Secrets d'artiste

Ce que vous ne saviez (peut-être) pas sur le Douanier Rousseau

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Publié le , mis à jour le
C’est le « peintre naïf » par excellence : Henri Rousseau, mieux connu sous le nom du Douanier Rousseau (1844–1910) incarne l’image du « primitif » moderne avec ses toiles de jungles aussi rafraîchissantes qu’exotiques. Mais est-il seulement un véritable douanier ? Sa naïveté était-elle feinte ? Connaissiez-vous ses démêlés avec la justice ? Beaux Arts apporte quelques lumières sur un destin bien singulier.

1. Le Douanier… n’était pas douanier !

Henri Rousseau n’était pas artiste de son état : il commence à peindre vers 1872 et à exposer quatorze ans plus tard, la quarantaine passée. Issu d’un milieu modeste, Rousseau doit choisir des voies plus sûres que la vie de bohème, plus encore après son premier mariage en 1869. Mais contrairement au Facteur Cheval, le Douanier n’a jamais exercé la profession qui lui vaut son surnom : il aura tour à tour été commis d’avocat à Nantes, militaire à Angers, clerc d’huissier à Paris, et enfin commis de deuxième classe à l’Octroi de Paris, organisme chargé de toucher les taxes sur les marchandises entrant dans la capitale. Il s’agit, disons-le, d’un poste tranquille, laissant à l’amateur plus de temps pour sa passion, d’autant qu’il pourra prétendre à la retraite dès 1893, à l’âge de 49 ans…

Henri Rousseau devant « La Charmeuse de serpents », dans son atelier de la rue Perrel, Paris
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Henri Rousseau devant « La Charmeuse de serpents », dans son atelier de la rue Perrel, Paris, vers 1907

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© Bridgeman Images

2. Il a logé son ami Alfred Jarry

Augustin Grass-Mick, Portrait d’Alfred Jarry
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Augustin Grass-Mick, Portrait d’Alfred Jarry, 1897

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Coll. particulière • © Photo Josse / Bridgeman Images

Si on le connaît comme « Douanier », c’est dû à Alfred Jarry, qui le surnommait ainsi ! Séparés d’une génération, ces deux natifs de Laval étaient unis d’une forte complicité. Jarry découvre le peintre au Salon des Indépendants de 1894. Rousseau y expose La Guerre, où le père de la pataphysique trouve une candeur, une expression brute et sans fard libérée des fioritures habituelles de la peinture de salon. Bref, le même esprit que Jarry cherche à traduire dans sa pièce Ubu roi (1896). Ce dernier introduit le peintre dans les cercles symbolistes et notamment auprès de Rémy de Gourmont, fondateur de L’Ymagier friand d’art médiéval et d’imagerie d’Épinal. Aussi, le second n’hésite pas à héberger son ami de longs mois lorsqu’il se retrouve sans toit, au cours de l’année 1897.

Henri Rousseau, La Guerre ou La Chevauchée de la discorde
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Henri Rousseau, La Guerre ou La Chevauchée de la discorde, 1894

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Huile sur toile • 114 × 195 cm • Coll. Musée d’Orsay • © Bridgeman Images

3. Il n’a jamais voyagé hors de France

De Surpris ! (1891) au Rêve (1910), un décor caractérise plus que les autres la peinture de Rousseau : la jungle. Hautes herbes et lianes touffues tapissent ses toiles, laissant penser que la mangrove n’avait aucun secret pour lui. Le mythe de l’artiste voyageur nous vient du poète Guillaume Apollinaire, autre admirateur du Douanier. Dans un article qu’il lui consacre en 1914, l’auteur des Alcools relaie la légende selon laquelle il aurait participé à la campagne du Mexique durant son engagement militaire (1863–1868). C’est une invention, puisque Rousseau n’a jamais quitté la France : sa connaissance des terres lointaines vient, d’une part, de la presse illustrée dont il est grand lecteur, et d’autre part, de ses visites du Jardin des Plantes et des trois Expositions universelles à Paris, en 1878, 1889 et 1900.

