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Amir Khalil, vétérinaire au secours des animaux victimes de la guerre

Anne-Cécile Beaudoin

Des ours martyrs de Bulgarie jusqu’aux lions abandonnés de Saddam Hussein, il sauve des animaux dans les pires zones de la planète.

Avec Laziz, un tigre évacué du zoo de Khan Younès, dans la bande de Gaza. À l’université vétérinaire de Beit Dagan, en Israël, en 2016.
Avec Laziz, un tigre évacué du zoo de Khan Younès, dans la bande de Gaza. À l’université vétérinaire de Beit Dagan, en Israël, en 2016. © MENAHEM KAHANA / AFP
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Syrie, 2017. Une dizaine de bêtes croupissent dans le parc Magic World d’Alep, dont ce tigre en piteux état. Elles vont être exfiltrées, sous la menace de Daech
Syrie, 2017. Une dizaine de bêtes croupissent dans le parc Magic World d’Alep, dont ce tigre en piteux état. Elles vont être exfiltrées, sous la menace de Daech © DR
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Irak, 2017. Au secours du lion Simba, miraculé du zoo Al-Nour, à Mossoul. La plupart des locataires ont été tués ou sont morts de faim pendant l’offensive des forces irakiennes
Irak, 2017. Au secours du lion Simba, miraculé du zoo Al-Nour, à Mossoul. La plupart des locataires ont été tués ou sont morts de faim pendant l’offensive des forces irakiennes © SAFIN HAMED / AFP
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Pakistan, 2020. Avec Kaavan, un éléphant maltraité. Après sa convalescence au zoo d’Islamabad, il a rejoint un sanctuaire au Cambodge.
Pakistan, 2020. Avec Kaavan, un éléphant maltraité. Après sa convalescence au zoo d’Islamabad, il a rejoint un sanctuaire au Cambodge. © picture alliance / Getty Images
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 l’aéroport de Siem Reap-Angkor, avec la chanteuse Cher. C’est elle qui a appelé Amir à l’aide pour sauver l’éléphant.
l’aéroport de Siem Reap-Angkor, avec la chanteuse Cher. C’est elle qui a appelé Amir à l’aide pour sauver l’éléphant. © REUTERS
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Avec la princesse Alia de Jordanie, créatrice avec l’association Four Paws du refuge New Hope Center, près d’Amman, en Jordanie.
Avec la princesse Alia de Jordanie, créatrice avec l’association Four Paws du refuge New Hope Center, près d’Amman, en Jordanie. © DR
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« Magic World », d’Arnaud de Senilhes, éd. Télémaque, 246 pages, 19 euros.
« Magic World », d’Arnaud de Senilhes, éd. Télémaque, 246 pages, 19 euros. © DR
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Avec Laziz, un tigre évacué du zoo de Khan Younès, dans la bande de Gaza. À l’université vétérinaire de Beit Dagan, en Israël, en 2016.
Avec Laziz, un tigre évacué du zoo de Khan Younès, dans la bande de Gaza. À l’université vétérinaire de Beit Dagan, en Israël, en 2016. © MENAHEM KAHANA / AFP
