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"Nous sommes en route pour la mort" : en Arabie saoudite, quatre Ouïghours risquent une extradition vers la Chine

L'Arabie saoudite est accusée par plusieurs ONG d'avoir arrêté arbitrairement quatre Ouïghours et de vouloir les extrader vers la Chine, où leur sort est extrêmement incertain. Il s'agit de deux hommes qui s'étaient rendus dans le pays pour effectuer un pèlerinage à La Mecque, en novembre 2020, et d'une mère et sa fille de 13 ans, arrêtées le 31 mars 2022 selon plusieurs sources. Des vidéos d'appels au secours circulent sur les réseaux sociaux.

Vidéo filmée le 9 avril au soir par Buheliqiemu Abula, à l’arrière d’un camion qui l'emmenait dans un centre de détention à Riyad, selon les ONG Amnesty International et Safeguard Defenders.
Vidéo filmée le 9 avril au soir par Buheliqiemu Abula, à l’arrière d’un camion qui l'emmenait dans un centre de détention à Riyad, selon les ONG Amnesty International et Safeguard Defenders. © Les Observateurs de France 24
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Selon plusieurs associations de défense des droits de l'Homme, dont Amnesty International, une mère et sa fille de 13 ans, ainsi que les deux hommes risquent l'extradition imminente vers la Chine, pays accusé de mener une politique de répression envers cette minorité musulmane de l'ouest du pays. Le 9 avril dernier, Buheliqiemu Abula, la mère, avait enregistré une vidéo d'appel à l'aide à l'arrière d'un camion de police qui l'emmenait avec sa fille vers Riyad.

Buheliqiemu Abula. a envoyé cette vidéo le 9 avril au soir à une membre de l’ONG Human Rights Watch, avec qui elle était déjà en contact régulier. Tweet de Dilnur Rehyan, présidente de l'institut ouïghour d'Europe. “J'ai appelé les musulmans français à boycotter le pèlerinage, car c'est l'une des ressources financières importantes de ce pays (...) on veut vraiment arriver à un accord avec ce pays, il faut le frapper où ça fait mal.” a-t-elle indiqué à notre rédaction.

"Nous sommes dans une voiture de police. Sauvez-nous, nous sommes en route pour la mort. Ils nous emmènent à Riyad pour nous envoyer [en Chine]",implore-t-elle en ouïghour dans cette vidéo relayée depuis le 9 avril par les militants et les associations de défense de droits de l'Homme sur Twitter, pour alerter sur leur sort.

Sur les images, on aperçoit brièvement le visage d'une jeune femme qui porte le hijab, présentée comme sa fille de 13 ans, ainsi que l'intérieur du véhicule, avec un plan sur une petite grille blanche. On entend le bruit de la route en arrière-plan. 

Arrestations arbitraires 

Cette vidéo a été envoyée le 9 avril par Buheliqiemu Abula à une membre de l'ONG Human Rights Watch (HRW) avec qui elle était en contact. Selon Laura Harth, de l'ONG Safeguard Defenders, également mobilisée pour les aider, Buheliqiemu Abula et sa fille ont été arrêtées, sans motif, le 31 mars à La Mecque, puis emmenées à Jeddah, avant d'être conduites le 9 avril dans un centre de détention à Riyad. "Depuis [le 13 avril], c'est difficile d'avoir plus de nouvelles. Au dernier contact que nous avons eu avec elle, elle disait que son départ pour la Chine, à Canton, était imminent."

Buheliqiemu Abula est en Arabie saoudite depuis au moins deux ans. Son ex-mari, lui aussi Ouïghour, est détenu depuis novembre 2020 avec un de ses amis en Arabie saoudite. Ils étaient venus faire leur pèlerinage à La Mecque (oumra) en février 2020.

Parce qu'elle était en Arabie saoudite, leur lien conjugal lui permettait de rester en contact. C'était donc la seule personne qui pouvait donner régulièrement des nouvelles des deux hommes. Leur dernier échange téléphonique remontait au 20 mars.

Le sort de ces quatre Ouïghours, une fois sur le territoire chinois, est très préoccupant. Des centaines de milliers de Ouïghours seraient enfermés dans des camps et poussés à assimiler la culture chinoise, emprisonnés arbitrairement, mis au travail forcé, et pour certains, sujets à des actes de torture. Un traitement inhumain documenté par de nombreux témoignages, rapports d'ONG et enquêtes journalistiques et décrit comme un génocide par plusieurs parlements, dont l'Assemblée nationale française, mais nié en bloc par Pékin.

"Nous n'avons pas entendu la voix de mon père depuis bientôt deux ans"

L'ex-mari de Buheliqiemu Abula avait été arrêté avec son ami, Aimidoula Waili, un dignitaire religieux. La fille de ce dernier a 21 ans et étudie à Istanbul. Elle avait tenté de sonner l'alarme dans plusieurs vidéos publiées sur son compte Twitter. La rédaction des Observateurs de France 24 a pu échanger avec elle. Elle a quitté la Chine avec son père et sa sœur en 2016, juste avant que la situation ne se dégrade au Xinjiang. 

