Nous avons décortiqué les comptes de la ville de Paris depuis l'accession d'Anne Hidalgo à l'Hôtel de Ville.

Nous avons décortiqué les comptes de la ville de Paris depuis l'accession d'Anne Hidalgo à l'Hôtel de Ville.

LUDOVIC MARIN / AFP - SARAH MEYSSONNIER / POOL / AFP - JEROME GILLES - VINCENT KOEBEL - MEHDI TAAMALLAH / NURPHOTO/AFP - SERGE ATTAL / ONLY FRANCE / AFP - L'EXPRESS

Une Berezina socialiste. En politique, les saisons passent mais ne se ressemblent pas. Il y a un an, électrisée par sa réélection confortable à la mairie de Paris, Anne Hidalgo s'imaginait un destin présidentiel. Mais ses premiers mois de campagne ont rapidement pris des allures de retraite de Russie. A fond de cale dans les sondages alors qu'elle navigue entre 3 et 6% dans les intentions de vote, la candidate socialiste appelle désormais à l'organisation d'une primaire de la gauche. Un grand flop, pour l'heure. Balayée sur la scène nationale, Anne Hidalgo est également sur le gril dans son fief parisien. Sentant l'odeur du sang, l'opposition de droite en profite pour tirer à boulets rouges sur la gestion de la ville : endettement explosif, projets faramineux et dispendieux, climat social délétère... Jusqu'à demander une mise sous tutelle de la cité. Pour tenter d'y voir plus clair, nous avons donc épluché les comptes de la capitale, décortiqué les subtilités de la fiscalité locale, soulevé le capot des négociations sur le temps de travail des agents. Finances, ressources humaines, investissements, subventions... Plongée dans le vrai bilan de la gestion Hidalgo.

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Le tour de passe-passe budgétaire des loyers capitalisés

C'est un courrier de deux pages adressé à Anne Hidalgo et signé par deux ministres, Olivier Dussopt, responsable des deniers publics, et Jacqueline Gourault, en charge des collectivités locales. Deux longues pages dans lesquelles les ministres de la République somment la maire de Paris de rentrer dans le rang. Les mots sont durs, l'avertissement sans appel. Sous les dorures de l'Hôtel de ville, la missive reçue ce 25 novembre a fait l'effet d'une bombe. Il s'agit tout simplement de mettre fin à un jeu d'écritures qui a ripoliné les comptes financiers de la ville depuis des années. La comptabilité publique a ses secrets que le quidam ignore. Là, le secret a un nom : les loyers capitalisés. "C'est une lettre politique scandaleuse, indécente de la part du gouvernement. Nous sommes parfaitement dans la légalité. D'ailleurs, Bercy a validé cette pratique pendant des années", s'emporte Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la ville, quand nous l'interrogeons sur les dessous de l'affaire.

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© / Artpresse

Pour comprendre ce pataquès comptable, il faut remonter en 2015. Autre temps, autre ministre des Comptes publics. A l'époque, Bercy travaille sur une nouvelle répartition des dotations de l'Etat entre communes et le socialiste Christian Eckert voit débarquer dans son bureau une Anne Hidalgo un brin agacée par les arbitrages annoncés. La solidarité, c'est bien, sauf quand Paris doit payer... Elle tonne, menace de convoquer une conférence de presse pour dire que le secrétaire d'Etat chargé du Budget la pousse à augmenter les impôts des Parisiens et finit par claquer la porte. Elle revient toquer au bureau de Christian Eckert quelques jours plus tard avec un plan soigneusement ficelé. Paris a dans sa besace des milliers de logements loués au prix du marché. Il s'agit donc d'en transférer une partie au parc HLM et d'exiger en échange des bailleurs sociaux qu'ils versent d'un seul coup l'ensemble des loyers actualisés prévus sur les cinquante ou soixante prochaines années. Une recette "magique" qui ne vient pas gonfler le budget d'investissement mais sert à payer les dépenses de fonctionnement - et notamment les salaires des agents de la ville. La technique a deux avantages : rehausser d'un coup le nombre de logements sociaux pour respecter la loi SRU sans en construire un seul et faire rentrer des millions d'euros dans les caisses.

