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La fille d’un dignitaire tchétchène fuyant des violences familiales renvoyée de force chez elle

Une vidéo montre la police russe qui fait brutalement irruption dans le local d’une foyer pour femmes victimes de violence, le 10 juin, à Makhatchkala (Daguestan), et emmène de force Khalimat Taramova, 22 ans, fille d’un dignitaire tchétchène ayant fui des violences familiales. La jeune fille avait pourtant demandé la protection policière. Une trahison qui laisse abasourdies les bénévoles du projet Marem, qui viennent en aide aux femmes victimes de violences dans le Caucase du Nord.

Khalimat Tamarova, fille d'un proche du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, avait annoncé fuir des violences conjugales (à gauche) avant d'être délogée par la police du refuge pour femme où elle s'était rendue (à droite).
Khalimat Tamarova, fille d'un proche du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, avait annoncé fuir des violences conjugales (à gauche) avant d'être délogée par la police du refuge pour femme où elle s'était rendue (à droite). © Marem / Instagram
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Il est 22 h le soir du 10 juin, lorsqu’un officier de police frappe à la porte du local du projet Marem, à Makhatchkala. Selon Maysarat Kilyaskhanova, bénévole du projet, il affirme qu’il est seul. Avec une autre bénévole, Svetlana Anokhina, elles ouvrent avec prudence la porte de l’appartement de crise où leur association héberge des femmes victimes de violences. Soudain, deux hommes en civil s’avancent et tentent de forcer le passage. D’autres femmes accourent de leur chambre à grand cris pour essayer de les en empêcher, mais les hommes parviennent à les tirer de force sur le palier. Une fois le passage dégagé, on voit entrer dans la pièce le père de Khalimat Taramova, venu en personne chercher sa fille, qui s’était enfuie de Tchétchénie pour échapper à des violences familiales.

C’est Ayoub Taramov, homme d’affaires et ancien chef de l’administration de la Tchétchénie dans les années 2000, proche du leader Ramzan Kadyrov. 

La vidéo de l’intervention a été publiée sur le compte Instagram du projet Marem le 17 juin :

La vidéo a été filmée via l’une des caméras de surveillance installées dans l’appartement de crise, que Maysarat a allumée "au bon moment".

Deux bénévoles du projet Marem et deux femmes qu’elles hébergeaient ont été arrêtées par la police le même jour. Pendant ce temps, Khalimat Taramova aurait été emmenée par des hommes en civil dans des Jeep aux numéros d’immatriculation tchétchènes, selon une amie qui l’a aidée à s’enfuir, Anna Manylova, interrogée par le journal Kholod.

Après avoir fui de Grozny (Tchétchénie) à Makhatchkala, 170 km à l’est, Khalimat Taramova avait pourtant adressé une vidéo à la police le 6 juin pour demander de ne pas la rechercher. "Je suis partie de chez moi de mon plein gré, pour échapper à des violences régulières et à des menaces", dit la jeune femme dans la vidéo. "Je demande de ne pas émettre d’avis de recherche fédéral à mon égard et de ne pas divulguer d’informations concernant ma localisation, car cela mettrait ma vie en danger."

La vidéo, filmée le 6 juin et envoyée aux forces de l’ordre, a été publiée par le journal Zona.media le 11 juin, après l’enlèvement de Khalimat Taramova par la police.

Khalimat a confié aux bénévoles du projet Marem qu’elle souhaitait divorcer, mais que sa famille refusait de la recueillir et la menaçait de mort. Son amie Anna Manylova a précisé que Khalimat était soupçonnée par sa famille d’être lesbienne. En Tchétchénie, les homosexuels sont persécutés, voire torturés.

"Le policier nous a promis qu’il allait la protéger"

Basé à Makhatchkala au Daguestan, le projet Marem apporte un soutien psychologique, juridique et matériel aux femmes victimes de chantage, de violences familiales, de viols ou d’inceste dans le Caucase du Nord. Les bénévoles qui ont tenté d’aider Khalimat Taramova se sentent trahies par la police, qui avait pourtant promis de la protéger, affirment-elles.

