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Crise alimentaire : « Les défis sont sans précédent »

Le nombre de personnes qui souffrent de la faim a augmenté ces dernières années, conséquence de la COVID-19, mais aussi de la guerre en Ukraine et d’un système alimentaire mondial déréglé.

Une femme, entourée d'enfants, est accroupie au sol.

Des déplacés internes ont trouvé refuge près de la ville de Dubti, en Éthiopie, après avoir fui la région d'Afar, où la nourriture manque.

Photo : Getty Images / EDUARDO SOTERAS

Une personne sur dix, soit 9,8 % de la population mondiale, souffre de la faim, une proportion qui est en augmentation depuis 2020, selon le plus récent rapport de l’ONU sur l'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (SOFI). À cause de la COVID-19, de la guerre en Ukraine et des changements climatiques, la lutte contre la faim a reculé, constate Marie Dasylva, porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM).

En 2021, on a atteint jusqu'à 828 millions de personnes qui souffraient de la faim, précise-t-elle.

Les besoins humanitaires ne font qu'augmenter et les défis sont également sans précédent.

Une citation de Marie Dasylva, porte-parole du Programme alimentaire mondial, à Dakar

Le Programme alimentaire mondial, qui fournit de l'aide alimentaire aux populations vulnérables, doit répondre à des demandes accrues alors même que ses capacités diminuent, explique Mme Dasylva.

On est confrontés à un triple risque : le nombre de personnes qui ont des besoins humanitaires ne cesse d'augmenter, alors que la COVID-19 a forcé certains États à revoir leur financement [du PAM]. En plus, on fait face à une hausse des prix, ce qui fait que nos coûts opérationnels se sont envolés par rapport à 2019.

Vous avez des millions de personnes qui sont au bord du gouffre, littéralement, avec des États qui doivent faire face à de multiples crises.

Une citation de Marie Dasylva, porte-parole du Programme alimentaire mondial, à Dakar

Les agences onusiennes qui luttent contre la faim ont identifié 26 pays dans le monde où une partie de la population est en crise, soit qu’elle souffre d’un déficit alimentaire considérable avec une malnutrition aiguë élevée ou d’un épuisement accéléré de ses moyens d’existence, ou encore qu’elle doive recourir à des stratégies d’adaptation.

Des secteurs de la population de cinq de ces pays (l’Éthiopie, le Yémen, le Soudan du Sud, la Somalie et l'Afghanistan) se trouvent dans la catégorie la plus élevée du cadre international de classification de la faim, qualifiée de catastrophique, explique Mme Dasylva. Il y a cinq catégories avant de parler de la famine. La phase cinq, c'est la dernière, où vous avez des poches de la population qui souffrent de faim extrême et de mort.

Quelque 750 000 personnes sont ainsi confrontées à des conditions similaires à une famine.

Pour les personnes qui sont dans la catégorie 4, juste au-dessous, la sécurité alimentaire ne tient qu’à un fil. L’augmentation des prix des denrées provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine pourrait bien être le choc qui les fait basculer.

L’Ukraine et la Russie fournissaient, en 2021 :

  • 33 % des exportations de blé
  • 27 % de l’orge;
  • 17 % du maïs;
  • 24 % des graines de tournesol;
  • 73 % de l'huile de tournesol exportée dans le monde.

Or, la Russie contrôle actuellement 22 % des terres agricoles de l'Ukraine. De plus, entre 20 et 25 millions de tonnes de céréales sont bloquées dans les ports ukrainiens, selon le président ukrainien.

Conséquence : le prix du blé et des oléagineux atteint des sommets.

Pour certains pays, qui importent des céréales de la Russie et l’Ukraine, la guerre est une catastrophe.

Pourquoi a-t-on laissé se développer une telle dépendance?

Les pays ont été piégés, soutient Mamadou Goïta, membre du Groupe international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES) et directeur exécutif de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD) à Bamako.