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Syrie, 2017. Une dizaine de bêtes croupissent dans le parc Magic World d’Alep, dont ce tigre en piteux état. Elles vont être exfiltrées, sous la menace de Daech
Syrie, 2017. Une dizaine de bêtes croupissent dans le parc Magic World d’Alep, dont ce tigre en piteux état. Elles vont être exfiltrées, sous la menace de Daech © DR
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Irak, 2017. Au secours du lion Simba, miraculé du zoo Al-Nour, à Mossoul. La plupart des locataires ont été tués ou sont morts de faim pendant l’offensive des forces irakiennes
Irak, 2017. Au secours du lion Simba, miraculé du zoo Al-Nour, à Mossoul. La plupart des locataires ont été tués ou sont morts de faim pendant l’offensive des forces irakiennes © SAFIN HAMED / AFP
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Pakistan, 2020. Avec Kaavan, un éléphant maltraité. Après sa convalescence au zoo d’Islamabad, il a rejoint un sanctuaire au Cambodge.
Pakistan, 2020. Avec Kaavan, un éléphant maltraité. Après sa convalescence au zoo d’Islamabad, il a rejoint un sanctuaire au Cambodge. © picture alliance / Getty Images
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 l’aéroport de Siem Reap-Angkor, avec la chanteuse Cher. C’est elle qui a appelé Amir à l’aide pour sauver l’éléphant.
l’aéroport de Siem Reap-Angkor, avec la chanteuse Cher. C’est elle qui a appelé Amir à l’aide pour sauver l’éléphant. © REUTERS
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Avec la princesse Alia de Jordanie, créatrice avec l’association Four Paws du refuge New Hope Center, près d’Amman, en Jordanie.
Avec la princesse Alia de Jordanie, créatrice avec l’association Four Paws du refuge New Hope Center, près d’Amman, en Jordanie. © DR
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« Magic World », d’Arnaud de Senilhes, éd. Télémaque, 246 pages, 19 euros.
« Magic World », d’Arnaud de Senilhes, éd. Télémaque, 246 pages, 19 euros. © DR
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Lorsqu’il était enfant, Amir Khalil avait promis à sa mère de devenir moine si Dieu lui envoyait un signe. « Le ciel n’est pas resté muet, mais je n’ai pas tenu parole », sourit aujourd’hui cet homme élégant, âgé de 57 ans. Amir a grandi au bord de la belle oasis Al-Fayoum, à 70 kilomètres du Caire. Fils d’une famille égyptienne copte très pieuse, il ne perdra jamais la foi mais c’est la série américaine « Daktari » qui sera sa révélation. « Gamin, je ne manquais aucun épisode. Mes frères voulaient devenir Superman ; moi, je rêvais de sauver les éléphants et les lions de la méchanceté des hommes. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu dans les animaux la quintessence de l’innocence. Animal humain ou non humain : la bonté ne fait pas de différence. Lorsque je croisais les autres gosses du quartier en train de s’amuser à jeter des pierres sur les chiens et les chats errants, je me disais qu’ils deviendraient plus tard des assassins. »