Henri Rousseau, Surpris ! ou Tigre dans une tempête tropicale
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Henri Rousseau, Surpris ! ou Tigre dans une tempête tropicale, 1891

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Huile sur toile • 129,8 × 161,9 cm • Coll. National Gallery, Londres • © Bridgeman Images

4. Adulé par les avant-gardes…

On a moqué sa perspective, critiqué ses figures, raillé ses sujets… Pour persévérer dans les expositions, il a fallu au Douanier Rousseau une volonté de fer, mais pas uniquement ! Le peintre avait ses défenseurs. Refusé au Salon des Artistes français de 1885, il est repéré par le jeune Paul Signac, qui l’invite à exposer chez les Indépendants en 1886 où son style séduit aussi Camille Pissarro. Au Salon d’Automne de 1905, Rousseau expose Le Lion, ayant faim, se jette sur l’antilope juste à côté de la salle où Matisse, Derain et Vlaminck présentent leurs paysages de Collioure. Reprenant une pique de Louis Vauxcelles, on parlera de « cage aux fauves » au sujet de cette salle… Hasard ? Cet engouement de l’avant-garde, cubiste en particulier, trouve son point d’orgue lorsqu’en mars 1908 un banquet est organisé en l’honneur du Douanier Rousseau au Bateau-Lavoir à Montmartre, dans l’atelier de Picasso, avec parmi les convives André Salmon, Marie Laurencin, Georges Braque et Max Jacob.

Manuel Blasco Alarcon, Hommage à Rousseau
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Manuel Blasco Alarcon, Hommage à Rousseau, 1968

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Huile sur toile • Coll. particulière • © Mondadori Portfolio/Walter Mori/Bridgeman Images.

5. … il voulait d’abord être un peintre académique

Les multiples références historiques dans son œuvre en témoignent : le Douanier Rousseau veut se rattacher à la grande tradition française. Curieux, studieux, appliqué, il obtient une carte de copiste au Louvre en 1884. Dans ses premiers pas de peintre, c’est auprès des tenants de l’Académie qu’il se tourne : William Bouguereau et Jean-Léon Gérôme, qui ont d’ailleurs remarqué chez lui un certain talent. L’admiration de Rousseau est telle qu’il reprend la composition de L’Innocence de Gérôme pour composer Heureux quatuor en 1901. Quand Rousseau dit à Picasso : « Nous sommes les deux plus grands, toi dans le genre égyptien, moi dans le genre moderne », c’est une façon selon le collectionneur Daniel-Henry Kahnweiler de se ranger du côté des peintres académiques, qui représentent la modernité aux yeux du Douanier.

À gauche : « Heureux quator », de Henri Rousseau (1901, coll. particulière) ; à droite: L’Idylle ou Daphnis et Chloé  de Jean-Léon Gérôme (1852, musée Massey, Tarbes)
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À gauche : « Heureux quator », de Henri Rousseau (1901, coll. particulière) ; à droite: L’Idylle ou Daphnis et Chloé de Jean-Léon Gérôme (1852, musée Massey, Tarbes)

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© Christie’s Images/Bridgeman Images ; © musée Massey, Tarbes.

6. Âgé de la soixantaine, il passe Noël en prison

Naïf, le Douanier ? Pas toujours dans les affaires. Il échappe une première fois à la prison à 16 ans à la suite d’un vol, en s’engageant dans l’infanterie. Bien des années plus tard, en 1907, l’escroc Louis Sauvaget l’entraîne dans une affaire de chèques sans provisions dupant la Banque de France. Rousseau passera le mois de décembre en prison, avant d’être dédouané par son complice. L’affaire revient aux assises en janvier 1909, où Maximilien Luce témoigne en la faveur de son confrère. L’avocat du Douanier Rousseau plaide : « Vous n’avez pas le droit de condamner un primitif ! » ; « Comment ce peintre du Moyen Âge pouvait-il se rendre compte de la nature d’un chèque ? ». La fraîcheur des toiles du peintre, dont la présentation amuse bien la cour, aurait-t-elle joué en sa faveur ? Rousseau échappe au bagne, mais écope de deux ans de prison avec sursis et 1 000 francs d’amende. Soulagé, il promet au juge de peindre, en remerciements, le portrait de son épouse…

Henri Rousseau, Moi-même, portrait-paysage
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Henri Rousseau, Moi-même, portrait-paysage, 1890

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Huile sur toile • 146 × 113 cm • Coll. Galerie nationale de Prague • © Bridgeman Images

Retrouvez dans l’Encyclo : Douanier Rousseau

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