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Encore faut-il que le ministre des Comptes publics donne son aval. A l'époque, Bercy tique. Le Conseil de normalisation des comptes publics, sorte de haute autorité chargée de surveiller les bonnes pratiques comptables, s'étouffe. Le dossier remonte à Matignon où Manuel Valls donne son feu vert. Depuis, Bercy a, chaque année, autorisé ce micmac comptable que Paris est la seule ville de France à pratiquer. Pourquoi une telle magnanimité ? "Après tout, ça ne coûte pas un centime à l'Etat" remarque cyniquement un haut gradé de la Direction générale des finances publiques. En six ans, 1,2 milliard d'euros ont gonflé les recettes de la ville. D'après nos informations, la mairie de Paris avait en projet de récupérer 500 millions d'euros supplémentaires sur les cinq prochaines années. "Cette dérogation ne pourra plus être accordée au-delà de l'exercice 2022 (...). Elle est constitutive d'un risque budgétaire de fuite en avant", peut-on lire dans la fameuse lettre des deux ministres. Sans la martingale des "loyers capitalisés", l'équation comptable d'Anne Hidalgo se complique sérieusement. Mais l'an prochain, le tandem Dussopt-Gourault ne sera sans doute plus aux manettes...

La bombe à fragmentation de la dette

A Paris, on connaissait le "quoi qu'il en coûte" bien avant la pandémie. En six ans, la dette de la ville s'est alourdie de près de 72%, passant d'un peu plus de 4 milliards d'euros à 7,1 milliards cette année. L'an prochain, si l'on en croit le budget primitif mitonné par l'exécutif parisien, l'endettement de la cité pourrait atteindre les 7,7 milliards d'euros. "La crise sanitaire a laissé, à elle seule, une empreinte de 1,2 milliard dans les comptes, mais les finances de la ville sont saines", rétorque Paul Simondon, l'adjoint aux finances.

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© / Artpresse

Reste que la dérive n'a pas attendu le Covid. Ces milliards de dette supplémentaire, c'est la facture sonnante et trébuchante d'une fièvre bâtisseuse qui s'est emparée de la ville depuis des années. Voiries, pistes cyclables, espaces verts, grands chantiers de rénovation des places mythiques : Nation, Panthéon, Madeleine, Bastille ou encore Italie... Avec à chaque fois des budgets qui ont explosé les devis initiaux. Le symbole ? La place de la République, dont les coûts auraient dérapé de près de 50%. "Même sur des programmes plus modestes de rénovation des bâtiments publics, comme les écoles, les budgets dépassent en moyenne de 20% les projections initiales. Ce qui révèle un manque d'anticipation et d'évaluation des projets", s'agace Valérie Montandon, la vice-présidente du groupe Changer Paris et conseillère régionale (LR) d'Ile-de-France. Remontée à bloc, l'opposition de droite crie au surendettement et en appelle même à la mise sous tutelle de la ville, s'appuyant sur des chiffres publiés par Bercy en septembre qui révèlent un endettement par habitant proche de 3498 euros, contre 1772 euros à Marseille ou 769 euros à Lyon. Des chiffres certes officiels mais impossibles à comparer entre eux. Car Paris, à la différence de toutes les autres communes de France, est aussi un département. A ce titre, elle doit aussi supporter toutes les dépenses sociales assurées par ces derniers : RSA, aides aux handicapés, aides sociales à l'enfance...

Reste que l'agence de notation Fitch a abaissé l'été dernier la note de la ville. "Ce n'est pas tant le niveau de la dette qui inquiète que la capacité de la mairie à dégager des ressources suffisantes pour rembourser chaque année ses emprunts", décortique un fin connaisseur des finances publiques locales. Contrairement à l'Etat, les communes sont corsetées par une règle d'or : impossible pour elles de faire "rouler" leur dette, en clair de s'endetter à nouveau pour rembourser les créanciers. Elles doivent donc dégager un matelas de cash suffisant. "A Paris, il faut désormais douze années d'épargne pour éponger la dette contre six dans une commune bien gérée", pointe une source de Bercy. Preuve qu'il y a bien quelque chose qui coince au royaume parisien.