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Études brillantes à l’université du Caire, diplôme de vétérinaire décroché à 23 ans. « En Égypte, à cette époque, c’était mal vu. On vous disait : “Vous êtes un médecin pour les ânes !” Je faisais en revanche la fierté de mon père, pharmacien, issu d’une famille très pauvre. » Le jeune homme est si doué en chirurgie qu’il réussit le prestigieux concours de l’université d’Édimbourg, où il n’ira jamais. « Ma mère m’avait demandé de faire étape à Vienne pour vérifier que le futur mari de ma sœur était un homme convenable. Je l’ai rassurée, et puis j’ai rencontré la femme de ma vie. Alors, je suis resté en Autriche. » Trois filles naissent, Amir se forge une existence à l’européenne, mais pas question pour lui de faire une carrière de véto tout confort. En 1992, il frappe à la porte d’une petite association, Four Paws (Quatre Pattes), qui a publié une curieuse annonce : « Recrute vétérinaires pour castrer des chiens en Roumanie. »

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À son arrivée à Bucarest, Amir comprend l’ampleur de la mission. Depuis Ceausescu et l’urbanisation forcée, les populations ont quitté les campagnes pour s’entasser dans des immeubles, et les animaux sont restés à la porte. Résultat : les chiens se sont mis à pulluler au point qu’ils sont des milliers à errer. Croyant enrayer le problème, la mairie de Bucarest organise des ramassages et les fait disparaître, encore vivants, dans des bains d’acide sulfurique. L’efficacité de la cruauté a ses limites : au rythme auquel se reproduisent les chiens, même la barbarie est dépassée. Amir prend les choses en main. Seule solution éthique et efficace : engager une campagne de stérilisation. Et, comme avec cet entêté d’Amir le « non » n’est jamais une réponse, il parvient à convaincre les autorités d’abolir leurs pratiques moyenâgeuses, obtient le soutien financier de la Fondation Brigitte Bardot, puis transforme un vieux bus en clinique vétérinaire mobile. Plus de 100 000 chiens sont sauvés. Première victoire. Four Paws nomme Amir directeur de projets. Dès lors, il enchaîne les sauvetages partout dans le monde.

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Pour placer les animaux évacués, Amir s’est constitué un réseau de bienfaiteurs, dont la princesse Alia de Jordanie

« Tout commence grâce à des lanceurs d’alerte qui contactent l’association. Je vérifie les informations et si personne n’a la solution, j’y vais. » Quitte à risquer sa vie. En 1998, au Kosovo, il part soigner les animaux de ferme abandonnés par leurs propriétaires. Sur la route entre deux villages, un gars descend cinq personnes, braque son arme sur la tempe d’Amir puis décide de le laisser filer. « J’ai compris que j’étais stupide, on n’entre pas dans une zone de guerre sans s’y préparer. » À son retour, direction la Bulgarie pour mettre fin à une vieille tradition, celle des ours dansants. L’apprentissage consiste à placer le futur danseur, c’est-à-dire l’ourson, sur des braises ardentes. Le temps qu’il gigote de douleur, les Tsiganes jouent un air de vièle. Ainsi, à chaque fois qu’il entendra l’instrument sonner, le plantigrade se mettra debout, par réflexe. Amir déploie ses talents de négociateur, Brigitte Bardot inonde de courrier le président bulgare. Au final, 24 ours, les derniers du pays, sont libérés. « Ils ont réappris à vivre au sanctuaire de Belitsa, que nous avons créé avec la Fondation Bardot à 200 kilomètres de Sofia. » Depuis, la cruelle attraction est interdite.

À l’aise partout, parlant six langues, le vétérinaire austro-égyptien saute d’un avion à l’autre. Lorsque l’association apprend qu’en Roumanie un patron de discothèque exhibe des lionceaux, Amir entre dans son établissement déguisé en cheikh arabe : il prétend vouloir acheter les fauves pour sa petite amie. Au moment de conclure la transaction, la police surgit et les confisque. Depuis, ils savourent leur liberté en Afrique du Sud.
Puis les missions impossibles deviennent sa spécialité. Bagdad, été 2003. Objectif : délivrer les animaux du zoo privé de Saddam Hussein. Ils étaient 650, ils ne sont plus qu’une vingtaine. « Vous voulez que les animaux de ce salopard cessent de souffrir ? Voilà le seul moyen », lui lance un officiel américain en lui tendant des balles de revolver. Après des heures de pourparlers, il traverse la ville, sous les bombardements, prodigue les soins d’urgence, s’organise pour trouver la nourriture et parvient enfin à mettre ses protégés à l’abri. Surprise : dans les caves du palais présidentiel, il découvre neuf lions que ce sadique d’Oudaï Hussein, fils aîné du raïs, a abandonnés en prenant la fuite. En Irak, Amir a inventé un nouveau métier : vétérinaire de guerre.

