Psychologie sociale

Minorités : une illusion perceptive

Notre cerveau aurait tendance à surestimer la taille des minorités ethniques dans une population, et ce d’autant plus fortement que cette minorité est faiblement représentée.

CERVEAU & PSYCHO N° 143
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On a beaucoup parlé, au cours de la campagne présidentielle de 2022, de la fameuse théorie du grand remplacement, selon laquelle la population française « de souche » serait en passe d’être remplacée par une population issue de l’immigration. Or, les chiffres ne correspondent pas à ce qui est avancé par les tenants de cette théorie. Pourquoi ? Simple argument électoraliste ou biais de perception ? Peut-être un peu des deux…

En effet, notre cerveau aurait tendance à surestimer la taille des minorités ethniques dans une population, et ce d’autant plus fortement que cette minorité est faiblement représentée. Ce biais de diversité, comme l’appellent les chercheurs, a été démontré dans une étude réalisée sur 942 participants à l’université de Jérusalem. Dans ces expériences, le chercheur en psychologie Rasha Kardosh et ses collègues ont montré rapidement à des participants des matrices de 100 visages blancs ou noirs, où la proportion de visages noirs était plus ou moins élevée selon les conditions. Puis ils leur ont demandé d’estimer cette proportion. Résultat : moins il y a de visages issus de la minorité, plus les participants surestiment leur nombre. Et ce que les participants soient Noirs ou Blancs.

Selon les psychologues, notre cerveau serait naturellement attentif à ce qui est nouveau ou différent dans son environnement, ce qui est évidemment un avantage pour les apprentissages. Ce biais attentionnel se traduirait par une meilleure mémorisation de ce qui est nouveau ou différent. Dès lors, les situations où l’on rencontre peu de personnes d’une origine ethnique différente seraient mieux mémorisées. Par la suite, lorsque nous devons estimer la proportion d’étrangers dans une population, ces images seraient plus facilement accessibles à la conscience et alimenteraient un des biais les mieux repérés en psychologie, le biais de représentativité, qui conduit à évaluer la probabilité d’un événement en fonction du nombre d’images mentales qui nous viennent facilement à l’esprit (plus nous pouvons nous souvenir d’exemples d’une situation, plus nous jugeons cette situation probable).

Cette explication paraît plausible pour deux raisons au moins : d’une part, car des expériences complémentaires dans cette même étude ont montré que le système visuel détecte plus facilement, de manière subliminale, une personne appartenant à une minorité – ce qui est le signe d’un seuil d’attention abaissé. D’autre part parce que le biais de surestimation s’exerce aussi bien pour des Blancs devant une minorité noire que l’inverse.

La théorie du grand remplacement a une origine historique et il ne s’agit pas ici de la réduire entièrement à un biais cognitif ; n’empêche : notre cerveau ne nous aide pas, sur ce point, à corriger cette erreur. Alors, il ne reste plus qu’à se retrousser les neurones !

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Sébastien Bohler

Sébastien Bohler est docteur en neurosciences et rédacteur en chef de Cerveau & Psycho.

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