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Reportage

Intermittents du spectacle : «Le secteur est sinistré pour des années»

Ce vendredi, une douzaine de rassemblements avaient lieu pour dénoncer le manque de considération du gouvernement envers le milieu, malgré une grande précarité renforcée par la crise sanitaire.
par Romain Métairie, Photos Cyril Zannettacci. Vu pour Libération
publié le 13 novembre 2020 à 17h13

«Quand est-ce que l'on va enfin être pris en considération ?» Christine Gagnepain ne décolère pas. Ce vendredi midi, cette membre du collectif théâtral «A mots découverts», intermittente depuis trente ans, participait au rassemblement organisé par les syndicats du spectacle, place du Palais-Royal à Paris. Environ deux cents personnes ont répondu à l'appel, bravant le confinement en vigueur pour se faire entendre, réclamer une reprise de leur activité ainsi qu'une meilleure prise en compte du statut d'intermittent. Christine, elle, repense au discours de Jean Castex de la veille : le Premier ministre «a terminé sans un mot pour nous, cela m'a mise dans une colère noire», raconte-t-elle. Preuve pour elle, s'il en fallait encore, que le secteur, et à travers lui les intermittents du spectacle, figurent parmi les grands oubliés de la crise sanitaire. «Le gouvernement a ôté ces mots de son vocabulaire. Regardez [l]a prise de parole [du Premier ministre], tout est scénarisé, c'est du théâtre de trottoir», ironise non loin d'elle Doris, 64 ans et ex-marionnettiste, entre autres casquettes.

«L’année blanche n’existe pas»

Depuis mars, entre les confinements successifs et la fermeture des festivals estivaux, le secteur est sur pause, sans aucune visibilité concernant une éventuelle réouverture des salles et événements culturels. Pour tenter d'enrayer la précarité grandissante des acteurs du milieu, le gouvernement a bien mis en place une «année blanche», dans un premier temps saluée par les premiers concernés. Elle permet aux intermittents de prolonger leurs droits à l'assurance chômage d'un an, soit jusqu'au 31 août 2021. «A cette date, on regardera sur les douze derniers mois si vous avez effectué vos 507 heures (nécessaires aux intermittents pour être indemnisés). Mais quand il n'y a plus de boulot, elles sont difficiles à faire, explique Ghislain Gauthier, secrétaire général adjoint de la Fédération CGT du spectacle. Sans parler des jeunes qui débutent et qui ne sont pas concernés par l'année blanche. On demande que toute cette période incertaine, compliquée, soit revue par le gouvernement.» 

Paris, vendredi 13 novembre 2020 / Rassemblement des intermittents du spectacle, place du Palais-Royal.Photo Cyril Zannettacci pour Libération

Cécile, qui jongle entre ses interventions en écoles et un atelier de mise en scène, abonde : «L'année blanche n'existe pas. C'est un sursis donné aux allocations. Nos heures, on ne les aura pas au 31 août.» Ce que confirme Christine Gagnepain, qui fait les comptes : «On devait faire 60 dates sur les derniers mois, on n'en a fait que 16.» C'est à peine si elle peut organiser des répétitions, avec cette étrange impression de «répéter dans le vide», compte tenu du flou concernant la saison culturelle 2021 et l'incertitude à propos d'une éventuelle réouverture des salles. «Il faut bien comprendre que contrairement aux commerces, on ne peut pas reprendre comme on le souhaite. Il y a toute une structure avec différentes personnes et toute une programmation derrière, donc même une reprise ne se fait pas comme ça», explique Cécile, très inquiète pour la suite. Le secteur est sinistré pour des années

L'une des autres priorités à adresser au gouvernement comprend idéalement un plan de soutien aux droits sociaux des intermittents, dont tous craignent qu'ils ne baissent drastiquement. Ghislain Gauthier glisse un exemple : «Sur l'année 2020, il manque 400 millions d'euros de cotisations rien que sur la retraite complémentaire, par rapport à 2019.»  Faute de cotisations pour l'alimenter, le centre médical de la Bourse est menacé de faillite. «On craint une cessation de paiements de la médecine du travail des intermittents, ajoute Ghislain Gauthier. On demande donc une compensation de ces caisses.»

Incohérences

A quelques mètres de là, Marine B., 29 ans, liste les incohérences qu'a engendrées le nouveau confinement la concernant, dont celle-ci : «Je peux intervenir auprès de 27 élèves comme les écoles sont ouvertes, mais en parallèle je ne peux pas donner de cours individuels à mes sept élèves, s'interroge cette musicienne intervenante. Du coup, je le fais en visio, mais comme les parents ne peuvent pas toujours je n'en ai que deux de présents.» Impossible pourtant de mettre en pause les leçons, car l'argent manque pour celle qui ne bénéficie que d'un «petit» chômage partiel.

Photo Cyril Zannettacci pour

Libération

Cécile résume la grogne générale : «On entend souvent que "l'art est essentiel". C'est bien joli. Mais l'art, c'est avant tout des artistes, c'est-à-dire des gens qui ont besoin de payer leur loyer. Et là on peut de moins en moins.» Posé sur son vélo juste à côté, Clément, 34 ans, ne dit pas autre chose. Comme Marine, cet artiste amateur et membre de l'Orchestre debout réclame d'ailleurs «le report des loyers personnels. Il y a plein d'artistes précaires qui vivent à Paris et qui n'y arrivent plus. Faute de moyens, ils risquent de quitter la capitale.»

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