"Indigne", "insalubre" : la prison de Bordeaux-Gradignan épinglée par la Contrôleure générale des prisons

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"Indigne", "insalubre" : la prison de Bordeaux-Gradignan épinglée par la Contrôleure générale des prisons

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Une cellule à trois matelas dans la prison dans la prison de Bordeaux-Gradignan
Une cellule à trois matelas dans la prison dans la prison de Bordeaux-Gradignan
- © T.Chantegret - CGLPL

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, publie au Journal officiel des recommandations d'urgence à mettre en place au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. Ses équipes ont constaté lors de visites début juin des conditions de vie "inhumaines".

La situation de la prison de Bordeaux-Gradignan avait déjà été mise en lumière par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, au début du mois de juin, juste après la mort d'un détenu de 20 ans dans l'incendie de sa cellule, et alors même qu'elle venait de publier le rapport d'activité 2021 pointant notamment du doigt la surpopulation carcérale en France.

Ce mercredi, la CGLPL publie au Journal officiel ses recommandations concernant les nombreux problèmes que la Contrôleure générale et ses équipes ont pu relever lors de trois visites aux centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, dont la dernière réalisée entre le 30 mai et le 10 juin. Cette inspection a conduit l'institution à relever plusieurs situations d'"atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues" : surpopulation (un taux d'occupation global de 199%), locaux en délabrement, sanitaires insalubres, matériels (lits, meubles, etc) insuffisants, carences dans l'accès aux soins, présence de rats et de cafards, etc...Des conditions de détention jugées "inhumaines".

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Selon Dominique Simonnot, la prison doit faire l'objet "de mesures urgentes concernant la surpopulation, la rénovation des cellules, la désinfection, l’accès aux soins et, d’autre part, d’une reprise en main du fonctionnement de l’établissement". Des recommandations en ce sens ont été transmises au ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui laisse entendre dans une réponse datée du 11 juillet que la question de la surpopulation se règlera début 2024 à l'issue de l'achèvement de la construction d'un nouvel établissement pénitentiaire, plus grand. Les autres problèmes et détériorations soulevés en revanche, selon lui, sont liés au comportement des détenus.

Une semaine en France
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Un taux d'occupation de 235% chez les hommes

On comptait, au 1er juin (période de la visite) 864 détenus dans l'établissement, alors qu'il a une capacité totale de 434 places. Le quartier femmes est plein à 146% de ses capacités, quant aux quartiers "maison d'arrêt des hommes" répartis dans deux bâtiments, le taux d'occupation est de 235%. Cette surpopulation, précise le rapport, se traduit très concrètement par des cellules surchargées : "145 cellules triplées avec un matelas au sol." Sur des photos prises par les équipes de la CGLPL, on peut notamment voir un sommier fait de corbeilles, d'un tabouret et d'une chaise en plastique, pour que le matelas ne soit pas à même le sol.

Dans ses recommandation, l'institution demande à ce qu'il soit "mis fin prioritairement aux encellulements à trois et au recours à des matelas au sol. Des protocoles visant à réduire la pression carcérale et associant les différents acteurs de la chaîne pénale doivent être mis en place sous la responsabilité des autorités judiciaires." Une situation bien prise en compte par le ministère de la Justice. Dans sa réponse à la Contrôleure générale, Eric Dupond-Morreti assure que l'ensemble des acteurs travaillent justement à solutionner ce problème, et que des "mesures prises ont d'ores et déjà conduit à une baisse du taux d'occupation" dans les quartiers hommes "de 235% à 213%", grâce à des transferts de détenus.

