues, j’ai rêvé de Paris, de Lille, du Brésil, des aéroports, de la famille… Le 9 mai j’ai rêvé que j’étais positif au coronavirus et je voyais un film dans un cinéma, c’était l’enfance, puis j’étais avec Michelle Obama dans un tramway à Lisbonne ; bref, mes nuits encombrées de rêves ont redémarré.

Depuis le 24 juin, on peut à nouveau sortir mais masqués. En fait, je sors masqué depuis le mois d’avril. Pour ma maison d’édition P.A.T., j’ai décidé de ne publier aucun livre sur le sujet. Il va falloir redonner aux gens l’envie de vivre, donc je préfère publier sur d’autres sujets. Je suis surtout en train de préparer une nouvelle version de Next (F9), une version 2.0 – cela fait deux ans que j’y pense et le moment est venu de s’attaquer à cette nouvelle version.

Ces presque 220 portraits sont autant de scénarii pour des courts-métrages. J’ai envie de réaliser et de produire ces clips et de les mettre en ligne. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais transformer ces textes en images me permettra sans doute de revenir à mon premier amour : le cinéma.

Les chroniques de Mapuetos, Marceau Ivréa
épisode 0 : Amaroli Miracoli (2013) – Ed. Maelström (Belgique)
épisode 1 : Marrakech, désamour (2013) – Ed. P.A.T (Belgique)
épisode 2 : Le Cantique des Cantiques (2014) – Ed. Maelström (Belgique)
épisode 3 : Charabia (2015) – Ed. P.A.T (Belgique)
épisode 4 : Next (F9), 111 portraits oniriques (2017) – Ed. P.A.T. (Belgique)
épisode 5 : Le rêve de l’échelle (2018) – Ed. Maelström (Belgique)
épisode 6 : Next (F9), 66 autres portraits oniriques (2020) – Ed. P.A.T. (Belgique)