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Angoulême : l'inexplicable calvaire de Gérald, mort après deux jours de torture, devant la justice
La maison du crime dans le vieux centre de Cognac (Charente).
PHOTOPQR/CHARENTE LIBRE/MAXPPP

Angoulême : l'inexplicable calvaire de Gérald, mort après deux jours de torture, devant la justice

Barbarie

Par Lysiane Larbani

Publié le

Plus de trois ans après la mort de Gérald M., un homme sans histoire, torturé dans une cave à Cognac (Charente), les accusés sont jugés à partir de ce lundi à Angoulême. Récit.

Lundi 29 avril 2019, au cœur du Printemps, le soleil illumine Angoulême. Le palais de justice et ses larges escaliers dominent la cité acropole. Sur ses marches, avocats en robe échangent avec leurs clients. D’autres fument des cigarettes. L’entrée du palais donne sur la grande salle des pas perdus, où chaque jour, parties civiles et mis en cause, se partagent les mètres carrés. Du petit dealer de stup' sous contrôle judiciaire au criminel sous escorte policière, en passant par les innombrables maris violents.

Le procureur de la République en Charente, Jean-David Cavaillé, a convoqué les journalistes dans son bureau pour une conférence de presse. On a retrouvé un corps, il y a quelques jours. Un homme de 40 ans, carbonisé, abandonné depuis deux semaines en lisière de forêt. La presse locale évoque un meurtre sordide ayant eu lieu dans une maison à Cognac. Du bar du coin aux marches du palais de justice, on ne parle plus que de ça. Plusieurs jours de torture, des mutilations atroces. Le niveau de violence évoqué donne le vertige.

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Agacé, le ministère public fournit quelques éléments : « Une information judiciaire pour homicide avec actes de tortures et de barbaries a été ouverte. Quatre personnes ont été interpellées et incarcérées, toutes connues des autorités. Une vingtaine d’enquêteurs du Service régional de police judiciaire de Limoges sont sur l’affaire. Le travail sera encore long. »

Rencontre sur Facebook

Le corps est celui de Gérald M., 43 ans. Il habite Cérizay dans les Deux-Sèvres, il est père d’une adolescente. Il a rencontré Cathy Bichon, 37 ans, mise en examen pour les faits, sur Facebook. Deux hommes sont également impliqués : Philippe Laroche, 26 ans, et David Klein, 35 ans.

Quelques heures sur les réseaux sociaux permettent d’ouvrir les portes de l’histoire de Cathy Bichon et Gérald M.. Cathy a quatre enfants dont elle affiche fièrement les bouilles sur Facebook. Elle est petite, menue. Elle multiplie les photos d’elle, encouragée par des commentaires d’hommes libidineux.

« Femme abandonnée et malheureuse ou prédatrice ? », s’interroge le quotidien la Charente libre dans un papier, bientôt suivi par le Nouveau Détective. Les médias ont acté : Cathy Bichon aurait tendu un piège à Gérald. Mais pourquoi une mère de famille en souffrance aurait tendu un piège à un homme qui, pour une fois, l’écoutait ?

Les réseaux retracent les derniers moments de la vie de Gérald. Sa gentillesse évidente, sa solitude. La violence qui entoure sa disparition n’en est que plus effroyable.

« J’ai été élevé comme un chien »

Le 5 avril 2019 au soir, il a pris le train pour passer quelques jours à Cognac, Cathy l’a attendu à la gare. Elle habite une maison de ville, rue de l’Isle-d’Or, dans un quartier pauvre du centre-ville. Depuis un peu plus d’une semaine, elle héberge Philippe Laroche, jeune sans domicile fixe qui, depuis ses 14 ans, consomme cocaïne, héroïne, ecstasy. Ils se sont rencontrés par l’intermédiaire de David Klein, un ancien amant. Tous les trois, en grande précarité matérielle et financière, alcooliques, ont eu une enfance désastreuse, abandonnés par leurs parents ou maltraités.

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Gérald a aussi un problème avec l’alcool. Il souffre de dépression, s’est empêtré dans la solitude. Il a eu une enfance difficile. « J’ai été élevé comme un chien », écrit-il un jour sur Facebook. Il éprouve sans doute de forts sentiments pour Cathy qui l’écoute. Ensemble, ils se confient sur leurs vies cassées. « Il semblerait que la peur d’être abandonné comme il l’avait été par sa mère l’ait conduit à être continuellement amoureux de toute femme qui lui manifestait un quelconque intérêt », notent les enquêteurs qui retracent sa vie.