Un matelas posé sur divers objets afin de ne pas être directement sur le sol.
Un matelas posé sur divers objets afin de ne pas être directement sur le sol.
- © T.Chantegret - CGLPL

En introduction à sa réponse, le ministre évoque d'ailleurs la construction d'un nouvel établissement à Bordeaux-Gradignan, dont les travaux sont en cours depuis avril 2021 et qui devraient se terminer début 2024. Selon lui, les 600 places prévues au total, donc la création de 173 places supplémentaires, permettront "d'endiguer le phénomène de surpopulation carcérale de cette structure". En l'état, c'est certes mieux que les 434 places actuelles, mais insuffisant pour les plus de 800 détenus actuellement dans les murs.

La faute aux détenus

La partie la plus importante des recommandations formulées par Dominique Simonnot concerne les conditions de vie en détention qui sont jugées "inhumaines". De nombreuses situations sont développées, photos à l'appui. Si le manque de place, du fait des lits au sols qui empêchent d'installer des rangements, découle directement de la surpopulation, d'autres problèmes concernent avant tout l'entretien de l'établissement.

"Les murs sont lépreux, parfois noircis, et couverts de nombreux graffitis. La luminosité naturelle est faible (21 lux) et la luminosité électrique médiocre (65 lux), les détenus devant par ailleurs occulter les ouvertures pour se protéger de la chaleur du soleil. Les lits superposés instables, en métal grinçant, présentent parfois des sommiers qui manquent de boulons pour les fixer correctement, et certains sont dépourvus d’échelle pour accéder au couchage supérieur (...) Les personnes détenues confectionnent des rideaux de fortune, en déchirant des draps, afin de s’assurer un minimum d’intimité", peut-on lire dans la longue description.

Les photos montrent en détail l'insalubrité avec les murs et les parois de douche où la peinture s'effrite, la tuyauterie rouillée qui fait dégouliner des coulures orangeâtres, de la moisissure sur les plafonds ou encore des sacs poubelles non ramassés dans les coursives, avec son lot de conséquences : "Inévitablement, cette situation contribue à la prolifération de nuisibles : rats dans les bâtiments A et B, punaises de lits dans les matelas, pigeons produisant nids et fientes dans le bâtiment A. Des cafards prolifèrent enfin dans la majorité des cellules des bâtiments A et B, s’introduisant dans les moindres recoins."

Des douches collectives dans la maison d'arrêt des hommes
Des douches collectives dans la maison d'arrêt des hommes
- © CGLPL

La position alors défendue par le Garde des Sceaux est pour le moins étonnante : il renvoie la faute aux détenus. Ils "occultent régulièrement leurs fenêtres avec du tissu", ce qui expliquerait la faible lumière en cellule. Les draps sont dégradés par les détenus, dit-il, "pour confectionner des 'yoyos'" (ficelles qui permettent de s'envoyer des objets à travers les barreaux entre cellules). D'autres dégradations d'équipements sont "le fait des personnes détenues qui [les] détournent [de leur] usage". Quant à la prolifération des nuisibles, des sociétés spécialisées interviennent "à chaque signalement", assure le ministre, qui rappelle la responsabilité des détenus : "Une plaquette illustrée a été réalisée pour sensibiliser la population pénale aux actions à mener pour lutter contre la prolifération des cafards."

Noyer le poisson

"La grande majorité des personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan sont enfermées en cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, sans accès à aucune activité", pointe aussi du doigt le rapport, qui liste tout une série d'autres problématiques : quantité de nourriture inéquitablement répartie, réfrigérateurs insuffisants, manque de surveillants, carences dans l'accès aux soins. A chaque problème évoqué, Eric Dupond-Morreti, s'applique à nier, à noyer le poisson ou proposer un constat différent.

Le temps passé en cellule sans aucune activité ? Une évaluation "en décalage avec l'offre pénitentiaire en la matière". Une distribution inéquitable des repas ? "La norme Grammages recommandé en restauration collective est strictement appliquée et les repas distribués ne sont pas intégralement consommés par les personnes détenues". Le manque de réfrigérateurs à disposition des détenus en cellule ? Impossible d'en donner à tous "compte tenu de la configuration des cellules."

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