Accéder au contenu principal
IRAN

Iran: la mort d'épuisement d'un bouc sauvage, pourchassé par un 4x4, révèle les dérives de la mode des "safaris"

Une vidéo diffusée le 28 octobre montre quatre jeunes dans un 4x4 prendre en chasse une chèvre sauvage paniquée. Captures d'écran.
Une vidéo diffusée le 28 octobre montre quatre jeunes dans un 4x4 prendre en chasse une chèvre sauvage paniquée. Captures d'écran.
Publicité

C’est une course poursuite mortelle qui a indigné nombre d’Iraniens : une vidéo diffusée le 28 octobre montre quatre jeunes dans un 4x4 prendre en chasse une chèvre sauvage paniquée, qui finit par s’effondrer d’épuisement. Les "safaris" consistant à s’amuser avec des voitures tout terrain dans le désert sont de plus en plus populaires en Iran, et à l’image de cet incident, leur impact sur les écosystèmes est très négatif, déplore notre Observateur.

Rouler sur des étendues vierges, hors de toute route, dans les dunes de sable et la poussière, entre les oasis : c’est un des nouveaux loisirs à la mode en République islamique d’Iran. À l’instar de leurs voisins des pays du Golfe, des milliers d’Iraniens s’y adonnent aujourd’hui, à la recherche de sensations fortes, mais aussi pour découvrir des paysages magnifiques, des phénomènes géologiques uniques et la faune sauvage.

“Regarde ses cornes, filme, filme !”, crie l'un des occupants de la voiture qui prend en chasse le bouc.

 

C’est dans le désert de Dasht Kavir, près de l’oasis populaire de Maranjab, que la vidéo de la poursuite d’une chèvre sauvage, le 28 octobre, a été tournée. Les organisateurs du safari ont été inculpés, et selon des médias iraniens, le conducteur responsable de la mort de l’animal a écopé d’une amende de 25 millions de tomans (794 euros), qu’il a payée. Pour beaucoup d’activistes, cette affaire ne doit pas cacher la réalité : dans les écosystèmes fragiles en Iran, les dégâts sont quotidiens et les sanctions trop rares.

Une chèvre sauvage morte d’épuisement, après avoir été poursuivie par des Iraniens pendant leur safari.

 

"Il faut que ce massacre cesse"

Alireza Shahrdari est un environnementaliste iranien reconnu, expert des reptiles et des rongeurs :

 

Le nombre de safaris n’a fait qu’augmenter ces quatre dernières années. C’est incroyable le nombre de voitures 4x4 et autres pick-us qu’on peut voir désormais dans des zones sauvages.

Ce qui a changé, c’est que d’une activité prisée uniquement des aventuriers et de quelques professionnels du tourisme, lesquels respectent les écosystèmes, c’est devenu un un loisir grand public. Des centaines d’agences dans les villes aux portes du désert proposent des excursions [en ligne, on trouve des offres allant de 250 000 à 3 millions de tomans (8 à 95 euros) selon le type et la durée, NDLR]

En 2017 dans le Maranjab, les dégâts manifestes des passages de véhicules.

 

Les gens ne savent pas comment faire pour ne pas abîmer les écosystèmes, ou alors, ils s’en fichent. Pour eux, les déserts sont des zones mortes, ils n'imaginent pas que des centaines d’animaux sauvages et de plantes y vivent.

Dans certaines régions que j’observe en particulier, je peux mesurer les effets négatifs de ces pratiques. La première chose qui m’effraie, c’est de voir ces traces de pneus partout, aujourd'hui, même dans les endroits les plus inaccessibles, les sols sont marqués de ces passages.

À Mesr en septembre 2020, de nombreux passages de voitures ont mis à mal la formation d’ergs.

 

Ces ergs [région occupée par les dunes, NDLR], ces lacs salés, ces étendues, sont en fait l’habitat d'animaux qui est détruit par le passage de ces voitures, quand ils passent les uns après les autres, ils tuent ces espèces.

Accident dans le désert du Maranjab, octobre 2020 .

 

Ces touristes laissent aussi beaucoup de déchets dans ces espaces vierges parfois les plus reculés. Certains n’hésitent pas à faire des feux, qui laissent des cendres dans le sol, et ils utilisent pour cela dans branchages de buissons, qui pour eux sont des arbres morts. Cela détruit la végétation de cette région, pourtant loin d'être dense…

Sur cette page d’une autre agence proposant des safaris, on peut voir des traces de roues de véhicules qui ont endommagé la surface d’un lac salé dans le désert du Maranjab.

 

"Plusieurs espèces sont en danger imminent"

La chaîne alimentaire dans le désert est complexe. Les safaris ne font pas que tuer des animaux directement, comme c’est le cas dans la vidéo qui a fait du bruit fin octobre, mais ils tuent les animaux en détruisant cette chaîne. Quand ils brûlent ou roulent sur des plantes, ils détruisent la nourriture des rongeurs, des reptiles et des oiseaux. Quand ils roulent sur les habitats des rongeurs et des reptiles, ils tuent ces animaux. Aujourd’hui, les fennecs et les chats des sables par exemple sont des espèces sérieusement en danger en Iran notamment à cause de ces activités.

Plusieurs espèces sont en danger imminent : le varan du désert, des scorpions, le serpent du Maranjab (récemment découvert), le lézard Eremias kavirensis, endémique du Dasht-e-Kevir, les gerbilles de Cheesman, et bien d’autres.

Les régions les plus affectées, d’après ce que je vois, sont celles du Maranjab, mais aussi de Mesr et d’Abouzeidabad, elles sont les habitats de nombreuses espèces. Et nous en découvrons de nouvelles encore : deux espèces de rongeur par exemple ces cinq dernières années.

Il n’y a absolument aucune surveillance ni aucune restriction concernant ces safaris. Donc ces endroits sont des terrains rêvés pour ceux qui veulent faire ce qu’ils ont envie dans la nature. Les seules réactions qu’on a vues pour le moment, ce sont des protestations en ligne de la part d’activistes, rien de plus.

Il n’y a qu’une seule solution : il faut mettre un terme à ces safaris hors piste, et les limiter à des zones très restreintes."

Il existe en Iran 253 parcs, forêts et zones protégées, mais ces safaris se déroulent dans des zones qui, bien que fragiles, ne font pas l'objet d'une réglementation spécifique. 

Les tribunaux ont pu interdire à de rares occasions, par exemple, l’accès au désert du Maranjab, pour des périodes très brèves. Mais le motif était d’empêcher des hommes et des femmes d’y faire la fête et de se comporter de manière "non-islamqiue". Aucune restriction n’a jusqu’ici été prise au nom de la protection des écosystèmes.

Article écrit par Ershad Alijani

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.