Mon père est allé en Arabie saoudite pour le pèlerinage [de La Mecque] en février 2020. Il allait rentrer en Turquie, mais c'est devenu compliqué à cause de la fermeture des frontières liées au coronavirus. Puis il a été arrêté par le gouvernement saoudien en novembre 2020 avec son ami sans aucune justification. 

Depuis, nous n'avons pas pu communiquer avec mon père. Nous ne l'avons pas vu ni même entendu sa voix depuis bientôt deux ans.

Appel à l’aide de la fille de Aimidoula Waili diffusée sur son compte Twitter, le 18 mars, où elle montre le passeport chinois de son père et celui de son ami et demande leur libération. Elle fait des vidéos de ce genre depuis décembre 2020.

 

Je n'ose même pas imaginer ce qui se passera s'ils sont renvoyés en Chine. Je crains qu'ils soient exécutés ou emprisonnés, qu'ils subissent toutes sortes de tortures. (...) Il n'a rien fait de mal. Il ne nous reste que quelques heures pour les sauver.

"J'ai plusieurs fois essayé de la convaincre de rentrer en Turquie"

Abduweli Ayup, un Ouïghour installé en Norvège qui tente d'alerter les membres de sa communauté sur le danger de se rendre en Arabie saoudite pour faire leur pèlerinage, dit avoir documenté une trentaine cas d'extraditions vers la Chine de Ouïghours depuis trois pays musulmans, dont l'Arabie saoudite. 

Je suis en contact avec Buheliqiemu depuis bientôt deux ans, notamment parce que c'est la seule qui pouvait donner des nouvelles des deux hommes ouïghours détenus en Arabie saoudite. Lors du dernier échange que j'ai eu avec elle, elle m'a dit qu'elle avait pleuré, qu'elle avait très peur. 

 J'ai plusieurs fois essayé de la convaincre de rentrer en Turquie, où elle avait un permis de résidence. Je lui disais que j'avais déjà suivi une trentaine de cas similaires et à chaque fois, j'ai été impuissant et n'ai rien pu faire pour éviter les déportations. Je lui ai dit que si elle se faisait arrêter, tout ce que je pouvais faire c'est transmettre son histoire aux journalistes et aux ONG. Mais elle me disait qu'elle ne voulait pas abandonner son ex-mari, qu'elle était la seule à pouvoir l'aider.

Le 13 avril, Amnesty International a indiqué dans un communiqué transmis à notre rédaction que la police saoudienne aurait annoncé à Buheliqiemu Abula et sa fille qu'elles devaient se préparer pour un départ dans la nuit vers Canton, en Chine. Selon les dernières informations communiquées par Safeguard Defenders à notre rédaction le 14 avril à 14 h, les quatre Ouïghours seraient toujours à Riyad.

Des Ouïghours extradés par des pays musulmans 

Chaque année, entre un et deux millions de Musulmans se rendent à La Mecque pour le pèlerinage, l'oumra ou le hajj, cinquième pilier de l'Islam. Les autorités saoudiennes supervisent et font payer ce pèlerinage essentiel pour les pratiquants du monde entier, y compris pour les Ouïghours.  

Manifestation de Ouïghours devant l’ambassade saoudienne à Washington, le 10 avril pour demander que les quatre Ouïghours arrêtés ne soient pas extradés.

Amnesty International a souligné que le renvoi forcé de ces quatre Ouïghours constituerait "une violation inadmissible des obligations de l'Arabie saoudite en vertu du droit international".Auparavant, dans un communiqué du 1er avril, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait également appelé le pays à ne pas extrader les ressortissants chinois ouïghours.

L'Arabie saoudite est un allié essentiel de la Chine et a soutenu plusieurs fois la politique officielle du pays au Xinjiang. Lors d'une visite du prince héritier, Mohamed ben Salmane, à Pékin en février 2019, il a notamment défendu le droit de la Chine à prendre des mesures "antiterroristes", selon les médias chinois. 

Contacté par notre rédaction, le ministère de l'Intérieur saoudien n'a pas donné suite à nos sollicitations. 

Plusieurs autres pays musulmans ont été accusés d'être silencieux ou même complices de la politique chinoise envers les Ouïghours. Entre 2017 et 2019, l'Égypte a aussi été accusée d'avoir renvoyé près de 20 ressortissants ouïghours en Chine. Au Maroc, la justice a confirmé l'extradition en décembre 2021 d'Idriss Assan, un Ouïghour de 34 ans arrêté à son arrivée à Casablanca, à la demande de la Chine, au nom d'accords bilatéraux entre les deux pays.

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