Le maire de Grenoble, Eric Piolle, candidat à la primaire écologiste pour la présidentielle de 2022, lors d'un point presse le 12 juillet 2021 à Paris

Eric Piolle, maire de la belle ville de Grenoble, entend faire de l'autorisation du burkini dans les piscines municipales la pointe avancée du combat progressiste.

afp.com/GEOFFROY VAN DER HASSELT

Eric Piolle, maire de la belle ville de Grenoble, entend faire de l'autorisation du burkini dans les piscines municipales la pointe avancée du combat progressiste. Il l'a expliqué récemment dans le journal 20 minutes, confirmant, au passage, son intention de faire changer le règlement des piscines grenobloises lors du conseil municipal de ce lundi 16 mai : "C'est juste une question d'égalité d'accès au service public, arguait-il. Vraiment, ce changement de règlement devrait plutôt être vu comme un progrès social." En lisant ces mots de "progrès social", j'ai songé aux décennies de combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, dont nous héritons, et qui nous obligent vis-à-vis des nouvelles générations. Et le rouge de la colère m'est monté aux joues.

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Entendons-nous : il y a bien des choses à dire sur ce débat concernant le burkini - souvent aussi éruptif qu'approximatif. Il faut, notamment, se pencher avec rigueur sur la question du droit. De ce point de vue, l'autorisation ou non de cette tenue de bain recouvrante (de la tête aux pieds) ne relève pas, en droit, de la laïcité : la neutralité religieuse ne s'appliquant qu'aux agents publics en fonction et aux élèves des écoles de la République, elle ne régule pas les vêtements dans la rue, pas plus qu'elle ne s'impose sur les plages, ni dans les règlements des piscines - ces derniers proscrivent généralement le burkini au nom de l'hygiène, au même titre, par exemple, que les shorts de bain larges pour les garçons. La question du droit est donc plus complexe qu'on ne le dit souvent, et les approximations - volontaires ou non - ne facilitent pas la sérénité du débat. En revanche, du point de vue des idées et des combats émancipateurs, les choses sont je crois plus simples : associer la défense ou la promotion du burkini à un "progrès social" relève soit de l'erreur soit de la trahison.

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On voit bien le raisonnement biaisé qui conduit à la fausse route : "Ces femmes vivent selon une norme qui leur interdit d'aller à la piscine sans se couvrir complètement. Le burkini leur permet de se baigner. Donc, le burkini est un progrès social." Poussons la comparaison. En Afghanistan, les femmes ne peuvent pas aller dans la rue sans burka. La burka leur permet d'aller dans la rue. Donc, la burka est un progrès social. Voit-on mieux ce qui cloche ainsi ? Dans sa grande confusion, Eric Piolle ne trouve rien à redire quant au ressort machiste et patriarcal à la racine de la prescription "burkini", qui consiste à demander aux femmes de se couvrir la moindre parcelle de peau, au motif que leur corps serait par nature provocateur et impur. Il traite cette option comme un folklore culturel, un choix vestimentaire anodin, qu'il faudrait permettre et défendre au nom du "progrès", c'est-à-dire de l'émancipation... Ce tour de passe-passe philosophique brade des décennies de combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes, qui s'est toujours mené contre les orthopraxies religieuses.

Les curieux amalgames du camp "progressiste"

Mesure-t-on, au reste, la rupture de fraternité que contient cet "accommodement" féministe, au nom du respect des différences ? En matière d'émancipation, les musulmanes n'auraient-elles pas le droit aux mêmes standards que les autres ? Au fondement de l'idée même de justice figure le refus du "deux poids, deux mesures" : le combat féministe doit valoir pour toutes les femmes. Une chose est de reconnaître que, dans une société de libertés, la garantie des droits individuels permet à chacun, s'il le souhaite, de vivre selon des prescriptions religieuses patriarcales. Une autre est de considérer l'extension de ces prescriptions et de leur acceptation comme un "progrès social". Mais au nom d'un antiracisme dévoyé, les féministes dites intersectionnelles (c'est-à-dire qui entendent joindre les combats des femmes et des "racisés") sont capables de tous les accommodements avec le patriarcat, du moment qu'il provient de l'islam.

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Summum de la trahison : ils et elles assignent toutes les musulmanes au burkini. Il n'y a qu'à lire, pour s'en convaincre, la récente tribune de soutien à l'initiative d'Eric Piolle*, signée par 113 personnalités - parmi lesquelles Caroline de Haas ou Alice Coffin : "Il est bon de rappeler que la piscine est un service public censé être accessible à tous, écrivent-elles. Pourtant, les femmes musulmanes en sont exclues par la volonté des mairies de ne pas changer les règlements intérieurs des piscines." Ah oui ? "Les femmes musulmanes en sont exclues" ? Parce que "les femmes musulmanes" se baignent toutes en burkini ? Première nouvelle ! Edifiante généralisation. Dans le combat de normes qui traverse l'islam, entre tenants d'une application orthodoxe et littérale d'un côté et tenants d'un islam séculier de l'autre, les néoféministes ont choisi leur camp : selon eux, les "vraies" musulmanes portent forcément le burkini. C'est bien. C'est également ainsi que pensent les salafistes et Eric Zemmour. Ça en fait du monde, dans le camp des progressistes.

* "En mai, mets ce qu'il te plaît !", tribune publiée, notamment par Le Dauphiné, le 12 mai 2022.

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