L'addiction à la bulle immobilière

"Que voulez-vous dire par addiction ? Vos propos sont connotés", nous répond, glacial, Emmanuel Grégoire, le premier adjoint de la ville, pas vraiment emballé à l'idée d'aborder ce sujet très glissant. Il y a entre la ville de Paris et le marché de l'immobilier une relation un brin vicieuse. Pour ne pas dire schizophrène. Alors que les tarifs du mètre carré dans la capitale ont grimpé d'environ 25% depuis une dizaine d'années, l'exécutif ne cesse de se plaindre des ravages de la bulle immobilière qui éjecte de plus en plus loin en banlieue les classes moyennes et les ménages les plus modestes.

Pourtant, c'est bien cette même bulle immobilière qui fait vivre Paris. Au coeur du réacteur, les droits de mutations à titre onéreux (DMTO). En clair : les frais de notaires payés par l'acquéreur lors d'une transaction immobilière et dont une partie tombe dans les caisses de la mairie. La mécanique est simple. Plus les prix de la pierre grimpent, plus les transactions sont nombreuses et plus les recettes fiscales tirées de ces fameux DMTO gonflent. Depuis 2014, ils ont progressé de 45% pour tutoyer 1,6 milliard d'euros cette année, d'après les comptes publiés par la ville. Et ils pourraient atteindre un niveau record en 2022, si l'on en croit les projections inscrites dans le budget provisoire. Une manne providentielle, très erratique - elle a chuté en 2020 avec le coup d'arrêt provoqué par le Covid - mais qui représente à elle seule pas loin du quart des recettes de la ville, d'après les calculs de l'agence Fitch. Une dépendance dont il est compliqué de se sevrer. D'autant qu'elle est ancienne.

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© / Artpresse

"Dès le début des années 2000, quand on a vu les prix de la pierre s'enflammer et les droits de mutation progresser fortement, on a demandé à Bertrand Delanoë de sanctuariser cette recette, et de faire en sorte qu'elle ne serve pas à financer le train de vie de la ville. Il n'a jamais cédé", raconte Yves Contassot, l'ancien adjoint EELV à la mairie de Paris et aujourd'hui conseiller de Paris. Depuis, rien n'a changé. Il faut dire que l'exécutif parisien n'a pas vraiment intérêt à freiner l'envolée des prix. "C'est de la spéculo-dépendance", attaque la députée Maud Gatel, également présidente du groupe MoDem au conseil de Paris. D'autant que pour respecter ses promesses sur le nombre de logements sociaux, la ville s'est lancée dans un vaste programme de préemption d'immeubles entiers dans le parc privé. Louable action mais qui conduit en bout de course à accentuer la pénurie et à faire encore grimper les prix du mètre carré... "Pour compenser la cherté de l'immobilier, le taux de taxe foncière est deux fois plus bas que la moyenne nationale", rétorque Paul Simondon, l'adjoint aux finances. Une façon aussi de chouchouter les propriétaires qui s'enrichissent en dormant.

L'arrosoir à subventions

A Paris, on aime le monde associatif. Musique, sport, danse, entraide aux personnes âgées, aux femmes battues, aux enfants, aux handicapés, aux immigrés... Un monde extrêmement dynamique qui emploie des centaines de personnes et qui vit en partie des subsides de la mairie. "Ce n'est plus de la subvention, c'est de la pulvérisation" attaque Eric Azière, l'ancien président du groupe UDI-MoDem au conseil de Paris. Des attaques que l'exécutif balaie d'un revers de la main. "Tout est transparent, tout est voté en conseil de Paris, rien n'est caché. La fantasmagorie sur les associations amies est ridicule", réplique Emmanuel Grégoire. Pour sortir du fantasme, rien de mieux que de décortiquer les chiffres. Mais, malgré nos multiples demandes, la mairie de Paris ne nous a jamais fait parvenir le montant consolidé de toutes les subventions aux associations. "Le problème, c'est qu'il n'y a aucun contrôle a posteriori de l'utilisation des fonds publics. Aucun tableau de bord, aucun rapport d'activité sur les projets réalisés" ajoute le conseiller régional d'Ile-de-France Pierre Liscia, auteur de La Honte.