Ça fait presque trois jours qu’il est chez elle, mais la cohabitation ne se déroule pas comme prévu. Elle est « déçue par son profil qui ne correspond pas à celui de Facebook », selon l’instruction. Dans la nuit du 8 au 9 avril, Gérald lui demande « un câlin ». Elle refuse. Il n’insiste pas.

Ligoté dans une cave

Le lendemain, Bichon se confie à Klein et Laroche sur l’événement de la veille. Elle veut qu’il parte. Pour le second, c’est impardonnable : « Je vais m’en occuper, je vais le tuer. »

Le soir du 9 avril, tous les quatre sont fortement alcoolisés au whisky. Dans la nuit noire, alors qu’ils se sont installés dans un parc pour boire, Laroche veut en découdre avec Gérald. Il lui porte de nombreux coups de poing. Klein le frappe à son tour. Ils se déchaînent. Cathy Bichon lui donne des coups de pied, chaussée d’une paire de baskets roses. Les deux gars veulent « le finir ». Cathy s’interpose : il faut ramener Gérald chez elle.

Il promet de rentrer à la première heure, de ne pas raconter ce qu’il s’est passé. Mais Laroche et Klein ne veulent pas prendre de risque. Ils sont connus de la police et ne veulent pas finir au trou. En chemin vers la rue de l’Isle-d’Or, ils s’arrêtent à un distributeur de billets, lui soutirent 200 euros. Retour chez Cathy. Encore du whisky. Klein et Laroche jettent Gérald dans la cave, le ligotent avec des lacets à chaussures. Le frappent, lui lacèrent le visage à coups de couteaux.

Seconde scène de tortures

Le lendemain matin, Gérald a réussi à se détacher, il agonise sur le sol dans la cuisine. Ses bourreaux lui offrent de l’eau et une cigarette, avant de le séquestrer à nouveau dans la cave.

Ils partent ensuite chez un couple d’amis, aujourd’hui poursuivi pour non-dénonciation de crime. Là-bas, sans jamais s’arrêter de boire de l’alcool, ils élaborent un plan pour se débarrasser du corps de Gérald.

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De retour chez Cathy vers 15 heures, le trio de tortionnaires continue de boire. Ils descendent à la cave à la tombée de la nuit.

Une seconde scène d’une immense violence débute alors. Bien que les versions des accusés diffèrent sur leur participation aux faits, d’abominables sévices ont été infligés à Gérald. Là où son corps a été abandonné, les enquêteurs ont retrouvé des bouteilles de bière, de whisky, un godemiché et cinq couteaux ayant servi à le torturer. Sur sa dépouille carbonisée, les experts légistes constatent des plaies sur l’ensemble du corps, des mutilations sur son pénis. Après ses interminables scènes de tortures, Laroche lui porte un ultime coup de couteau dans le cœur.

Trahis par un signalement

Le corps de Gérald reste cinq jours dans la cave. Dans la nuit du 14 au 15 avril, David Klein et Philippe Laroche s’en débarrassent à l’aide d’un véhicule volé, lui mettent le feu. C’est un signalement d’un membre de leur entourage aux policiers de Cognac, qui a permis leur arrestation et la découverte, deux semaines plus tard, du cadavre.

En septembre 2021, la juge d’instruction en charge du dossier a choisi de poursuivre les trois bourreaux de Gérald devant la cour d’assises de la Charente pour meurtre avec torture et extorsion. La vérité judiciaire doit être faite en 2023. Philippe Laroche, David Klein et Cathy Bichon, en détention provisoire depuis les faits, encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Ils sont jugés à partir ce lundi à Angoulême, devant la Cour d'assises.

Depuis sa mort, le profil Facebook de Gérald est devenu un mausolée. Son dernier message, le 8 avril 2019 prend des allures de prophétie. Dans un fond bleu marine onirique, on distingue l’ombre d’un homme au bord d’un précipice. Accompagné d’un texte : « Le mal que tu fais te reviendra. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne