Boualem Sansal à Paris le 4 septembre 2015

Pour Boualem Sansal, "la guerre, l'islamisme la fait au monde entier, aux musulmans qui n'appliquent pas la charia, aux chrétiens, aux juifs, aux athées".

afp.com/Joel Saget

Quelle horreur, quelle barbarie ! On décapite un prof pour une caricature qui a fait mille fois le tour de la planète ! C'est dire la rancoeur et la folie des islamistes. On condamne en rivalisant d'émotion et de formules, on affirme son soutien à la famille de la victime, on rassure le corps enseignant et les parents d'élèves, on appelle à des mesures fortes, on promet la fermeté. Voilà ce qu'on entend sur les ondes. On fait son devoir, on a la conscience tranquille... jusqu'à la prochaine horreur, la prochaine barbarie.

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Tout cela montre que la France ne comprend toujours pas la réalité à laquelle elle est confrontée. Elle se croit frappée par des terroristes, des jeunes fichés S ou non, alors qu'elle subit une guérilla qui peu à peu prend son élan pour un jour atteindre les dimensions d'une guerre totale, comme beaucoup de pays l'ont vécue et la vivent encore à des degrés divers (Algérie, Mali, Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Somalie).

L'islamisme est un Etat souverain

L'islamisme ne fait pas dans le terrorisme, et ceux qui égorgent et violent au nom de l'islam ne sont pas des assassins, ni des fous, ni des ignorants. Il faut enfin regarder les choses en face et employer les mots qui conviennent. L'islamisme est un Etat souverain, un Etat qui n'a pas de territoire propre, pas de frontières, pas de capitale, pas de citoyens mais des fidèles unis dans la oumma, présente dans toutes les régions du monde, dans la maison de l'islam et dans la maison de la guerre, pas de Constitution mais la charia, tirée du saint Coran et des hadiths authentiques. Ses soldats, policiers, imams, juges et bourreaux ne sont pas des fonctionnaires mais les fidèles eux-mêmes, sans liens hiérarchiques entre eux, agissant chacun selon ses moyens et les circonstances, en solitaire ou avec ses proches, parents, amis, voisins et des volontaires venus de plus loin.

Allah ordonne à chaque musulman, où qu'il soit dans le monde, d'oeuvrer par tous les moyens à l'expansion de l'islam, de le défendre au prix de sa vie, de combattre les mécréants et de châtier les blasphémateurs et les apostats.

On ne répond à la guerre par des discours émus

Cette guerre, il la fait au monde entier, aux musulmans qui n'appliquent pas la charia, aux chrétiens, aux juifs, aux athées. La France est plus fortement touchée en raison de sa propre histoire (la colonisation, son soutien aux dictatures arabes, la présence sur son sol d'une immigration nombreuse, mal intégrée, qui peu à peu s'est détachée de la communauté nationale). C'est à cela qu'a obéi le jeune Tchétchène à Conflans-Sainte-Honorine. Pour les Français, c'est un assassin, pour les islamistes, il s'est comporté en musulman sincère et courageux, il a jugé ce professeur pour blasphème, l'a condamné à mort et l'a exécuté, conformément à la charia. En récompense, il ira au paradis et aura les 72 vierges promises par Allah.

Il est plus que temps que la France regarde ces choses dans leur réalité nue et se convainque qu'à la guerre on répond par des actes décisifs et non par des discours émus.

Boualem Sansal, romancier algérien, est notamment l'auteur de 2084. La fin du monde (Gallimard), qui a remporté de grand prix du roman de l'Académie française en 2015. Il vient de publier, toujours chez Gallimard, Abraham ou la cinquième Alliance.