En attendant, le choix de privilégier tel ou tel organisme reflète aussi les orientations politiques et idéologiques de la majorité. Toute une nébuleuse d'associations nourrissant un discours écolo-radical, intersectionnel, woke et appelant à des réunions non-mixtes, est privilégiée. Ainsi, La Petite Rockette, qui aurait bénéficié de 188 330 euros de subventions en 2020, organise régulièrement des soirées Manivelles en "non-mixité choisie". A l'inverse, un orchestre classique a vu ses dotations diminuer de près de 30% au motif qu'il ne proposait pas suffisamment d'oeuvres symphoniques écrites par des femmes compositeurs... "Et que penser de l'Acort, l'Assemblée citoyenne des originaires de Turquie. Son coordinateur général Ümit Metin, estime que les lois de 2004 et de 2010 contre le voile à l'école et l'interdiction de la burqa sont des lois islamophobes et il accuse la France de xénophobie et de racisme d'Etat. Malgré tout, la ville continue de lui assurer un soutien sans faille", s'enflamme Pierre Liscia. D'après les pointages réalisés sur le site Open Data de la mairie de Paris, l'Acort aurait reçu chaque année depuis 2014 environ 60 000 euros de subventions publiques...

La propreté, parent pauvre du budget

Forcément, un big bang, ça claque. Pour 2022, Anne Hidalgo propose celui de la "proximité". L'élue parisienne a en effet décidé de déléguer dès janvier prochain aux maires d'arrondissement les compétences en matière de propreté, avant celle demain de la police municipale. Une forme de "décentralisation" à la sauce parisienne. Sauf que ce transfert de compétences va se faire sans transfert de moyens. "Ce big bang n'est qu'une vaste blague. Les maires d'arrondissement n'auront aucun pouvoir sur les budgets ni sur les effectifs dédiés" s'esclaffe Maud Gatel, présidente du groupe MoDem au Conseil de Paris.

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S'il y a un sujet qui cristallise la colère des Parisiens, c'est bien celui de la propreté. On se rappelle des polémiques sur le coût des iconiques motocrottes de Chirac. Avec la question lancinante : les habitants en ont-ils vraiment pour leur argent ? Pour y répondre, il faut déjà démêler l'écheveau du "qui fait quoi ?". Si le nettoyage des rues est du ressort des fonctionnaires de la ville, le ramassage des ordures est, lui, confié dans la moitié des arrondissements à des entreprises privées. Le tout sans aucune coordination entre les différents acteurs. Chacun organise ses tournées comme il veut et à l'heure qu'il veut. Avec des situations ubuesques où le ramassage s'effectue le matin sur le côté pair d'une rue et le soir côté impair. Résultat, des poubelles toute la journée sur les trottoirs.

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A côté de cette organisation fantaisiste, reste le sujet qui fâche : le service ne serait pas à la hauteur des impôts que les Parisiens payent. En théorie, deux taxes (la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe de balayage) servent à financer les dépenses de propreté... et seulement celles-ci. Problème, depuis trois ans, les recettes de ces deux taxes dépassent les dépenses affichées par la ville. Ou va le reliquat ? "Nous sommes dans les clous. Un écart de 15% est accepté et validé par le Conseil d'Etat", répond Emmanuel Grégoire, qui en profite pour glisser que la ville devrait dépenser 3,5% de plus l'an prochain pour la collecte, la valorisation des déchets et le nettoyage des rues. Des chiffres à relativiser et à mettre en regard notamment de la hausse totale du budget de la ville. En 2017, une mission d'information pilotée par Yves Contassot, l'ancien maire adjoint en charge de la propreté (entre 2001 et 2008) avait révélé qu'entre 2009 et 2016, la part de toutes les dépenses de propreté (y compris de personnel) dans le budget total de la ville avaient dégringolé de 14 à 9% seulement. Pour L'Express, l'élu EELV a mis à jour ses calculs : ses mêmes dépenses seraient tombées à 6% à peine en 2020, d'après les comptes administratifs de la ville. Bien loin des promesses de l'exécutif parisien.

