La Russie, cinquième pays le plus touché au monde, est confrontée à une flambée épidémique alimentée par la variante Delta, hautement infectieuse, et aggravée par le retard de la campagne de vaccination.

La Russie fait partie des pays les plus touchés par le Covid-19 avec une population très peu vaccinée.

Dimitar DILKOFF / AFP

La Russie a pourtant fait la course en tête : début décembre 2020, elle devient le premier pays à enregistrer un vaccin contre le Covid-19. Ailleurs dans le monde, certains crient à la précipitation et restent sceptiques face aux méthodes russes. Un an plus tard, le lièvre russe a été rattrapé par les pays voisins : il ne suffit pas de partir en premier, encore faut-il pouvoir tenir le rythme. Le pays dispose de plusieurs vaccins de sa propre conception, dont Spoutnik V, mais seuls 40,3% des 146 millions de Russes sont complètement immunisés à ce jour, selon le site spécialisé Gogov. "Nous avons été les premiers de la planète à annoncer une campagne de vaccination de masse. Et quoi ? Le pourcentage de personnes vaccinées à Moscou est inférieur à celui de n'importe quelle ville européenne !", déplorait le maire de la capitale russe, Sergueï Sobianine le 21 mai, lors d'une rencontre avec des activistes.

Publicité

Pour visualiser le graphique, cliquez ici.

Discours politiques incohérents, nombre de doses insuffisantes, défiance de la population. Autant de raisons qui expliquent que la machine à vacciner russe se soit enrayée. De son côté, le virus a poursuivi sa course : troisième pays le plus meurtri au monde, la Russie comptabilisait 520 000 morts fin octobre, selon l'agence des statistiques Rosstat. Si le pays ne bat plus actuellement de records quotidiens de contaminations et de décès, les chiffres restent élevés avec 30 228 nouvelles infections et 1 149 morts recensés mercredi selon le gouvernement. Depuis le début de la pandémie, la circulation du Covid-19 semble se maintenir à un niveau élevé, encouragée par la faible protection de la population. Dans un entretien accordé à L'Express, le professeur Vasily Vlassov, épidémiologiste et ancien conseiller de l'Organisation mondiale de la santé, revient sur le déroulement de la campagne de vaccination chez le géant européen.

L'Express : Que pensez-vous de la campagne de vaccination en Russie ?

Vasily Vlassov : La campagne de vaccination en Russie est un échec complet et je vais vous expliquer pourquoi. Tout d'abord, la production de vaccins a été très basse. Au début, c'est pour cela que le Kremlin n'a pas fait la promotion de la campagne d'immunisation dans le pays. Il faut se souvenir que les Russes n'étaient pas clairement encouragés à aller se faire vacciner contre le Covid-19. En parallèle, le Kremlin envoyait aussi ses flacons de vaccin à l'étranger - par exemple en Argentine, en Pologne. A cause de cette stratégie d'exportation, nous n'avions pas assez de doses suffisantes à l'intérieur de nos frontières.

LIRE AUSSI : Au Royaume-Uni, un an de vaccination contre le Covid : "J'espère que des leçons seront apprises"

Au début de la pandémie, le gouvernement clamait partout que le virus n'était pas dangereux et cette idée était globalement acceptée au sein de la population russe. Mais le gouvernement a changé de discours rapidement. Au fur et à mesure que la pandémie gagnait du terrain, le Kremlin a commencé à penser qu'il fallait protéger sa population. Mais les Russes n'ont pas compris ce changement de braquet. "Pourquoi devons-nous être vaccinés si le virus n'est pas dangereux ?", se demandaient-ils. Pour résumer, cette campagne de vaccination a été entachée par de nombreuses incohérences.

C'est ce qui a entraîné la défiance des Russes à l'égard du vaccin ?

Oui, mais il faut aussi prendre un compte un autre élément. En Russie, la population ne fait pas confiance au gouvernement qui la dirige. C'est un constat que l'on peut dresser dans tous les anciens pays soviétiques. Non seulement les gens ne se font pas confiance mutuellement, mais ils ne croient pas les hommes et les femmes politiques qui les gouvernent. Par conséquent, cela a été un vrai problème durant la campagne de vaccination. Cependant, cela m'a surpris de voir autant de personnes contre la vaccination, je pensais que la majorité serait au contraire favorable.

Face à cette défiance, des mesures ont été mises en place par le gouvernement. La vaccination est devenue obligatoire pour certaines catégories de personnes. Par exemple, les individus travaillant au sein du système scolaire, les professionnels de santé ou encore les Russes employés dans de grandes entreprises doivent désormais montrer patte blanche : ils doivent montrer un QR code qui atteste de sa vaccination contre le Covid-19. Actuellement, le gouvernement discute d'un projet de loi fédéral portant sur la mise en place d'un passe sanitaire dans le pays. Mais face à l'opposition très élevée de la population, certains politiques rechignent à approuver cette loi.

Aviez-vous des craintes lors du lancement de la campagne de vaccination début décembre 2020 ?

Au début, je n'étais pas très enthousiaste à l'idée que la Russie devienne le premier pays à enregistrer un vaccin. Cette initiative s'apparentait pour moi à de la propagande d'Etat. Je n'étais pas d'accord avec le procédé mis en place et avec la façon avec laquelle le vaccin a été mis sur le marché. Il faut bien noter que les vaccins russes ont été développés en même temps que ceux des autres pays occidentaux. Cependant, les essais russes ont été plus courts, puisque le vaccin a été enregistré par Moscou avant la phase 3 de l'essai clinique - qui aura lieu bien après.

LIRE AUSSI : PODCAST. Vaccins anti-Covid : pourquoi la levée des brevets ne suffira pas (2/2)

Au total, seulement une vingtaine d'individus avaient reçu les deux doses de vaccins, ce qui n'était pas suffisant pour distribuer largement ce produit. L'étude était trop petite. Je dirais que ma plus grande peur était le lent développement de la vaccination dans le pays. Cette crainte est toujours d'actualité. Je n'ai pas véritablement de bons souvenirs de cette campagne de vaccination. S'il y a une chose qui m'a surprise, c'est que le président Vladimir Poutine ne se fasse pas vacciner en public devant les caméras. D'habitude, il est toujours très heureux d'exhiber son corps devant les médias russes donc je n'ai pas compris pourquoi il ne souhaitait pas montrer son épaule cette fois-ci.

La Russie a-t-elle bien fait de miser sur le Spoutnik V ?

J'ai fait partie de ceux qui ont écrit une lettre très critique envers le vaccin Spoutnik V qui a été publié dans la revue scientifique The Lancet au mois de mai. Au-delà du fait que les essais sont problématiques, il y a aussi deux autres questions à laquelle on doit répondre. La première : le vaccin est-il efficace ? Oui, il l'est. Le problème, c'est qu'on ne connaît pas l'ampleur de son efficacité. Il a probablement moins de 95% d'efficacité - comme le revendiquait le pouvoir russe. D'ailleurs, nous avons appris depuis le lancement de la campagne vaccinale dans le monde que les autres vaccins contre le Covid-19 n'étaient pas aussi efficaces que l'on pensait au début.

Aussi, l'autre question est de savoir si le vaccin Spoutnik - et les autres vaccins russes - est sans danger pour les patients. On peut dire qu'il est suffisamment sécurisé, mais là encore on ne connait pas bien ses effets sur le long terme. Du côté du gouvernement, je pense qu'il est très content d'avoir investi dans le vaccin Spoutnik V, car les bénéfices sur le plan économique sont importants.

Craignez-vous que la campagne de vaccination ne décolle pas suffisamment pour endiguer l'épidémie en Russie ?

Actuellement, j'ai peur concernant la campagne de vaccination. Seule une faible proportion de personnes est vaccinée. L'autre problème, c'est que le taux d'incidence en Russie est toujours très élevé. En France, vous avez connu des périodes où le taux d'incidence a été très bas. En Russie il n'y a pas eu de pause. Du mois de mars 2020 à maintenant, le taux d'incidence augmente et le nombre de morts augmente. Je pense que ça ira mieux dans les prochains mois. Ces derniers mois, quand le taux d'incidence a commencé à augmenter de nouveau, les gens ont commencé à être plus enclins à aller se faire vacciner. Les gens ont tendance à être plus raisonnables lorsqu'ils voient le danger. C'est très clair.

LIRE AUSSI : Covid-19 : en Russie, Poutine au pied du mur face à une épidémie galopante

A cela, s'ajoute le fait que nous n'avons jamais eu de vrais confinements. Il s'agissait d'imitations. En octobre dernier, le gouvernement a décrété une semaine chômée - soit une période de congés payés pour endiguer l'épidémie. Mais durant cette période, le salaire que recevaient les Russes ne provenait pas du gouvernement, mais des employeurs. C'était une période très pénible pour les petites entreprises. Avec du recul, c'est difficile de dire si ce dispositif à fonctionner ou non pour atténuer la circulation du Covid-19.

Comment voyez-vous l'évolution de la vaccination dans le futur ?

Il s'agit d'une question très profonde. Ce qui est dommage, c'est que les gens continuent de croire que les vaccins arrêtent ou empêchent la transmission du virus. Une fois le certificat de vaccination obtenue, ils voyagent en pensant qu'ils sont protégés. Et par exemple, ils vont transporter le virus jusqu'en Afrique du Sud, Pays-Bas, ou France. C'est vraiment dommage que les gens ne comprennent pas que le vaccin ne protège pas de la transmission du virus.

Peut-être que la nouvelle génération de vaccin protégera davantage face aux infections et qu'on obtiendra une meilleure protection. Sur la question des traitements, il y en a déjà aux Etats-Unis et en Russie mais, pour l'instant, ils n'ont pas été suffisamment testés. Il faut encore attendre un peu. Concernant les doses de rappel, je pense que ça va devenir une pratique très commune qui va se développer de plus en plus. Concernant la Russie, je pense que davantage de personnes vont se faire vacciner ces prochaines semaines, mais on ne dépassera pas le seuil des 60%.

Publicité