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Le nom de Samuel Paty écarté pour baptiser une promo de Sciences Po Strasbourg
La direction de Sciences Po Strasbourg a choisi d'écarter le nom de Samuel Paty lors du vote prévu pour baptiser la promotion des élèves de première année.
Pascal GUYOT / AFP

Le nom de Samuel Paty écarté pour baptiser une promo de Sciences Po Strasbourg

Frousse ?

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Les étudiants de première année de l'IEP alsacien ont choisi Gisèle Halimi après un scrutin marqué par le choix de la direction d'écarter le nom de Samuel Paty, enseignant assassiné par un islamiste en octobre dernier.

Quiproquo ou censure ? L'interrogation laisse perplexe les étudiants en première année à Sciences Po Strasbourg, depuis l'étrange épisode du choix du nom de leur promotion. C'est une tradition dans cet institut d'études politiques : après quelques mois passés ensemble, les jeunes organisent un vote, chapeauté par le bureau des élèves (BDE), afin de baptiser symboliquement leur cohorte pour les quatre années à venir.

Sauf que cette année, un petit incident a perturbé le rituel : présent au premier tour, et qualifié pour le second, le nom de Samuel Paty, cet enseignant sauvagement assassiné par un islamiste le 16 octobre et devenu un symbolique de la liberté d'expression, a été biffé unilatéralement de la liste des finalistes, sur décision de la direction de Sciences Po Strasbourg.

L'affaire a déclenché les protestations de la section locale de l'Union nationale inter-universitaire (UNI), organisation étudiante classée à droite. Dans un communiqué, l'UNI, évoquant « la colère au sein de la promotion », estime que les évènements illustrent « la manière dont l'idéologie et les militants d'extrême gauche font la loi et n'hésitent plus à fouler du pied la mémoire d'un martyr de la liberté. » En signe de protestation, les syndicalistes ont mené une action en rebaptisant symboliquement l'amphithéâtre principal de l'IEP du nom de Samuel Paty.

Impossible d'affirmer avec certitude que le nom de l'enseignant d'histoire a été censuré, mais la direction de Sciences Po Strasbourg a visiblement manqué de clarté. Le 9 mars dernier, le BDE de l'IEP annonce sur sa page Facebook l'ouverture du vote, avec une première étape : chaque étudiant peut proposer des noms potentiels de promotion, lesquels doivent « répondre à deux conditions : la personne doit être décédée, et ne pas être “clivant” ». Le bureau des élèves ajoute dans son annonce que « l’administration souhaiterait établir une alternance entre homme et femme pour les différentes promotions ». La précédente promo ayant hérité du nom du peintre Tomi Ungerer, le BDE encourage les élèves de première année « à proposer et choisir des noms féminins cette année » mais précise qu'il « ne s’agit cependant pas d’une obligation ».

31 voix pour Samuel Paty

En conséquence, les personnalités choisies par les étudiants sont très majoritairement des femmes, mais quelques hommes se glissent dans la liste : on y trouve ainsi le mathématicien Alan Turing, mais aussi Samuel Paty, à l'initiative d'un petit groupe d'étudiants, dont Romain*, qui explique à Marianne avoir voulu honorer « un héros symbole du combat pour la liberté d'expression ». Chaque étudiant dispose de 5 votes pour le premier tour, et les cinq noms ayant recueilli le plus de voix accèdent à la seconde phase du scrutin.

Le premier tour a lieu le vendredi 12 mars, et les résultats doivent être proclamés le soir même. Surprise : on annonce aux étudiants que le verdict sera finalement livré la semaine suivante. Le lundi 14 au soir, le BDE révèle la liste des noms sélectionnés pour le second tour : Gisèle Halimi, George Sand, Frida Kahlo, Marie Curie et Nina Simone. Il est aussi précisé qu'après un « filtrage, la direction a choisi de retirer les noms qui avaient déjà été attribués à des promos précédentes. Dans un but de parité, les noms masculins ont aussi été écartés. » Exit donc Hannah Arendt et Olympe de Gouges mais également Samuel Paty, qui avec ses 31 voix aurait pourtant été qualifié pour la finale…

Une règle facultative devient obligatoire

Contactée par Marianne, la direction de l'IEP assure que « le nom de Samuel Paty n'a pas été “censuré” de la short list proposée par les étudiants de 1ère année pour le vote de leur nom de promotion. Chaque année, la dénomination de la promotion à vocation à alterner entre un homme et une femme. La promotion 2019-2024 ayant été nommée “Tomi Ungerer”, c’est au tour d’un nom féminin d’être désigné cette année, ce qui a supposé que ne restent en lice que les noms féminins proposés par les étudiants ». Un élément reste toutefois obscur : pourquoi ce qui était présenté comme facultatif aux étudiants est devenu obligatoire entre les deux tours ? Relancée sur la question, la direction de l'IEP n'a pour l'heure pas donné suite.

Certains étudiants ne sont pas convaincus par les explications de Sciences Po Strasbourg. À commencer par Romain, l'un de ceux qui ont proposé le nom de Samuel Paty : « C'est honteux, juge-t-il. Nous sommes dans une école où l'on prétend nous apprendre beaucoup de choses sur la démocratie, mais la direction ne respecte pas elle-même les choix démocratiques de ses élèves. » Pour lui, soit l'IEP « craint de potentielles représailles au niveau sécuritaire », soit il aurait tout simplement décidé de « ne pas se mouiller, étant donné le climat délétère pour la liberté d'expression qui règne à l'université mais aussi à Sciences Po », notamment dans l'antenne grenobloise de l'école. Marie*, une autre étudiante, dénonce « un problème de démocratie », et estime que la décision de la direction « reflète une peur compréhensible mais aussi un aveuglement voulu : on se cache derrière une soi-disant lutte pour la parité afin de ne pas voir le problème ». Les deux étudiants, non syndiqués, affirment que beaucoup de leurs camarades partagent leur point de vue.

Des étudiants remontés

Pour François Blumenroeder, président de l'UNI Strasbourg, l'épisode du vote puis du « filtrage » est « suspect ». Lui aussi en est réduit à émettre des hypothèses, faute de preuves : « Soit Sciences Po Strasbourg est dans la ligne idéologique des IEP et considère que les quotas de femmes sont préférables à la compétence, ce qui est déjà problématique. Soit l'IEP ne veut pas prendre de risques en matière de problèmes communautaires. »

Les divers étudiants interrogés par Marianne n'ont cependant pas fait état de pressions idéologiques ou de menaces pesant sur la liberté d'expression dans l'établissement. Finalement, le second tour a livré son verdict le jeudi 18 mars, et c'est Gisèle Halimi qui l'a largement emporté avec 88 des 161 voix exprimées. Les défenseurs de Samuel Paty se consoleront en se rappelant que la militante féministe d'origine tunisienne était elle aussi très hostile aux islamistes.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne