Djemila Benhabib sur le hidjab de Chelsea: la laïcité de l'avenir

POINT DE VUE / Notre époque affectionne le bruit et cultive une certaine idolâtrie pour les victimes imaginaires quitte à fabriquer des causes pour se donner bonne conscience. Par moment, il suffit d’un mot pour que le thermomètre social grimpe faisant éclater des antagonismes de part et d’autre de ce pays qu’est le Canada avec un bloc d’irréductibles Québécois acquis à l’idée d’une stricte séparation entre le politique et le religieux et le reste du pays, fortement imprégné par un imaginaire anglo-saxon, plus poreux à l’Eglise. Au Québec, la religion n’a pas vocation à s’afficher ni à l’école ni au sein de l’appareil de l’Etat pour les fonctions exerçant un pouvoir coercitif. Voilà pour la toile de fond. Pour ce qui est de l’étincelle, elle est iranienne et se prénomme Fatemeh Anvari.


Il y a quelques jours à peine, la jeune femme enseignait à des gamins de troisième année à l’école Chelsea Elementary School en Outaouais. Sauf que l’enseignante emmitouflée dans son hidjab enfreignait la loi sur la laïcité de l’Etat adoptée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2019. Elle a donc été affectée à d’autres tâches dans la même école.

Si l’enseignante voilée a décidé de défier la loi, elle n’est pas la seule mise en cause. Comment se fait-il que la Commission scolaire anglophone Western Québec l’ait engagée ? Voyant le tollé que son retrait suscite jusqu’au plus haut sommet de l’Etat puisque le premier ministre, Justin Trudeau, s’en est mêlé déclarant que « personne au Canada ne devrait perdre son emploi à cause de ce qu'il porte ou de ses croyances religieuses », on pourrait penser que cette histoire est cousue de fil blanc. N’est-ce pas le prétexte tant attendu par Ottawa pour hystériser, encore une fois, le débat sur la laïcité de l’Etat au Québec et offrir une occasion en or au premier ministre d’exploiter ce filon dans l’arène politique ? Car après tout cette loi est déjà contestée devant les tribunaux. Pourquoi le premier ministre interfère-t-il avec autant de véhémence dans une « affaire judicaire » ? Ne fallait-il pas prendre un peu de hauteur et s’en tenir au principe de la séparation des pouvoirs née en Grande-Bretagne, principe si cher au philosophe français Montesquieu qui l’a théorisé au début du XVIIIe siècle ? Que cherchent à faire ces commentateurs et ces politiciens qui contestent la légitimité de cette loi ? A vilipender cette « majorité » tyrannique qui vote des lois liberticides ? Et, ultimement, à s’autoproclamer « défenseurs » de ces « minorités » opprimées et discriminées ?

Il y a quelques jours à peine, Fatemeh Anvari enseignait à des gamins de troisième année à l’école Chelsea Elementary School en Outaouais. Sauf que l’enseignante emmitouflée dans son hidjab enfreignait la loi sur la laïcité de l’Etat adoptée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2019. Elle a donc été affectée à d’autres tâches dans la même école.

Remettons les choses en perspective. Le Québec est une démocratie où il fait bon vivre pour les uns comme pour les autres. L’affaire Fatemeh Anvari n’est aucunement un referendum pour ou contre cette enseignante qu’on découvre, d’ailleurs, volubile quant à son voile qu’elle présente comme faisant partie de son identité. Il est question du choix d’une nation, d’un système scolaire laïque et d’une idéologie islamiste raciste, sexiste, homophobe et antisémite qui se drape dans un habillage de droits humains pour contaminer l’école et l’esprit de nos enfants. Car une enseignante qui place ses convictions religieuses au-dessus de ces obligations professionnelles n’a pas sa place dans le milieu scolaire. C’est aussi simple que ça. Ce n’est pas la laïcité qui exclut mais une interprétation rigide de l’islam qui rabaisse la femme et l’enferme. D’autant plus que le voile islamique n’est pas une prescription religieuse. L’imame franco-algérienne Kahina Bahloul affirme que le hijab n’est ni une priorité ni un pilier de l’islam. C’est, plutôt, l’islam politique qui en a fait un uniforme au service d’une cause sous couvert du religieux. Ultimement, le voile sert à établir un ordre moral, à distribuer des points entre les « bonnes » et les « mauvaises » musulmanes, c’est-à-dire les « pures » et les « impures ». Et osons le dire. Lorsque le voile rentre en conflit avec la loi, il devient un acte politique : un geste de défiance.

L’idée de rendre l’école imperméable aux confrontations idéologiques, politiques et religieuses relève du souci de préserver les élèves des guerres intestines qui par définition ne doivent concerner que des adultes. L’élève n’est pas en capacité de réfuter (ni même de détecter) un geste prosélyte ou partisan. Pour autant, il a le droit à sa liberté de conscience, élément indissociable à l’acquisition de l’esprit critique. Au Québec, l’école a été démocratisée pour mélanger les élèves et non les séparer en fonction de l’origine sociale et des croyances de leurs parents. Le sociologue émérite Guy Rocher prévient que permettre le port de signes religieux aux enseignants mettrait le Québec sur la voie d’une « reconfessionnalisation » de l’école publique. Autrement dit, pourquoi avons-nous autant milité pour décrocher les crucifix des murs des classes si c’est pour être envahis par d’autres symboles religieux ?

La laïcité garantit le respect de la liberté de nos consciences, elle nous apprend à douter, nous permet de choisir, nous offre la sécurité indispensable pour assumer des ruptures. La laïcité c’est cette petite tape bienveillante sur l’épaule qui nous permet de franchir une étape pour une autre. C’est cette voix intérieure qui nous susurre à l’oreille, vas-y, ose ! Nous avons le droit de choisir nos lois. Un peuple souverain est celui qui est en mesure de se donner ses propres lois, suggérait Rousseau, dans Le contrat social, au lieu de les recevoir d'un despote, d'un prince, d'un dieu, d'un monarque de droit divin. Notre gouvernement est un gouvernement élu. S'il a obtenu une majorité aussi importante, c'est pour défendre les intérêts de notre peuple. Continuons à soutenir la laïcité ! C’est notre dignité et notre honneur qui sont en jeu. C’est l’avenir de nos enfants qui en est l’horizon.