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Jessica, 26 ans, défenestrée après un an de mariage

Devant les assises du Rhône, le procès trop banal d’un mari jugé pour avoir tué sa compagne. Un amour «foudroyant» précipité depuis le troisième étage.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 2 juin 2021 à 0h10

Sur les rares photos connues de Jessica Astorga Carballo, on remarque ses colliers de fines perles. La jeune Mexicaine, qui aimait porter ces courts plastrons colorés provenant de son pays, rêvait de créer sa ligne de bijoux. Ce mardi, les clichés qui défilent sur un écran de la salle d’audience de la cour d’assises de Lyon montrent son visage fin, éclairé par des yeux bruns ourlés de mascara. Longue chevelure et mise soignée, elle pose avec des amis au pays ou sur un pont enjambant la Saône avec sa grande sœur, Aline, venue lui rendre visite en France en 2017. Jessica s’y était mariée quelques mois plus tôt.

L’élu ? Pierre-Olivier Labastida, Français né d’un père mexicain. Elle l’avait rencontré un an plus tôt à Mexico. Lui voyageait alors en quête de ses origines et de bon temps ; elle avait décroché de ses études d’architecture, se cherchait aussi. Ils deviennent «très vite un couple», explique Pierre-Olivier Labastida dans le box des accusés, évoquant une «relation très fusionnelle», un «amour foudroyant».

«Je ne sais pas, je ne comprends pas»

C’est lui qui, selon ses aveux, lui aurait donné la mort dans la nuit du 11 août 2018, précipitant le corps de la jeune femme de 26 ans par la fenêtre de leur appartement du 3e étage après l’avoir étranglée. Jugé pour meurtre, avec la circonstance aggravante d’avoir été le conjoint de la victime, Pierre-Olivier Labastida, jugé jusqu’à mercredi, encourt une peine d’emprisonnement à perpétuité. Devant la cour, il reconnaît être «responsable» du décès de son épouse mais dit n’avoir aucun souvenir du geste fatal. «Je ne sais pas, je ne comprends pas», persiste le trentenaire, cheveux frisés noués et chemise claire dissimulant ses bras couverts de tatouages.

Jessica était une personne fragile. La société nous inculque une façon de s’adapter aux hommes, par peur de l’abandon

—  Florencia Mariscal, avocate de la mère et de la sœur de Jessica

Le 11 août à l’aube, il est pourtant sûr de la version qu’il livre au voisin d’en face, alerté par le bruit de la chute de Jessica dans la rue, puis aux secours et à la police arrivés sur place. Sa femme se serait défenestrée, leur a-t-il assuré en sanglots. La mise en scène macabre ne tient que quelques jours. Avant les résultats du rapport d’autopsie, qui ont confirmé le décès par asphyxie, Pierre-Olivier Labastida se rend à la police le 13 août. Il remet aux enquêteurs une longue lettre manuscrite décrivant sa tentative de maquiller ses actes. «Je me suis construit un mensonge», admet-il devant la cour, auprès de laquelle il n’a cessé, durant deux jours, de mettre en avant «les tendances suicidaires de Jess», sa supposée instabilité, son «chantage affectif» et ses «crises».

Un an après leur mariage, Jessica a peu d’amis à Lyon et peine à apprendre le français. Elle décroche quelques petits boulots mais n’a pas repris ses études. Son mari, formateur en informatique, dépose en avril 2018 une main courante pour acter son intention de divorcer. «La relation est doucement et silencieusement devenue dysfonctionnelle, car Jessica avait une très forte dépendance émotionnelle, financière et linguistique vis-à-vis de moi», explique l’accusé. Une autre addiction est au cœur de ce procès : l’héroïne, que Pierre-Olivier Labastida sniffe de longue date et à laquelle il reconnaît avoir initié sa femme en France. Au quotidien, le couple donnait le change, mais le soir venu, la came dictait l’ambiance.

«Elle ne savait pas trop quoi faire de sa beauté»

«Jessica était une personne fragile et ça a été aggravé par le fait d’être étrangère et isolée. La société nous inculque une façon de s’adapter aux hommes, par peur de l’abandon», considère maître Florencia Mariscal, avocate aux barreaux de Paris et de Madrid, qui représente, au côté de maître Raphaël Malleval, avocat au barreau de Lyon, la mère et la sœur de Jessica, parties civiles. Les deux femmes, vêtues de noir, se tiennent bien droites sur le banc qui leur est réservé face à la cour. «C’était une enfant tendre, tranquille, qui adorait jouer et a toujours aimé l’école», se souvient Soledad Carballo Flandes, venue de Mexico «pour faire justice» à sa fille et rendre hommage à «son sourire, sa bonté».

Adolescente, Jessica pratiquait la natation et la gymnastique, «avait des amis et allait faire la fête, mais normalement», précise sa mère, qui décrit la «femme entrepreneuse» qu’elle était devenue à ses yeux : «Elle avait des projets, elle se battait pour atteindre ses objectifs.» Aline Astorga Carballo, sa grande sœur, dit de «Jessi» qu’elle était «très belle mais ne savait pas trop quoi faire de cette beauté» : «Le regard social lui importait peu, elle était fidèle en amitié, se liait aux gens pour ce qu’ils étaient vraiment.» De sa cadette «artiste et bohème», qui «dessinait très bien», «écrivait des textes» et «jouait de la guitare», elle voudrait que l’on ne retienne que ces mots : «Une femme libre, forte, vivante.» C’est un homme, le sien, qui aura ôté à Jessica la possibilité de le rester.


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