Agricultrices, ces femmes essentielles pour le « monde agricole de demain »

Jusqu'en 1961, le mot "agricultrice" n'existait pas dans le dictionnaire français. Aujourd'hui, une exploitation agricole sur quatre est gérée par une femme. [Elitprod/Shutterstock]

Longtemps méconnues, les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’asseoir dans le monde agricole. Retour sur le rôle des agricultrices dans un univers longtemps perçu comme masculin.

« Jusqu’au début des années soixante, le rôle des femmes dans l’agriculture n’était tellement pas considéré que l’on n’avait même pas un mot pour le caractériser » : le terme « agricultrice » est entré dans le dictionnaire français en 1961 seulement, a fait savoir le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, lors d’un petit-déjeuner débat à l’occasion de la journée internationale des femmes ce lundi (8 mars).

En 60 ans, les choses ont changé : les femmes ne cessent d’asseoir leur place dans le monde agricole. Elles représentent aujourd’hui 30 % des actifs agricoles permanents. Et un chef d’exploitation sur quatre est en fait… une cheffe.

Les agricultrices sont nombreuses à gérer ou coexploiter les exploitations ovines et viticoles (30 % de l’ensemble des exploitants), selon des chiffres publiés cette semaine par le ministère de l’Agriculture. Elles représentent également près de la moitié du personnel dans l’enseignement agricole, 77 % du personnel dans les services aux personnes et aux territoires et 57 % du personnel de la transformation alimentaire. Enfin, près de deux tiers des étudiants dans l’enseignement supérieur long dans le secteur agricole sont des femmes.

En Europe, le risque d’un « gender gap »

Au niveau européen, le nombre de femmes dans l’agriculture augmente bel et bien, mais d’énormes écarts sont à constater entre les pays. Si en moyenne, 29 % des exploitants sont des femmes, leur nombre est le plus élevé dans les pays Baltes (45 % en Lettonie et en Lituanie). Au contraire, elles sont seulement 5 % à gérer une exploitation agricole aux Pays-Bas, 6 % à Malte et 8 % au Danemark, selon les derniers chiffres d’Eurostat. En Allemagne aussi, seul un exploitant sur dix est une femme.

Source : Eurostat

 

Une problématique majeure, c’est ce que la Commission européenne appelle le « gender gap » – un grand écart des genres dans la nouvelle génération, seulement 4,2 % des agricultrices en Europe ayant moins de 35 ans. Un écart que la Commission dit vouloir combler à travers la Politique agricole commune (PAC) : les pays membres de l’Union européenne doivent prendre en compte la situation des femmes en milieu rural dans leurs programmes de développement rural, a-t-elle fait savoir dans un communiqué ce lundi.

Le monde agricole serait « encore très masculin », a également souligné Agnès Poirier, réalisatrice des documentaires « Nous paysans » et « L’installation », lors du débat animé par le ministre de l’Agriculture.

Constat partagé par Laurence Cormier, présidente de l’association Les Elles de la Terre. «Généralement, quand on parle d’agriculture, on parle toujours d’agriculteurs. Le mot « agricultrice » est encore très peu reconnu », explique-t-elle à Euractiv. « Mais ça change, les choses bougent et les femmes n’ont plus peur de s’installer aujourd’hui », affirme-t-elle.

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« On a moins peur de se planter »

Malgré le « parcours de combattante » que s’installer en agriculture signifie souvent pour les femmes, elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer : 37 % des agriculteurs et agricultrices qui s’installent chaque année en France sont des femmes, selon un article sur FranceInfo. « Trentenaires, combattantes et innovantes », les femmes feraient « évoluer les pratiques agricoles » dans ce monde longtemps dominé par les hommes.

« En tant que femme qui s’installe dans le monde agricole, on a plus à prouver qu’un homme qui va d’emblée être considéré comme plus légitime par rapport au métier qu’il va choisir », explique Laurence Cormier. Par contre, elle croit en la capacité des femmes à mieux surmonter les épreuves : « Ne pas y arriver, c’est souvent un échec pour l’homme. Alors que nous, les femmes, on a moins peur de se planter. On se dit que si une chose ne marche pas, on va essayer autrement. »

Même conviction du côté d’Audrey Lopez et Lauriane Achard, éleveuses de vaches laitières en Bretagne et protagonistes du documentaire « L’installation » qui ont témoigné lors du petit-déjeuner débat. « Aujourd’hui, en tant que femme, on se dit qu’il y a des choses qu’on ne pourra pas faire ou alors on les fera différemment », expliquent-elles. « C’est important de le dire : on met des choses en place pour pallier par exemple un manque de force physique – mais on ne se dit jamais qu’on ne va pas y aller parce qu’on est des femmes. »

Ainsi, « le monde agricole de demain – pour lequel le défi de renouvellement est si important – ne pourra se faire qu’en accompagnant nos agricultrices », selon Julien Denormandie. Le rôle des femmes dans l’agriculture serait « essentiel » et il faudra continuer à le renforcer, a déclaré le ministre.

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