Tribune 

Marine Le Pen féministe ? « Défendre les femmes parce qu’on est une femme est un leurre »

Isabelle Steyer

Avocate

Selon un récent sondage, pour une Française sur deux, Marine Le Pen serait plus féministe qu’Emmanuel Macron. Réponse argumentée d’Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans la défense de femmes victimes de violences sexuelles et conjugales.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Il faut aujourd’hui réécouter Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Alors que Marine Le Pen serait plus féministe qu’Emmanuel Macron pour la moitié des Françaises selon un récent sondage, Simone de Beauvoir chuchote à mon oreille. Alors que la mise en berne des droits des femmes est proposée par une femme candidate à la présidence de la République, ses mots sont plus d’actualité que jamais.

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Il est paradoxal que la deuxième femme de l’histoire appelée à concourir au second tour des élections présidentielles fasse de sa féminité un argument innovant, alors même que son parti a adhéré à tous les textes régressifs ou s’est abstenu de voter les lois favorables au droit des femmes.

Le Rassemblement national s’est ainsi abstenu de voter la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes qui constitue le socle de protection sollicité par les associations de protections des femmes et les professionnels de l’enfance et des enfants victimes.

Cette loi comprend quatre points :

- Elle porte à trente ans, après la majorité des victimes présumées, le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs (ce délai est actuellement de vingt ans) et le délai de prescription court à partir de la majorité des victimes.

- Elle renforce des dispositions du code pénal pour réprimer les infractions sexuelles sur les mineurs.

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- Elle crée une infraction d’outrage sexiste, pour réprimer le harcèlement dit « de rue ».

- Elle élargit la définition du harcèlement en ligne.

Cette avancée notable sur la question de la protection de l’intégrité physique des mineurs, s’est heurtée à l’indifférence totale du Rassemblement national.

Le projet de loi européen sanctionnant le harcèlement sexuel s’est heurté à la même indifférence.

Abandonner les victimes à leur agresseur sans réprimer ni soigner ne témoigne plus d’une démocratie à l’écoute des femmes.

Cette loi, comme toutes les autres, est portée par les femmes que j’ai défendues, je suis aussi allée la défendre auprès des députés, des sénateurs, des ministres…

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Cette posture s’inscrit à contre-courant de l’Histoire. Ces cinq dernières années, les paroles des femmes ont éclos dans l’espace public. Les victimes se sont exprimées sur les viols, les agressions, les violences conjugales qu’elles ont subies.

Le « hashtag » #Metoo a propulsé les violences sexuelles et conjugales au-devant de toutes les scènes. Ces violences nommées peuvent désormais être traitées pour ce qu’elles sont : le fondement de toutes les autres violences.

Des actrices, des journalistes, des sportives, des avocates se sont exprimées à visage découvert et aux heures de grande écoute sur les faits de viols qu’elles ont subies. Elles ont selon l’expression consacrée « libéré la parole des femmes ».

A cet égard, force est de constater que le Rassemblement national n’est pas en phase avec l’évolution de la société.

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#Metoo » n’inspire rien à Marine Le Pen. Au contraire elle vient de tenter de discréditer ce mouvement.

Sa sévérité ne porte que sur les crimes de sang et non sur les crimes sexuels.

La violence faite aux femmes n’est pas prise en compte par la candidate qui prétend défendre, « par essence », les droits des femmes.

Seules les questions populistes l’intéressent.

Elle veut rétablir la peine de mort et s’abstenir de voter une loi pour protéger 35 millions de Françaises.

Son discours sécuritaire pourrait rassurer les femmes quant à la défense de leur liberté de protéger leur corps et leur liberté de circulation dans l’espace public.

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Le message subliminal et superficiel adressé par Marine Le Pen sur la répression laisse à croire que seule la répression peut les protéger.

Or, la question des violences faites aux femmes questionne avant tout les rôles assignés au masculin et féminin dans le quotidien, la question du genre, la transmission de l’éducation patriarcale aux petites filles et petits garçons et donc la place donnée à l’égalité dans les apprentissages.

Marine le Pen porte le projet d’une société rétrograde. Elle partage les valeurs des régimes illibéraux européens, celles aussi de la Russie de Vladimir Poutine. Elle est proche de dirigeants qui ne souhaitent pas laisser aux femmes le droit de disposer de leur corps, elle montre, au-delà du droit, sa psychologie dominatrice virile.

Au-delà du discours politique, les affinités personnelles et les rapprochements stratégiques doivent faire sens. Ses liens indéfectibles avec la Russie, la Hongrie et la Pologne, pays destructeur du droit des femmes doivent nous questionner.

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La Russie a abrogé la loi sur les violences conjugales le 27 janvier 2017 pour promouvoir la famille par une alliance entre le pouvoir et l’Eglise orthodoxe, alors que 10 000 femmes meurent dans ce pays chaque année.

Confrontée au confinement et à l’explosion des violences faites aux femmes, la Hongrie refuse le 5 mai 2020 de signer la loi de ratification de la convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes.

Depuis le 22 octobre 2020, le tribunal constitutionnel de la Pologne interdit l’avortement, à l’exclusion des cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus ».

Les députés européens RN ont refusé de voter contre la résolution visant à condamner la Pologne.

Ce vote peu revendiqué par le RN, en dit long sur la place qu’il laisse aux femmes dans la société. Le parti de Marine Le Pen revendique haut et fort le pouvoir qu’ont les hommes sur le corps des femmes. Cette mesure amène en effet les femmes à opter pour un avortement clandestin.

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« Les familles sont le premier maillon de la communauté nationale, maillon que j’ai la ferme volonté de renforcer durant mon quinquennat. […] Le choix est entre l’immigration et la natalité, j’assume très clairement faire celui de la natalité, celui de la continuité de la nation et de la transmission de notre civilisation grâce à notre modèle familial », explique-t-elle. Elle prévoit donc des mesures pour « inciter les familles françaises à concevoir plus d’enfants ».

Elle assume donc clairement comme un choix politique la reproduction de l’espèce et par conséquence l’assignation des femmes à domicile, une perte d’autonomie et d’indépendance et donc d’inégalité.

Famille et patrie. Nous avons compris.

Aucune mesure n’est prévue concernant les femmes en situation précaire, le recrutement de sages-femmes, remboursement de la contraception, ou la réduction de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, aucun de ces points n’est abordé dans son programme.

Le droit des femmes n’est traduit dans son programme que s’il entretient un lien avec l’immigration, la peine de mort, ou la sévérité des condamnations pénales.

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Dans le volet sécurité, elle évoque brièvement les violences conjugales : « Je souhaite que des mesures particulières soient prises pour mieux prévenir et réprimer les violences commises à l’encontre des conjoints ou ex-conjoints. […] Les conjoints ou ex-conjoints violents doivent être jugés dans des délais très brefs et les mesures de protection des victimes être efficaces. »

Défendre les femmes parce qu’on est une femme est un maniement du leurre. Elle est, avant tout, la fille de son père. La représentation phallique du féminin.

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