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En Belgique comme en France, le même déni de l'antisémitisme par les antiracistes
La flambée de violence au Proche-Orient entraîne une recrudescence des propos et des actes antisémites, partout en Europe et singulièrement à Bruxelles, où l’on a encore scandé des « Morts aux Juifs » lors d’une manifestation de soutien au peuple palestinien ce samedi 15 mai.
© Hans Lucas via AFP

En Belgique comme en France, le même déni de l'antisémitisme par les antiracistes

L'œil de Marianneke

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L’antisémitisme est aujourd’hui, de toute évidence, une forme de racisme tout à fait spécifique, rappelle notre chroniqueuse bruxelloise Nadia Geerts, notamment parce qu'il est trop souvent le fait d’une autre minorité, elle-même par ailleurs victime de racisme.

L’hémicycle du Parlement bruxellois est depuis fin avril le théâtre des « Assises de la lutte contre le racisme », destinées à lutter plus efficacement contre le racisme sous toutes ses formes : « xénophobie, antisémitisme, islamophobie, afrophobie, asiaphobie… ». Un projet louable qui a pourtant d’emblée montré son talon d’Achille, qui a pour nom : antisémitisme.

S’il est vrai que la fonction des mots est de dire le réel, l’analyse du programme des six demi-journées de colloques est inquiétante. Un vocabulaire spécifique s’y impose d’emblée : « islamophobie », « intersectionnalité », « racisme structurel », racisme sur base de « caractéristiques vestimentaires », « décolonisation », alors même que l’antisémitisme, quant à lui, n’est jamais nommé.

Hausse de l'antisémitisme en Belgique

Et ce double constat devrait nous alerter. Depuis 2004 en effet, le Conseil de l’Europe met en évidence une augmentation des actes antisémites en Belgique. Diverses études soulignent le développement d’un antisémitisme musulman, et une étude publiée par la Fondation Jean-Jaurès en 2020 montrait d’ailleurs que les jeunes musulmans francophones ont trois fois plus de préjugés antisémites que les athées. Résultat : les élèves juifs désertent de plus en plus l’enseignement public bruxellois pour lui préférer les écoles confessionnelles juives, qui sont d’ailleurs les seules à être en permanence protégées par des militaires.

L’attentat de 2014 au Musée juif de Bruxelles devrait nous rappeler qu’aujourd’hui, on peut encore mourir en Belgique, comme en France, du simple fait que l’on est juif, et on a encore vu ce week-end combien chaque flambée de violence au Proche-Orient entraîne une recrudescence des propos et des actes antisémites, partout en Europe et singulièrement à Bruxelles, où l’on a encore scandé des « Morts aux juifs » lors d’une manifestation de soutien au peuple palestinien, ce samedi 15 mai.

Racisme spécifique

Alors certes, on peut tout à fait légitimement considérer que la haine de l’autre n’a pas à être morcelée : il y a toujours, dans le racisme, un rejet de l’autre parce qu’il est autre, et qu’on lui attribue de ce fait une série de caractéristiques qui l’essentialisent en tant qu’« autre » irréductiblement inférieur, menaçant ou en tout cas inassimilable.

Mais chaque forme de racisme mobilise des préjugés et stéréotypes distincts. Et l’antisémitisme est aujourd’hui, de toute évidence, une forme de racisme tout à fait spécifique. D’abord parce que, en dehors de la minorité ultra-orthodoxe, les juifs ne constituent pas une minorité visible.

Dès lors, comme le pointait en France le Conseil des sages de la laïcité en octobre 2020, « si le raciste considère que les populations qu’il dénigre pour leurs différences perceptibles seraient inférieures, l’antisémite est animé par une peur, doublée de jalousie, alimentée par l’idée que les juifs, nécessairement vus comme intellectuellement, politiquement, socialement et économiquement dominateurs, représenteraient une menace vitale. Les juifs seraient d’autant plus dangereux qu’ils sont invisibles (on ne peut les différencier physiquement). »

Racisme d'une minorité

Mais il y a autre chose, qui explique peut-être la frilosité de ces assises à s’emparer de l’antisémitisme, et qui tient au fait que celui-ci est trop souvent le fait d’une autre minorité, elle-même par ailleurs victime de racisme. N’y a-t-il pas là une forme d’intersectionnalité, certes à rebours de ce qu’on a coutume de mettre sous ce vocable, qui gagnerait à être analysée ?

Cela nécessiterait évidemment de quitter les simplismes, ceux qui opposent un « nous » auquel il reviendrait de traquer en lui le mal raciste, et un « eux » érigé en incarnation de la victime. Il y a du eux en nous et du nous en eux. Telle est peut-être la première leçon à tirer des non-dits de ces assises.

Mais pendant que le climat se détériore au Proche-Orient, la coprésidente d’Écolo, Rajae Maouane, poste sur son profil Instagram une photo d’un Palestinien maniant un lance-pierre, accompagnée d’une chanson de la chanteuse libanaise Julia Boutros, soutien du Hezbollah, qui appelle le peuple arabe à lutter contre « les fils de Sion ». Et le secrétaire d’État, Pascal Smet, tweete : « J’envisage l’ouverture d’un poste économique à Ramallah pour affermir les contacts entre les Palestiniens et les Bruxellois ».

Et ce n’est pas de l’humour belge.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne