10 questions sur Scarface d’Howard Hawks (1932)

Ce chef-d'œuvre du film noir, dont Brian De Palma fit un remake avec Al Pacino en 1984, est ressorti en salles en avril 2015.
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Vince Barnett et Paul Muni dans Scarface.T.C.D / VISUAL Press Agency

Qui est Scarface ?
Un petit voyou nommé Tony Camonte, qui rackette les bars à bière de Chicago, mitraillette prête à vrombir. Cet anti-héros (magistralement interprété par un Paul Muni qui annonce le puissant Brando), est calqué sur un modèle : Al Capone, ennemi public, auteur de fameux massacres dont celui de la Saint-Valentin.

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Pourquoi se nomme t-il Scarface ?

Portrait of American gangster Al Capone (1899 - 1947), early to mid twentieth century. (Photo by PhotoQuest/Getty Images)Getty Images

Al Capone « Le balafré »© Getty Images

Comme l’indique le titre du film, ce gangster est balafré, à l’image de Capone qui, suite à une tentative de suicide manquée, avait une cicatrice de la mâchoire au cou. Howard Hawks a voulu décrire la famille Capone comme s’il s’agissait des Borgia, d’où la tonalité incestueuse du personnage, amoureux jaloux de sa sœur. Il le charge, le rend vulgaire, lâche et puéril, cadence les scènes de meurtre au rythme des rafales émises par ces armes que Tony Camonte use comme de jouets.

Comment réagit Capone face au projet de Hawks ?
L'ennemi public envoie des hommes à lui pendant le tournage, pour lui demander de lui montrer le film. Pas impressionné, Hawks répond qu’il aller s’acheter un billet et le voir en salle. Plus tard, Capone invitera Hawks. Ils se retrouvent dans un café de Chicago, autour d’un thé. « Il portait une jaquette, des pantalons rayés, un œillet », dit Hawks. Et aimait le film, vu cinq ou six fois. Capone en possède une copie.

Capone fut-il le seul gangster à apprécier le film ?
Un autre gangster célèbre demande un jour à Hawks comment il avait fait pour dépeindre si précisément certaines tueries. Et lui demande pourquoi le film n’est pas projeté à Chicago. « Il est interdit » répond Hawks. « Je peux me servir de votre téléphone ? » dit le truand. Une minute plus tard, il annonce : « Vous pouvez passer le film quand vous voulez ».

Découvrez le Scarface d'Howard Hawks :

Comment réagit la censure ?
Le projet l’inquiète (les studios doivent montrer les scénarios au Hays Office avant le tournage). Le bureau de censure demande des modifications sur tel ou tel personnage mais s’interroge surtout sur la fin : il faut montrer clairement que les gangsters payent cher leurs forfaits. Globalement, le film lui semble trop brutal et trop ambiguë : si ce n’est pas pour montrer que les gangsters sont répugnants, mieux vaut ne pas tourner ce film, ou alors, sachez qu’il ne sera pas distribué ! Le producteur Howard Hughes envoie un mot à Hawks : « Fais le film, aussi excitant et horrible que possible, et qu’ils aillent se faire foutre ! ».
Au fil du tournage, le bureau de censure est informé qu’on parle d’inceste et juge que c’est « de pire en pire ». Il exige le retrait de tout ce qui viole le Code Hays, plus une préface condamnant le gangstérisme, un discours moralisateur « vigoureux » émis par un personnage. Scarface doit apparaître comme un lâche.
Tourné en 1930, le film ne sort qu’en 1932 à cause des négociations. Hawks finit par accepter de changer la fin. Scarface doit finir pendu. Il tourne la scène sans Paul Muni : gros plans de menottes aux poignets et de fers aux chevilles, prisonnier filmé de dos, pieds, corde de potence..

Comment sont cernés les personnages ?
Par un détail concret : la cicatrice sur la joue gauche de Tony, la pièce qui virevolte dans la main de Gino. Ce détail physique, ce tic traduisent leurs états d’âme. Le film aligne aussi un certain nombre de croix qui annoncent ou concluent les exécutions, apparaissent comme les signes d’une volonté de puissance en même temps que d’un goût enfantin du jeu. La mitraillette de Tony est le substitut d’une certaine impuissance, Gino s’imposant comme son double (il tue pour lui, il séduit les femmes pour lui).

Qui eut l’idée de la pièce de monnaie ?
Gino Rinaldi est interprété par George Raft, danseur mondain et ancien porte-flingue pour des gangs, qui effectue un geste récurrent : avoir sans cesse dans la main une pièce de monnaie qu’il lance en l’air. Selon Hawks, c’est ce jeu de scène qui fit de Raft une star. Selon Raft, c’est Hawks qui pensa à intégrer ce geste qu’il lui avait vu faire plusieurs fois entre les prises, et qui lui rappelait l’histoire d’un tueur laissant une pièce de cinq cents dans la main de ses victimes. Ce geste donnait de l’épaisseur au personnage, le gratifiant d’une « hostilité contenue, d’un goût du défi, d’un certain sang froid ». Certains assurent que le détail figurait dans le scénario écrit par Ben Hecht. Selon Raft, tous les petits gangsters l’imitèrent par la suite. Quand Gino meurt, la pièce échappe de sa main et roule sur le sol…

Comment Howard Hughes rencontra Howard Hawks ?

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Howard Hughes (à gauche) et Howard Hawks à droite © HA Collection / Visual Press Agency

Hughes est passionné d’aviation et de cinéma. Après le tournage des Anges de l’enfer (1930) qu’il a réalisé avec James Whale, il vient se plaindre auprès de Hawks, qu’il accuse de l’avoir plagié dansLa Patrouille de l’aube : dans les deux films, un pilote reçoit une rafale de mitrailleuse en pleine poitrine. Il a un autre grief : Hawks s’est débrouillé pour utiliser des pilotes dont Hughes avait acheté l’exclusivité. Les deux hommes pactisent sur un projet commun : Scarface.

Comment Hawks s’est-il documenté ?
En mêlant une importante documentation à la biographie de policiers, journalistes spécialisés dans le crime et véritables truands.

Qu’apporte le remake de Brian De Palma ?
Tourné en 1983, il est transposé dans le milieu des trafiquants de drogue. Interprété par Al Pacino, Tony Montana est un toxicomane cubain, élevé dans les bidonvilles, qui gravit les échelons de la mafia en tuant, jusqu’à devenir le caïd de Miami, guetté par la paranoïa. Le scénariste Oliver Stone reste fidèle au script de Ben Hecht, y ajoute une dimension politique : Tony a été chassé de Cuba par Fidel Castro. Son histoire est celle de l’ascension et de la chute d’un gangster ayant fui son pays d’origine (communiste) pour s’enrichir dans la patrie capitaliste : une déclinaison du rêve américain. En France, le Scarface de De Palma est un film culte dans les banlieues.