Maysarat Kilyaskhanova, bénévole de 25 ans originaire du Daguestan arrêtée lors de l’intervention des forces de l’ordre le 10 juin, raconte à la rédaction des Observateurs qu’un policier était déjà passé à l’appartement quelques heures plus tôt :

Vers 16 h, la police est venue une première fois. On a montré la vidéo où Khalimat disait qu’elle était partie volontairement et ne voulait pas qu’on la cherche. Lorsque notre avocate est arrivée sur place, nous avons décidé de laisser le policier rentrer pour qu’il voie que Khalimat allait bien. Il a parlé avec elle pendant une heure, il lui a demandé de faire encore une vidéo, il a même fait un selfie avec elle. Il nous a promis qu’il allait enlever l’avis de recherche et qu’il allait la protéger.

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Le projet Marem a publié une vidéo du premier passage du policier sur son compte Instagram le 13 juin. On peut le voir faire un selfie avec Khalimat, qui rit avec lui.

 

Vers 22 h, il a frappé à nouveau à notre porte. Il a dit qu’il était seul. Nous avons pensé qu’il venait nous parler de la protection de Khalimat et on lui a ouvert la porte. Et c’est là que tout à coup, des hommes ont commencé à essayer d’entrer dans l’appartement. 

"Les intérêts des femmes en Russie, et dans le Caucase en particulier, sont souvent la dernière des priorités"

Svetlana Anokhina, journaliste de 58 ans née à Makhatchkala, est l’une des fondatrices du projet. Rédactrice pour le portail féministe Daptar, elle travaille sur les violences faites aux femmes depuis de nombreuses années. 

 [Khalimat] nous a contactées parce qu'on la frappait. Elle disait vouloir divorcer de son mari parce qu'il la battait, elle nous avait montré des blessures. Elle a demandé à rentrer dans sa famille, car lorsqu'une femme quitte son mari dans le Caucase, elle ne peut pas vivre seule, il faut qu'elle retourne chez ses parents. Mais selon elle, son père lui a dit que si elle faisait ça, il la ferait tuer.

On ne peut pas vérifier la gravité d'une menace, mais on comprend une chose : si une personne fuit de chez elle, sans avoir commis de crime, et qu'elle est poursuivie, alors il faut la cacher.

Une jeune fille majeure explique pendant une heure à un policier qu’elle est en danger, il repart en promettant une protection et revient avec la personne de qui elle a demandé d’être protégée ! C’est monstrueux. Nos policiers se sont comportés comme des laquais, ils ont simplement nettoyé le passage à ceux que Khalimat fuyait. La police ne joue pas du tout le rôle qu’elle devrait.

Les intérêts des femmes en Russie, et dans le Caucase en particulier, sont souvent la dernière des priorités. Il faut rééduquer ceux qui pensent que leurs enfants sont leur propriété. Que l’on peut les punir, les couper du monde, les tuer, les intimider, les marier, les empêcher de divorcer… Ces actions doivent être punies par la loi, et la loi doit être respectée.

Les bénévoles du projet Marem entendent porter plainte. Elles ne comptent pas se laisser intimider et veulent continuer leur activité, malgré le stress causé par cet incident.

 

Les photos montrent les blessures d’une des femmes hébergées par le projet Marem, elle-même victime de violences conjugales, qui a tenté de bloquer la route aux policiers pour protéger Khalimat Taramova.

 

Après plusieurs jours sans nouvelles, Khalimat Taramova a fait son apparition dans un reportage de la télévision tchétchène le 14 juin 2021. "Comment je suis arrivée là-bas ? Tout est flou, je ne me souviens pas", dit-elle, les yeux baissés, debout derrière son père, avant d’assurer… qu’elle ne subit aucune violence dans sa famille (de 6'07 à 7'53 ci-dessous).

 

Ayub Taramov a affirmé que sa fille souffrait d’importants troubles psychologiques.

 

Nurdi Nukhadkhiev, référent des droits de l’Homme de la République de Tchétchénie, a affirmé le 13 juin que Khalimat Taramova s’était retrouvée dans le centre de crise au Daguestan par hasard, sous l’influence de ses amies. Le ministre de la Politique nationale et des Relations extérieures Akhmed Dudaev a souligné de son côté l’absence de tout abus de la part des forces de l’ordre.

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