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Le salut devient bon marché

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Par Paul Krugman

Mais il y a une chose surprenante dans ce bilan qui est, peut-être, optimiste : sa façon d’envisager l’économie de la mitigation. Même si le rapport en appelle à des actions drastiques pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, il affirme que l’impact économique d’une action aussi drastique serait, et c’est surprenant, limité. En fait, la croissance équivaudrait, en gros, à une erreur d’arrondi d’à peu près 0,06 pourcent par an.

Que cache cet optimisme économique ? Il reflète en grande partie une révolution technologique que beaucoup de gens ignorent, la baisse récente et incroyable du coût des énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire.

Cependant, avant de parler de cette révolution, parlons une minute de la relation générale entre la croissance économique et l’environnement.

Si tout le reste est identique, un PIB en hausse a tendance à être synonyme de davantage de pollution. Qu’est-ce qui a fait de la Chine le plus gros émetteur de gaz à effet de serre du monde ? Une croissance économique explosive. Mais d’autres choses n’ont pas à être identiques. Il n’y a pas nécessairement de relation privilégiée entre la croissance et la pollution.

Qu’ils soient à droite ou à gauche, les gens ont souvent du mal à comprendre ce point. (Je déteste lorsque les experts tentent de défendre l’idée que pour n’importe quel problème, "chaque camp a tort" mais dans ce cas, cela est vrai). A gauche, l’on trouve parfois des environnementalistes qui affirment que pour sauver la planète, il nous faut abandonner l’idée d’une économie toujours croissante ; à droite, l’on trouve des affirmations selon lesquelles chaque tentative de limiter la pollution aura un impact dévastateur sur la croissance. Mais il n’y a aucune raison pour laquelle nous ne pouvons pas devenir plus riches tout en réduisant notre impact sur l’environnement.

Laissez-moi ajouter que les défenseurs des libres-marchés semblent vivre une perte de confiance étrange dès que le sujet de l’environnement est abordé. D’habitude, ils claironnent leurs certitudes selon lesquelles la magie des marchés peut faire surmonter tous les obstacles – que la souplesse du secteur privé et le talent d’innovation peuvent facilement s’adapter à des facteurs limitatifs tels que la rareté des terres ou des minéraux. Mais si l’on suggère la possibilité de mesures vertes, comme une taxe carbone ou un système de quotas pour les émissions de carbone et tout à coup, ils affirment que le secteur privé ne s’en remettrait pas, que les coûts seraient immenses. C’est rigolo de voir comment ça fonctionne.

Le positionnement sensé sur l’économie du changement climatique a toujours été que c’est comme toute autre économie – si nous donnons aux entreprises et aux individus une motivation pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ils le feront. Quelle forme pourrait prendre cette réaction ? Jusqu’à il y a quelques années, la meilleure idée était qu’elle s‘opèrerait sur plusieurs fronts, allant d’une meilleure isolation et des voitures plus éco énergétiques à un usage accru du nucléaire.
Par contre, un front que les gens ne prenaient pas vraiment au sérieux, c’était les énergies renouvelables. Bien sûr, le système de quotas pourrait laisser plus de place pour le vent et le soleil, mais quelle importance pourrait finalement avoir ces sources ? Et je dois admettre que j’ai partagé ce scepticisme. Pour être honnête, je pensais que l’idée selon laquelle le vent et le soleil pouvaient jouer un rôle majeur n’était que des désirs de baba-cools.

Mais j’avais tort.

Le comité sur le changement climatique, dans sa prose toujours aussi inexpressive, note que "bon nombre de technologies ER (énergies renouvelables) ont démontré des améliorations substantielles en termes de performances et de réductions des coûts" depuis qu’il a publié son dernier bilan en 2007. Le ministère de l’Energie est prêt à se montrer un peu plus enthousiaste ; il a intitulé un rapport sur les énergies propres "La révolution maintenant" l’année dernière. Cela ressemble à une hyperbole mais l’on réalise que ce n’est pas le cas lorsque l’on apprend que le prix des panneaux solaires a chuté de plus de 75 pourcent depuis 2008.

Grâce à ce bond en avant technologique, le groupe qui travaille sur le climat peut parler de la "dé carbonisation" de la production électrique comme d’un objectif

réaliste – et puisque les centrales électriques alimentées au charbon sont une grande partie du problème climatique, voilà une grande partie de la solution, sous nos yeux.

Il est même possible que la "dé-carbonisation" ait lieu sans encouragement spécifique mais l’on ne peut, ni ne devrait, compter là-dessus. Par contre, ce qu’il faut c’est que les coupes drastiques dans les émissions de gaz à effet de serre soient désormais une cible facilement accessible.

La menace climatique est-elle résolue ? Eh bien elle devrait l’être. La science est solide ; la technologie est là ; les économistes semblent bien plus favorables que ce à quoi tout le monde s’attendait. Tout ce qui se met en travers de la route du sauvetage de la planète n’est qu’un mélange d’ignorance, de préjugés et d’intérêts particuliers. Qu’est-ce qui pourrait donc mal tourner ?

Ah oui, attendez.

Paul Krugman

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