Françoise Gilot, la peintre qui a survécu à l’amour de Picasso 

Épouse de l’éminent artiste de 1943 à 1953, Françoise Gilot est la seule à s’être affirmée et à être parvenue à le quitter. À l’aube de son centième anniversaire, retour sur son histoire tumultueuse avec le peintre, à qui elle a su dire « non ». 
Françoise Gilot la peintre qui a survcu à lamour de Picasso
Images Press

Les femmes qui ont croisé la route de Pablo Picasso n’en sont pas toutes sorties indemnes. Toutefois, l’une d’entre elles a réussi à partir. Pour le centième anniversaire de Françoise Gilot, qu’elle fêtera en novembre prochain, le musée Estrine lui consacre une exposition à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône). L’occasion de revenir sur le parcours de cette artiste accomplie, dont la relation avec le célèbre peintre a constitué une période charnière de sa vie. 

La Femme fleur 

Le couple se rencontre en 1943 dans un restaurant parisien, Le Catalan. À l’époque, Picasso entretient une relation avec la photographe Dora Maar, qui lui fait office de muse. Leur flamme vacille en la présence de la jeune Françoise Gilot, alors âgée de 21 ans. Cette peintre finit par conquérir le cœur de celui que l’on surnomme « le Minotaure », de plus de 40 ans son aîné. De cette histoire naissent deux enfants, Claude en 1947 et Paloma en 1949, et une inspiration sur la toile. Ainsi, Picasso représentait sa compagne sous les traits de la Femme fleur pour exprimer sa personnalité solaire. 

Pourtant, le quotidien avec l’artiste s’apparentait plutôt à un ciel orageux. Annie Maïllis, amie et biographe de Françoise Gilot, à l’origine du documentaire La femme qui dit non diffusé par Arte, a résumé l’expérience de cette dernière comme celle d’une survivante. « Elle est la seule compagne de Picasso à l’avoir quitté, les autres sont devenues folles ou se sont suicidées. Elle, elle a sauvé sa peau et elle est partie », a-t-elle expliqué, en faisant notamment référence à Marie-Thérèse Walter et Jacqueline Roque

Françoise Gilot et Pablo Picasso en 1950.

Michel MAKO
« Il était envahissant et dominateur »

Françoise Gilot l’affirme, les meilleures années passées avec son époux étaient les trois premières, car c’est durant cette période que le couple se fréquentait le moins. « Nous nous voyions deux fois par mois, pas plus », avait confié la peintre à Paris Match en 2012. Et d’ajouter : « Il était envahissant et dominateur. Je tenais à ma liberté que je venais de conquérir en quittant mes parents pour habiter chez ma grand-mère qui me laissait faire ce que je voulais. Je lui résistais. » 

À sa façon, cette fille d’aquarelliste a tenté de se protéger, en ne dévoilant que très peu de détails sur sa personne. « Il s’est toujours plaint de ne pas me connaître, mais c’était à dessein de ma part, dans le cas contraire, il en aurait profité pour me détruire », avait déclaré Françoise Gilot dans le documentaire La femme qui dit non. Vivre avec le génie de la toile n’était pas de tout repos. Elle le décrit comme porteur « d’un côté dépressif, un aspect goyesque, un sens inné du drame et de la mort ». 

Très souvent de mauvaise humeur, Picasso aurait été cruel « avec les gens qu’il aime ». Bien que Françoise Gilot concède dans les colonnes de Paris Match avoir toujours été admirative de sa personnalité « irradiante », leur histoire devait prendre fin. « Quand Picasso a passé le cap des 70 ans, ma jeunesse lui devenait insupportable. Il était agressif et désagréable », s’est souvenue l’artiste. De son côté, elle n’était déjà plus la même. « Moi, j’avais changé aussi. Je n’étais plus la discrète conciliante que j’étais autrefois. Mon brio s’affirmait. J’avais repris la peinture, timidement, en optant pour un minimalisme à l’opposé de son style, puis, à partir de 1951, en y mettant de plus en plus de couleur. » 

Un ouvrage explosif sur leur histoire 

En 1953, François Gilot se sépare finalement de Picasso et part avec leurs deux enfants. Dans les années 60, elle publie le livre Vivre avec Picasso qui rencontre autant de succès qu’il suscite les critiques. Taxée d’opportuniste, la peintre a aussi provoqué l’ire de son ex-compagnon, qui aurait tenté, avec un groupe d’amis, de faire interdire l’ouvrage. Au fil des pages, l’auteure y raconte son quotidien parfois douloureux et toute la violence qu’exerçait Picasso sur celles qui partageaient sa vie. Françoise Gilot y écrit certains propos tenus par le créateur de la peinture Guernica, qui aurait ainsi affirmé que « les femmes sont des machines à souffrir ». 

Françoise Gilot dans les années 80. 

julio donoso

Peu de temps après la publication de son livre et les allégations qu’elle a tenues à l’encontre de Picasso, Françoise Gilot a un temps fait face à une certaine censure de la part des musées français. Aux États-Unis, où elle vit encore aujourd’hui, elle a toutefois rencontré un certain succès et détient désormais plusieurs collections au Museum of Modern Art de New York et au National Museum of Women in the Arts de Washington. Un parcours accompli pour une Femme fleur à l’éclosion redoutable.