Au Conseil constitutionnel, la rémunération des Sages explose de manière "illégale"

Initialement, la parlementaire avait prévu de réduire une rémunération qui s’est totalement emballée, ces dernières années, passant de 6.900 euros bruts par mois en 2001 à 14.999 euros en septembre dernier, selon un rapport parlementaire. D’après les derniers chiffres obtenus par Challenges, elle atteint aujourd’hui plus de 16.000 euros bruts mensuels pour les membres et même 17.600 euros pour le président, Laurent Fabius. Des rémunérations supérieures à celle du président de la République (15.000 euros). Dans une première version de sa proposition de loi, Cécile Untermaier voulait les ramener au niveau des celles des ministres, soit 9.940 euros. "Je ne veux pas polémiquer. Je propose de laisser leur rémunération à son niveau actuel. Mais il faut absolument la rendre légale", nuance-t-elle, aujourd’hui.

Pendant des décennies, l’argent perçu par les Sages a été l’un des secrets les mieux gardés de la République. C’est grâce à l’abnégation d’une universitaire, Elina Lemaire, membre de l’Observatoire de l’éthique publique (OEP), et dont l’enquête a duré deux ans, que le voile est aujourd’hui levé. D’abord, pendant 41 ans, les gardiens de la Constitution ont reçu une obole dont la moitié était exonérée d’impôt sur le revenu. Un privilège fiscal accordé par un certain Valéry Giscard d’Estaing, en 1960, lorsqu’il était secrétaire d’Etat aux Finances. Après de multiples contestations, Yves Guéna, alors président du Conseil constitutionnel, a pris l’initiative, en 2001, de demander l’abrogation de ce régime spécial. Une décision de la secrétaire au Budget du gouvernement Jospin, Florence Parly, y a mis fin. Mais pour compenser la perte, Parly a alors augmenté la rémunération de 57%, selon les calculs d’Elina Lemaire qui, après de longues procédures, a réussi à se faire communiquer les fiches de paie. Une décision totalement illégale. "Ni un secrétaire d’Etat, ni aucun membre du gouvernement n’est compétent pour définir l’indemnité des membres du Conseil constitutionnel, en fixer le montant ou en créer une nouvelle", affirme l’universitaire.

L'opacité du Conseil constitutionnel battue en brèche

Et justement, le montant de cette indemnité s’est envolé entre 2001 et 2020: + 72%, selon les calculs de l’OEP. Fixée par Bercy en 2001, elle a depuis été majorée par les différents présidents du Conseil constitutionnel, sans aucun contrôle du Parlement, pour atteindre 8.391 euros, en septembre 2020. A l’inverse, la partie de la rémunération provenant du traitement, lié à l’évolution de l’indice de la fonction publique, est resté bien plus sage, en hausse de 8,6% sur la même période. Tous ces chiffres ont été obtenus de haute lutte. L’OEP a d’abord saisi la CADA (la Commission d’accès aux documents administratifs), qui a donné son feu vert. Face au refus persistant du Conseil constitutionnel, René Dosière, le président de l’OEP, a saisi le tribunal administratif. Cela a fini par faire plier l’institution du Palais Royal, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Challenges.

Une autre épée de Damoclès plane sur la tête des Sages. Elle concerne le cumul de leur indemnité et de leur retraite. Dans sa proposition de loi, Cécile Untermaier préconise "d’interdire le cumul de l’indemnité de membre du Conseil constitutionnel et d’une pension de retraite". C’est une autre anomalie: les Sages, qui sont souvent en fin de carrière, peuvent bénéficier de ce cumul, qui est pourtant interdit pour les autorités publiques et administratives indépendantes (Autorité des marchés financiers, de la concurrence, de la sûreté nucléaire…). Sur les neuf membres du Conseil constitutionnel, huit auraient déjà liquidé leur retraite. Par exemple, Alain Juppé peut déjà percevoir ses pensions de l’Inspection des Finances et de député français et européen. La réforme proposée par Cécile Untermaier reste soft: elle empêcherait le cumul de l’indemnité (et pas du traitement) avec la pension de retraite et ne concernerait que les futurs membres de l’institution.

Mais les Sages ne sont pas les seuls à être dans le collimateur: le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a été pris à parti par le député UDI Thierry Benoît, qui a dénoncé ce cumul, possible à la Cour –contrairement à Pierre Moscovici, l’ex président Didier Migaud avait, lui, refusé de cumuler. Gardienne des comptes publics, l’institution de la rue Cambon a, sur ce sujet, le même problème que le Conseil constitutionnel: un manque d’exemplarité.