C’est un secret bien gardé, un mystère persistant, une question en suspens depuis des années : que cache le centre financier du Luxembourg ? Que trouverait-on si l’on ouvrait le coffre-fort de ce tout petit Etat situé au cœur de l’Union européenne, placé par de nombreux chercheurs dans le top 5 mondial des paradis fiscaux ? L’enquête OpenLux, conduite par Le Monde avec seize médias partenaires pendant plus d’un an, apporte des réponses : 55 000 sociétés offshore gérant des actifs dont la valeur atteint au moins 6 500 milliards d’euros.
Ces sociétés fantômes sans bureau ni salarié ont été créées par des milliardaires, des multinationales, des sportifs, des artistes, des responsables politiques de haut rang et même des familles royales. Le Luxembourg agit comme un aimant pour la richesse du monde : sur un territoire de 2 586 km2, Tiger Woods et la famille Hermès côtoient Shakira et le prince héritier d’Arabie saoudite. Des centaines de multinationales (LVMH, Kering, KFC, Amazon…) y ont ouvert des filiales financières. De riches familles y font fructifier leur patrimoine immobilier.
Plus surprenant, OpenLux révèle que des fonds douteux, suspectés de provenir d’activités criminelles ou liés à des criminels visés par des enquêtes judiciaires, ont été dissimulés au Luxembourg. C’est le cas de sociétés liées à la Mafia italienne, la ’Ndrangheta, et à la pègre russe. La Ligue, le parti d’extrême droite italien, y a caché une cagnotte recherchée par les autorités transalpines. Des proches du régime vénézuélien y ont recyclé des fonds de marchés publics viciés.
Pour mener cette enquête, Le Monde a constitué une immense base de données qui répertorie les bénéficiaires des quelque 140 000 entités immatriculées au Luxembourg (sociétés, fondations, fonds) – c’est-à-dire leurs véritables propriétaires –, complétée par 3,3 millions d’actes administratifs et de rapports financiers. Il s’agit de documents récemment rendus publics, mais qui ne sont accessibles qu’au compte-gouttes sur le site du registre du commerce luxembourgeois. Le Monde a pu les extraire dans leur intégralité pour les analyser, en partenariat avec seize médias internationaux, dont la Süddeutsche Zeitung en Allemagne, Le Soir en Belgique, McClatchy aux Etats-Unis, Woxx au Luxembourg, IrpiMedia en Italie, et le consortium de journalistes d’investigation OCCRP.
157 nationalités représentées
Ces investigations confirment que le Grand-Duché est, à rebours de ce qu’affirment les autorités luxembourgeoises, un véritable centre offshore, à mi-chemin entre la City de Londres et les îles Vierges britanniques. Près de 90 % de ses « sociétés » sont contrôlées par des non-Luxembourgeois. Parmi les quelque 157 nationalités représentées dans cet étonnant « Who’s Who », les Français se distinguent : ils occupent la tête de liste avec, au total, plus de 17 000 sociétés.
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