Euro fort : Mario Draghi siffle la fin de la partie
Dans une déclaration pour le moins inhabituelle, le président de la BCE a prévenu, samedi à Washington, que tout renchérissement supplémentaire de l’euro aurait pour conséquence un nouvel assouplissement de la politique monétaire européenne.
Par Richard Hiault
« J’ai toujours dit que le taux de change n’est pas un objectif, mais qu’il est important pour la stabilité des prix et la croissance. Et ce qui s’est passé ces derniers mois, c’est qu’il est devenu de plus en plus important pour la stabilité des prix. Aussi, un renchérissement du taux de change nécessiterait un nouvel aménagement de la politique monétaire. Si vous voulez que votre politique demeure aussi accommodante qu’elle l’est aujourd’hui, un nouveau renchérissement du taux de change nécessitera un nouveau stimulant ». A Washington, hier, après la fin des réunions de printemps du Fonds Monétaire International (FMI), le président de la Banque Centrale Européenne (BCE), Mario Draghi, s’est montré plutôt explicite sur l’évolution de la monnaie unique.
Non seulement une poursuite du renchérissement de l’euro mettrait à mal la reprise économique poussive de la zone euro mais elle compliquerait sérieusement la tâche de la banque centrale dans sa lutte contre les risques de déflation. Par un effet mécanique, une hausse de la monnaie unique aboutit à un recul de l’inflation par le simple jeu de l’inflation importée. Les propos du président de la BCE ont été salué par le ministre des Finances français, Michel Sapin qui, tout en soulignant le fait que l’euro s’était renchéri de 10 % vis-à-vis des principales monnaies depuis l’été 2012, a jugé que cette « préoccupation » était « intéressante », et « partagée » par certains gouvernements. A ses côtés, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a confirmé que « l’appréciation de l’euro complique la ré-accélération de la croissance et l’objectif de la stabilité de l’inflation ». Selon lui, l’inflation en zone euro serait de 1% environ sans l’effet de l’euro fort, au lieu de 0,5% actuellement.
Rapatriement des capitaux
Le gouverneur voit deux raisons à ce renchérissement de l’euro. D’une part, la zone euro dégage un excédent de ces comptes courants du fait d’une certaine déprime de la demande dans certains pays de la zone euro due aux politiques d’ajustement structurel. D’autre part, la normalisation de la politique monétaire américaine a déclenché un rapatriement des capitaux des marchés émergents vers les marchés développés. « Ces deux phénomènes sont amenés à s’estomper », a-t-il indiqué ce qui devrait réduire la pression à la hausse de l’euro. Une vision partagée par le président de la banque centrale allemande Jens Weidmann, assurant que cette hausse de l’euro était la conséquence de « flux de capitaux » et d’un « retour de la confiance » dans la zone euro.
Néanmoins, la BCE se veut vigilante sur une éventuelle poursuite du mouvement. Pour Mario Draghi, il ne faut « pas être complaisant » face à la faible inflation. Une hausse trop faible des prix « rend le processus d’ajustement plus difficiles dans les pays sous pression », à savoir les pays périphériques de la zone euro et « complique le désendettement à la fois des secteurs public et privé », a-t-il expliqué. Le patron de la BCE a donc entendu le message du FMI qui l’a mis en garde contre les risques de déflation. Un message réitéré samedi par le Comité monétaire et financier international (CMFI), l’instance politique du FMI, pour qui la BCE « devrait envisager des actions supplémentaires si la faible inflation devait se prolonger ».