Le bourbier des 35 heures

Avec Anne Hidalgo, il y a un côté : "Faites ce que je dis mais pas ce que je fais". Gérer Paris, c'est gérer une multinationale de 52 000 salariés, quelque 320 métiers différents... Le respect des corps intermédiaires, le culte du dialogue social, la magie du temps long de la négociation..., normalement ça parle à une ancienne inspectrice du travail et collaboratrice de Martine Aubry. Sauf que sur le sujet radioactif du temps de travail des agents de la ville, la "méthode Hidalgo" s'est révélée tout autre. "En deux ans, elle n'a jamais rencontré les syndicats", tempête Nicolas Léger, cosecrétaire général du Supap-FSU, le syndicat unitaire des administrations parisiennes. Le sujet des discussions ? Le respect d'une loi mitonnée par l'ex-secrétaire d'Etat à la fonction publique Olivier Dussopt - lui aussi un ancien bébé-Aubry - et votée le 6 août 2019 : elle stipule qu'au plus tard au 1er janvier 2022, toutes les collectivités locales de France devront respecter la réglementation en matière de temps de travail et atteindre les fameuses 1 607 heures annuelles. Sauf qu'à Paris, on en est loin. Très loin. En moyenne, les agents travaillent 1 552 heures par an, le résultat d'un empilement de jours de RTT, jours du maire, jours de sujétions (congés supplémentaires donnés pour tenir compte de la pénibilité du job) accordés au fil des décennies. Autant de cadeaux pour s'acheter la paix sociale. Aujourd'hui, 35 000 agents bénéficient de ces fameux jours de sujétions et la ville doit gérer des centaines de rythmes de travail différents. Un coût astronomique, évalué à 74 millions d'euros minimum par an par la Cour régionale des comptes dans un rapport cinglant paru en 2017.

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© / Artpresse

Forcément, démêler cette pelote de laine est un chantier titanesque. "En 2001, les négociations sur la réduction du temps de travail se sont étalées sur dix-huit mois", raconte Nicolas Léger. Dès le départ, Anne Hidalgo se tient volontairement à l'écart, jouant la montre, laissant seul en première ligne son jeune adjoint en charge des ressources humaines, Antoine Guillou, totalement novice en droit social. Pas question d'envenimer encore les relations déjà très tendues avec les Verts, favorables à la semaine de 32 heures.

En septembre 2020, un an après le vote de la loi, les syndicats montent au créneau, demandant l'ouverture des négociations. Mais les mois passent et ce n'est qu'une semaine après une première journée de grève des agents de la ville que les discussions débutent enfin, le 12 février 2021. Alors que la mairie doit rendre sa feuille de route début juillet, les réunions s'enchaînent désormais à un rythme infernal. "Tout a été fait pour épuiser les débats", témoigne un participant. Au coeur de l'été 2021, l'affaire tourne au vinaigre et à l'affrontement avec l'Etat car le plan présenté par la mairie est retoqué par le préfet de la région d'Ile-de-France, Marc Guillaume.

