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Le profil néonazi d'un des suspects du projet d'attentat contre des francs-maçons
Thibaud Rufra, l'un des interpellés dans le cadre de l'enquête sur un projet d'attentant visant des francs-maçons, ne faisait pas mystère de ses opinions néonazis
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Le profil néonazi d'un des suspects du projet d'attentat contre des francs-maçons

Info Marianne

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Thibaud Rufra, 29 ans, est l’un des Alsaciens d'ultradroite suspectés d'avoir planifié un attentat contre une loge maçonnique. Sur les réseaux sociaux, selon ses comptes personnels que "Marianne" a pu consulter, cet ancien candidat du Front national aux élections municipales montre son enracinement dans l’idéologie néonazie. Aux antipodes de ce que fait valoir sa défense.

Tôt ce mardi 4 mai, à Hagueneau (Alsace), les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) tirent de son lit Thibaud Rufra, 29 ans. Barbe de trois jours, cheveux ras coiffés au gel, le jeune activiste d’extrême droite est menotté devant son épouse, avant d'être placé en garde à vue en compagnie de cinq autres personnes, toutes proches de Honneur et Nation, obscure organisation néonazie fondée un peu plus d’un an plus tôt.

Un vaste coup de filet. Les limiers de l’antiterrorisme les ont à l’œil depuis des mois. Ils les soupçonnent de fomenter un attentat contre une loge maçonnique dans la Moselle voisine. Nom de code ? « Projet Alsace. » Selon les enquêteurs, ils avaient commencé les repérages, la recherche d'explosifs et détenaient déjà des munitions. D'après le Journal du Dimanche, ils auraient aussi projeté de s’en prendre à Olivier Véran, le ministre de la Santé. Après 48 heures de garde à vue, trois d’entre eux, dont Thibaut Rufra, ont été mis en examen et placés en détention provisoire pour « association de malfaiteurs terroriste ». Avec cette opération, c’est la sixième fois qu’un attentat d’ultradroite était empêché en France depuis 2017.

À l’opposé de leurs valeurs

Rufra n'était pas un inconnu dans la vie politique locale du Bas-Rhin : en 2014, il était candidat aux élections municipales de Haguenau, sous étiquette Front national, sur la liste « Hagueneau Bleu Marine ». Tout juste son identité était-elle dévoilée par les Dernières nouvelles d’Alsace et Rue89 Strasbourg que son épouse et sa belle-mère (une ancienne élue du Rassemblement national) répondaient aux accusations de « terrorisme ». Les deux femmes « contestent avec force l’existence d’un quelconque projet d’attentat qui aurait été en préparation sous leur toit », selon un communiqué transmis par leur avocat, Jean Paillot, à la presse régionale. À les lire, « la préparation d’un tel acte, et l’idéologie nazie ou néonazie qui en serait la justification, s’opposent totalement à leurs valeurs ». Si son épouse précise enfin que son mari a certes « été proche du mouvement "Honneur et Nation" », il s’en serait distancié, « il y a plusieurs années ». « Le couple allait mal. En 2019, sa femme lui a demandé de choisir entre son idéologie et elle. Il l’a choisie elle », précise à Marianne leur défenseur, qui évoque, de la part de l’époux, « un changement radical ».

Pourtant, rien dans l'activité en ligne de Thibaud Rufra ne semble confirmer cette prise de distance. Jusqu’à la veille de son interpellation, le jeune homme se faisait encore appeler « Thibaut Aryan », une référence à la race aryenne, sur plusieurs plates-formes et forums en ligne. C’est le cas sur VKontakte, le réseau social russe, où il était encore actif jusqu’au 3 mai. Il y publiait des visuels antisémites et fréquentait des groupes d’échanges néonazis comme la communauté « Grand Facho », liée à un site d'actualité satirique néonazi du même nom (dont les rubriques ont des noms colorés : « esprit hitlérien », « planète alt-right »…). Sur Facebook, il était abonné à des dizaines de comptes nationalistes et néonazis.

Sur ses photos de profil, on distingue également sa poitrine nue, tatouée d’une croix de Malte - une référence d’extrême droite - qui lui recouvre le pectoral gauche. Dans les branches de cette croix figurent aussi les nombres 14 et 88. Pour les initiés, « 14 » signifie la suprématie blanche. Les « 8 »,quant à eux, renvoient à la position de la lettre « H » dans l’alphabet et au salut hitlérien (« Heil Hitler »).

Au-delà de cette présence en ligne, le jeune homme avait, semble-t-il jusqu’en octobre 2020, des responsabilités au sein de Honneur et Nation (H&N). Ce groupuscule a été fondé en janvier 2020 par Sébastien Dudognon, un ancien dirigeant du Front national de la jeunesse, comme l’a révélé Marianne. Thibaud Rufra apparaît sur une photo un mois plus tard en compagnie d'autres militants. Lui est vêtu d’un bombers noir, floqué du casque spartiate qui fait office de logo pour H&N, avec sur le torse la mention « Secrétaire ». Loin de l’image du repenti qui a rompu avec l’activisme… « Est-ce qu’il a raconté des bobards à son épouse pendant deux ans ? Est-ce qu’il était sincère ? Il est parfois difficile de couper immédiatement et définitivement les ponts avec son passé », pondère Me Paillot.

Durant ces années, Thibaud Rufra est aussi un lecteur des livres de Vincent Vauclin, président de la Dissidence française, une mouvance qui se qualifie de « néofasciste » devenue Mouvement national-démocrate (MND) en 2020. Après vérifications des registres de son mouvement, Vincent Vauclin est « catégorique sur le fait que Thibaut Rufra n'a jamais été membre de la Dissidence Française ou du MND », affirme-t-il auprès de Marianne. Du reste, « il n'a jamais été question d'actions violentes et tous les profils "douteux" ont toujours été tenus à l’écart du mouvement ».

Avant Honneur et Nation, germes de violence dans la DNR

Ailleurs, il a bien été question d'actions violentes. Avant d'être membre de Honneur et Nation, Thibaud Rufra grenouillait dans une autre organisation néonazie, la Division nationaliste révolutionnaire (DNR). Ce mouvement éphémère, qui n'a jamais dépassé les 25 membres, était essentiellement actif en Corrèze courant 2017-2018. La DNR réfléchissait à des actions de type putsch, comme nous le confiait dès 2018 un adhérent : « L'heure est grave, et personnellement je ne vois aucune manière démocratique de prendre le pouvoir sans coup d’État », assurait ce membre, en indiquant que plusieurs adhérents « pratiqu[ent] le tir » et que « la prise de pouvoir par les armes peut être une solution ».

Simple fanfaronnade ? C'est ce que pense Alexis Issaurat, un militant survivaliste qui a côtoyé des membres de la DNR et fondé la section italienne fantoche de ce mouvement : « Les mecs se bourraient la gueule, parlaient beaucoup, de fracasser des gens, mais aller jusqu’à du terrorisme… Non, ils en parlaient bourrés. Mais il n’y avait jamais la volonté d’aller jusqu’au bout ».

La DNR a rapidement été minée par des frictions autour de la personnalité d'un de ses chefs, Jeff. Après sa scission, une partie de ses troupes a participé au lancement de H&N. A ce moment-là, selon des sources contactées par Marianne, Thibaut Rufra voulait monter une expédition punitive contre leur ancien chef. Mais sans le faire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne