Biophysique

Des nids de guêpes fluorescents

Des chercheurs viennent d’identifier au Vietnam des espèces de guêpes qui fabriquent des fils de soie fluorescents pour envelopper l’extrémité de leurs nids. De quoi imaginer de nouveaux matériaux.

POUR LA SCIENCE N° 529
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Ruche guêpes fluorescence

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Munis de lampes ultraviolettes, des chercheurs s’enfoncent de nuit dans une forêt au nord du Vietnam. Soudain, à quelques mètres, quelque chose se met à briller. En s’approchant, ils découvrent un nid de guêpes dont une partie est… fluorescente. Une trouvaille pour Bernd Schöllhorn, de l’université de Paris, Serge Berthier, de l’institut de nanosciences de Paris, et leurs collègues, qui étudient le phénomène de biofluorescence dans la nature, avec l’espoir de s’en inspirer pour développer de nouveaux matériaux.

La fluorescence est une émission lumineuse résultant de l’absorption de la lumière à une certaine longueur d’onde par des pigments (des chromophores fluorescents) suivie d’une réémission quasi instantanée à une longueur d’onde plus grande. Ainsi, un rayonnement ultraviolet absorbé peut être par exemple réémis dans le visible. Ce phénomène est très utilisé en biologie : la protéine fluorescente verte (GFP), issue d’une méduse, sert de marqueur pour l’expression de différents gènes. Le Japonais Osamu Shimomura et les Américains Martin Chalfie et Roger Tsien ont reçu le prix Nobel de chimie en 2008 pour la découverte de la GFP.

De fait, la biofluorescence à ne pas confondre avec la bioluminescence, qui est l’émission de lumière par un organisme via une réaction chimique se rencontre surtout dans les océans. Certains poissons, des méduses et d’autres organismes marins émettent de la lumière de cette façon pour attirer des proies, des partenaires sexuels, ou pour effrayer des prédateurs. La fluorescence est aussi assez courante chez les animaux terrestres, mais elle est souvent très faible. La fluorescence intense est plus rare. Néanmoins, quelques exemples de grenouilles, de scorpions, de perroquets ou de papillons ont ainsi été répertoriés. La fourrure de mammifères comme l’ornithorynque peut également être fluorescente.

Ruche guêpes fluorescence

Lorsque la ruche est soumise uniquement à des ultraviolets, elle brille fortement dans la nuit.

© B. Schöllhorn et S. Berthier

La biofluorescence a inspiré des applications aujourd’hui incontournables, comme la GFP. C’est dans ce contexte que Bernd Schöllhorn et ses collègues exploraient la jungle vietnamienne pour trouver de nouveaux exemples, et ont débusqué les nids fluorescents de polistes, des guêpes sociales. De façon surprenante, ce ne sont pas les insectes qui sont fluorescents mais les bouchons des alvéoles que tissent leurs larves à l’extrémité des nids.

Les chercheurs ont caractérisé cette émission lumineuse chez quatre espèces de polistes vietnamiennes. Ils ont montré que les chromophores absorbent des ultraviolets autour de 380 nanomètres de longueur d’onde et réémettent dans le vert à 540 nanomètres environ. L’équipe a comparé ces valeurs à celles de deux autres espèces de polistes, l’une vivant dans le sud de l’Europe et l’autre en Guyane : ces dernières brillent plutôt dans le bleu, à 470 et 440 nanomètres respectivement.

Ruche guêpes fluorescence

Les larves de l’espèce de guêpes Polistes brunetus tissent des fils de soie fluorescents sur les extrémités de la ruche. Les insectes adultes ne présentent pas de fluorescence.

© B. Schöllhorn, S. Berthier et L. T. P. Nguyen

Quel est l’avantage évolutif de cette biofluorescence ? Elle pourrait servir aux guêpes à retrouver leur nid la nuit. En effet, il a été montré en 2017 que la part d’ultraviolet dans la lumière réfléchie par la Lune est suffisante pour exciter la fluorescence de certains amphibiens. Il pourrait en être de même pour le nid des guêpes. Bernd Schöllhorn et ses collègues avancent une autre explication possible. Seule l’extrémité du nid est fluorescente, or c’est la partie qui héberge les larves de l’insecte. Ces larves sont très vulnérables au rayonnement ultraviolet pendant leur métamorphose, période d’intense activité de division cellulaire. La couche fluorescente servirait alors de filtre protecteur en absorbant la lumière nocive pour la réémettre à une longueur d’onde moins agressive.

Les chercheurs travaillent maintenant à identifier les molécules fluorescentes et leurs interactions avec les protéines du fil de soie. Leur combinaison conduit à un biomatériau original alliant résistance mécanique et fluorescence. De quoi imaginer diverses applications… sans oublier que la jungle réserve certainement encore d’autres surprises !

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Sean Bailly

Sean Bailly est rédacteur et responsable des actualités à Pour la Science.

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Références

W. Daney de Marcillac et al., Bright green fluorescence of Asian paper wasp nests, J. R. Soc. Interface, vol. 18, article 20210418, 2021.

S. Berthier, L’éveil du Morpho, Flammarion, 2021.

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