"Sur le fond, nous sommes contre cette loi et on a essayé d'en atténuer les effets négatifs", justifie Antoine Guillou. En cause notamment, trois jours de sujétions accordés à tous les agents de la ville pour des raisons de "pénibilité spécifique du travail dans la ville capitale". Dans un courrier adressé le 28 juillet à Anne Hidalgo et que nous avons pu consulter, Marc Guillaume écrit : "L'affirmation que l'ensemble des agents de la ville de Paris seraient soumis à des conditions de travail particulières du fait d'une sursollicitation du territoire et des services publics parisiens liée à l'activité de la ville capitale n'est appuyée par aucune démonstration reposant sur des données objectives.(...) Son adoption créerait une rupture d'égalité entre différentes catégories de fonctionnaires." Qu'importe, Anne Hidalgo refuse de revoir sa copie. Début septembre, le préfet saisit le tribunal administratif qui, un mois plus tard, suspend l'adoption de ces fameux trois jours. Rebelote, l'élue parisienne porte alors l'affaire devant la cour d'appel administrative dont l'audience s'est tenue ce mercredi 8 décembre. Pendant ces semaines de bataille juridique, la candidate Hidalgo aura sillonné la France, défendant le passage à une semaine de 32 heures... Les syndicats, eux, auront soigneusement été tenus à l'écart. "Elle a sciemment laissé pourrir le dossier", conclut Nicolas Léger. Une autre facette de la gestion Hidalgo.

Autolib', Vélib'... La facture salée des transports partagés

Ejecter les voitures hors de Paris et privilégier les transports décarbonés et partagés. La vision d'Anne Hidalgo pour les déplacements intra-muros est claire. Seulement, là aussi, la gestion de la maire de Paris coûte cher aux finances de la ville. Souvenez-vous des fameuses Bluecar, ces petites voitures électriques conçues par le groupe Bolloré. Plébiscité par ses usagers, qui en même temps en prenaient peu soin, le service Autolib' a tourné au fiasco économique avec un déficit annuel de 50 millions d'euros pour le syndicat métropolitain, à la main de la ville. Conséquence, en 2018, celui-ci rompt le contrat malgré 150 000 abonnés actifs. Depuis, un bras de fer juridique s'est engagé avec le groupe Bolloré toujours en cours devant le tribunal administratif où l'industriel demande 235 millions d'euros d'indemnités, selon une source maison.

Concernant l'autre service phare, Vélib', la facture est là aussi en train de gonfler. La pandémie et les confinements successifs ont chamboulé le modèle économique de l'opérateur Smovengo qui avait gagné le précédent appel d'offres au nez et à la barbe du géant JC Decaux en 2018. Au cours des trois dernières années, il aurait perdu des dizaines de millions d'euros et un prêt garanti par l'Etat de 5 millions d'euros lui a tout juste sorti la tête de l'eau. Problème, lorsque les usagers ont enfourché de nouveau les célèbres bicyclettes vertes, ils se sont tous rués sur les vélos électriques, qui ne représentent que 30% du parc, selon les exigences du contrat. Alors que le service a enregistré jusqu'à 200 000 courses par jour, il s'est vite retrouvé en surrégime. Résultat, la maintenance et la durée de vie des vélos n'ont pas suivi la cadence et l'opérateur a finalement été contraint de se retourner au printemps vers le syndicat métropolitain pour demander une rallonge financière afin de sortir 3 000 bicyclettes neuves dans les plus brefs délais. Pour ce faire, les deux parties ont revu le contrat (qui court jusqu'en 2032) pour "améliorer la qualité de service", comme le confirme un élu. Et un avenant a été signé, avec à la clef un investissement supplémentaire du syndicat de 4 millions d'euros par an (jusqu'en 2024), accompagnant une nouvelle grille tarifaire, elle aussi revue à la hausse.

De quoi ulcérer l'ancien détenteur du contrat, JC Decaux. Le groupe estime en effet que la compétition initiale était biaisée, puisque Smovengo s'est montré très agressif sur le prix - ce critère pesant 40% de la note finale -- mais incapable de tenir ses engagements. Dès lors, l'entreprise étudie une nouvelle fois la possibilité de porter l'affaire devant les tribunaux pour réclamer des indemnités. Même s'il a plusieurs fois été débouté par la justice, voici une menace de plus qui plane sur Vélib' Métropole et la Ville de Paris...

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