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Avec « Cœur du Sahel », Djaïli Amadou Amal scrute à nouveau le sort des femmes dans le nord du Cameroun

LE LIVRE DE LA SEMAINE. La condition des domestiques est au cœur du quatrième opus de la Prix Goncourt des lycéens 2020, incarnée par la jeune Faydé.

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Publié le 07 mai 2022 à 09h00

Temps de Lecture 3 min.

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L’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal.

Critique. Après l’éclatant succès de son roman précédent, Les Impatientes, prix Goncourt des lycéens 2020 (éd. Emmanuelle Collas), d’abord paru au Cameroun sous le titre Munyal, les larmes de la patience (éd. Proximité, prix Orange du Livre en Afrique 2019), le nouvel et quatrième opus de Djaïli Amadou Amal était très attendu. Avec Cœur du Sahel, la romancière camerounaise prend à nouveau le parti des femmes et réussit à élaborer avec brio le cocktail dont elle a le secret : mêler la romance à la peinture sociale.

Faydé, son héroïne tout juste adolescente, veut quitter le village qui l’a vue naître au milieu des montagnes, pour aller s’employer comme domestique dans le grand centre urbain de Maroua, dans le nord du Cameroun. Si elle rêve naïvement des lumières de la ville, elle est surtout poussée par le devoir de soutenir sa famille que la disparition mystérieuse du père a plongé dans la misère.

Grâce à l’aide de camarades qui l’ont précédée, Faydé fait donc le grand saut et se retrouve au service d’un riche commerçant peul, Alhadji Bakary, ainsi que de sa mère, de ses trois épouses et de nombreux enfants. Les débuts s’avèrent difficiles. Corvéable à merci, Faydé découvre la réalité éreintante de sa nouvelle place et subit le mépris affiché des classes aisées à l’égard des personnes de sa condition.

« Un domestique reste un domestique, même s’il fait du bon travail et est apprécié, lui rappelle son amie Bintou. Même assidu depuis des années, il ne fait jamais partie de la famille. Tu n’es ni de leur ethnie ni de leur religion. Ils n’ont pas de considération pour toi. » Faydé doit également faire l’apprentissage des règles tacites et brutales qui font d’elle une proie potentielle pour les mâles de la maisonnée. La vie malgré tout va réserver à la jeune fille son lot de surprises, tour à tour tragiques et plus heureuses. Peut-être aura-t-elle la chance de comprendre que « le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, mais le rêve ».

Tourments intérieurs

Dès le titre et les premières pages du livre, la romance est bien là, avec cette jeune fille de condition modeste mais aux valeurs fortes et à l’intelligence vive. S’il arrive que Faydé se montre naïve ou cède à la tristesse, sa créatrice la dote à d’autres moments d’une grande lucidité et d’un courage sans faille. Ainsi s’attache-t-on à cette héroïne au parcours savamment épicé de suspens.

Mais le roman offre aussi aux lecteurs une toile de fond sociale complexe qui en amplifie l’intérêt. Car bien qu’évoquant ce Cameroun septentrional qu’elle connaît bien, Djaïli Amadou Amal y fait largement résonner l’actualité du monde. Elle met ainsi en scène la déroute économique des agriculteurs face à leurs terres rendues improductives par le changement climatique, ou encore la détresse des populations fuyant les attaques des combattants terroristes de Boko haram, et dont « les survivants ne sont plus que des visages hagards, dans un monde qu’ils ne reconnaissent pas ».

L’écrivaine sait aussi pointer les problèmes qui minent sa société : surenchère des signes extérieurs de richesse, poids des traditions, xénophobie, communautarisme… Mais c’est par-dessus tout le sort des femmes qui lui importe ; elle s’attelle à dénoncer les violences qu’elles subissent ainsi que les multiples entraves à leur liberté que sont entre autres le patriarcat, la tradition du mariage par rapt et viol, l’obligation de virginité, la polygamie, la prostitution, les relations conjugales ancillaires, l’impossibilité de poursuivre une carrière…

Le récit nous fait passer des tourments intérieurs de Faydé, pour qui tout est précaire, à ceux de Leïla, la future mariée, qui n’a d’autres désirs que des possessions matérielles : « Leïla se soucie davantage qu’une de ses amies ait un meilleur téléphone qu’elle !Un crime de lèse-majesté qu’elle se promet de corriger au plus vite. »

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Stoppée dans ses études alors qu’elle y excellait, Faydé les reprend en secret, obtenant quelques années plus tard un diplôme d’infirmière. Sans doute ce destin professionnel exprime-t-il la foi de la romancière en une évolution sociologique possible, grâce à l’éducation des femmes et des jeunes filles. Le savoir, marche d’accès essentielle vers la liberté, constitue l’horizon le plus radieux qu’un Cœur du Sahel puisse jamais rêver.

Cœur du Sahel, de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas (364 pages, 19 euros).

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