Il se bat sur tous les fronts. En Libye, où il organise l’entretien des 700 animaux du zoo de Tripoli . Dans la bande de Gaza, où il met un terme aux abominations du zoo de Khan Younès. Les bestioles étaient exhibées au milieu des cadavres momifiés de leurs congénères. De ce cimetière à ciel ouvert, seuls quinze animaux ont survécu. Israël et le Hamas, les éternels ennemis, acceptent même d’ouvrir leur frontière pour laisser passer l’étrange Arche de Noé. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé le pouvoir universel des animaux. » Vision apocalyptique encore, en 2017, lorsqu’il faut évacuer le lion Simba et l’ourse Lula, les miraculés du zoo abandonné de Mossoul. Il faudra plus d’une semaine d’attente à la frontière, en plein cagnard et sans stock de nourriture, pour prouver que Simba et Lula n’ont pas été entraînés par Daech. « Au début, les militaires se foutaient de nous, jusqu’à ce qu’un général nous apporte des poules pour nourrir l’ours. En venant voir le lion, des enfants orphelins ont retrouvé le sourire. Durant deux jours, la guerre s’est arrêtée. » La même année, un habitant d’Alep, en Syrie, l’alerte sur l’état épouvantable du parc Magic World, où croupissent encore une dizaine d’animaux. Vingt-sept check points à passer, les snipers de l’État islamique à éviter. Suicidaire. Amir ne se décourage pas. Il convainc la Turquie de le laisser passer et déjoue les pièges tendus par Daech en faisant partir deux convois – dont l’un vide – pour brouiller les pistes. « Amir Khalil ne connaît pas l’échec puisqu’il ne renonce jamais », constate Arnaud de Senilhes, auteur de « Magic World », un livre bouleversant consacré à l’épopée syrienne.

Dès le début, il est soutenu par la Fondation Brigitte Bardot

Le repos du guerrier ? « Un air de Sinatra, un bon whisky et un cigare. » Pour ne pas effrayer sa famille, Amir n’a jamais révélé les détails de son métier. « Cela a créé un mur, regrette-t-il. Ma femme et moi avons fini par nous séparer. » N’a-t-il pas peur pour sa vie et celle de ses équipes ? « Sur le terrain, nous sommes cinq personnes au maximum, sans affiliation politique ni religieuse. Nous sommes déterminés et préparés à tous les scénarios. Même s’il faut souvent improviser, chaque sauvetage est mené comme une opération de guerre, cela demande des entraînements spécifiques et des semaines d’organisation. Il faut recruter des fixeurs, obtenir les moyens financiers et, surtout, savoir où placer les animaux une fois évacués. » Pour cela, Amir s’est constitué un réseau de bienfaiteurs. Parmi eux, la princesse Alia, sœur aînée du roi Abdallah II de Jordanie. Ensemble, ils ont fondé quarante sanctuaires dans le pays. Des jardins d’Éden où les animaux se refont une santé physique et mentale. « Comme les humains, ils sont traumatisés par la guerre et se souviennent de toutes les atrocités. Il leur faut des mois, parfois des années, pour comprendre qu’ils sont désormais en sécurité. Mais si un hélicoptère survole le sanctuaire, alors ils deviennent fous et cherchent à se cacher, croyant qu’une rafale de balles ou un bombardement va de nouveau déferler. »

Bientôt, Amir Khalil sera au Soudan. Pourquoi s’acharner à sauver des animaux dans les pires zones de la planète et dilapider pour eux des tonnes de dollars ? « Parce qu’ils sont prisonniers au cœur de conflits qu’ils ne peuvent pas comprendre. Les sauver, c’est allumer une bougie dans la nuit. Les onze bêtes sauvages et les deux chiens rescapés du Magic World syrien ont été les ambassadeurs de l’espoir. Des gens qui se battaient les uns contre les autres ont déposé leurs armes pour nous aider à transporter les cages et leur laisser traverser les zones de combat. Ils ont retrouvé, un instant, leur humanité. » Amir repense aussi à ce soldat israélien qui, à force de le croiser au cœur du chaos, a fini par lui avouer : « Au lieu de tirer sur des gens, j’aimerais vous suivre. » Le courage de la compassion, « c’est la vraie valeur de ce que je fais », confie le vétérinaire de guerre. Chez les humains, on appelle cela un héros.
« Magic World », d’Arnaud de Senilhes, éd. Télémaque, 246 pages, 19 euros.

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