Quand il y a eu des sécheresses, ç'a été une porte d'entrée pour certains produits, affirme l'expert. On a donné du riz et du maïs, qui n'étaient pas des produits de consommation d’ici, et les gens s’y sont progressivement habitués.

À terme, ces produits importés sont entrés dans les diètes, d’autant plus qu’ils reviennent moins cher, étant donné qu’ils sont fortement subventionnés.

Les gens préfèrent acheter un riz à 200 francs le kilo qui vient de Thaïlande, produit il y quatre ans et qui est complètement subventionné, plutôt que d'acheter le riz du Mali, produit cette année, qui est un riz nouveau et qui va coûter 300 ou 400 francs le kilo, illustre M. Goïta.

Cette dépendance des importations a également comme conséquence une perte de diversité, puisque les différentes variétés locales, délaissées, disparaissent progressivement. Cela s’ajoute au fait qu’on privilégie les semences importées, à haut rendement, mais non reproductibles, et qui doivent donc être rachetées chaque année.

Si on achète ses semences sur le marché international, dominé par les multinationales, puis les engrais produits par ces mêmes multinationales, et que pour la conservation des céréales on sollicite encore ces mêmes entreprises agroalimentaires, on devient complètement dépendant.

Une citation de Mamadou Goïta, membre du Groupe international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES)

L’opacité des marchés

Une main de femme fait tomber des grains de blé dans une bassine.

Des fermiers égyptiens du village de Bamha, dans la province de Giza, récoltent du blé, le 17 mai 2022.

Photo : Getty Images / KHALED DESOUKI

Malgré la frénésie sur les marchés, le blé ne manque pas réellement.

Ce n’est qu’une partie des denrées alimentaires qui circule sur le marché mondial, explique M. Goïta. Toutefois, quand celui-ci encaisse un choc, cela se répercute même sur les pays qui ne s’approvisionnent pas sur ce marché. C'est l'espace par excellence de la spéculation autour des produits alimentaires , croit-il.

On a créé une pénurie artificielle pour que les prix puissent augmenter sur le marché.

Une citation de Mamadou Goïta, membre du Groupe international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES)

La poignée de multinationales qui gère une importante proportion des stocks mondiaux de céréales a tout à gagner d’une hausse des prix, dénonce M. Goïta. Elles ne disent pas quel stock elles ont, ce qui pourrait démontrer que nous avons suffisamment de blé sur le marché mondial pour approvisionner les États pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Certains pays contribuent à cette opacité. C’est le cas de la Chine, qui détient des stocks mondiaux de céréales dont on ignore l’ampleur, affirme également M. Goïta.

Le rôle de la spéculation financière sur les marchés de matières premières avait déjà été clairement identifié lors de la crise alimentaire de 2007-2008, mais rien de significatif n’a été fait pour y remédier, déplore l’IPES dans son rapport sur la sécurité alimentaire (Nouvelle fenêtre).

Quelles solutions?

Outre une aide ponctuelle et rapide pour permettre aux pays les plus vulnérables de soutenir leur population la plus touchée, il est urgent de s’atteler à des changements majeurs du système alimentaire mondial, soutient l’organisme.

Cela passe par la lutte contre la spéculation sur les produits agricoles de base et par une plus grande transparence du marché. Mais il faut aussi que les pays dépendants des importations retrouvent un certain degré d’autosuffisance pour les denrées de base. Cela implique de revenir vers des cultures traditionnelles, ainsi que de rediversifier leur consommation alimentaire et leurs sources d’approvisionnement.

Des hommes transportent des sacs.

Des travailleurs du Programme alimentaire mondial (PAM) transportent des sacs de céréales dans un entrepôt, à Abala, en Éthiopie, le 9 juin 2022. Dans la région d'Afar, plus d'un million de personnes ont besoin d'aide alimentaire, selon le PAM.

Photo : Getty Images / EDUARDO SOTERAS

Il faut construire la résilience des populations, souligne Mamadou Goïta.

Enfin, estime-t-il, les pays de la région devraient se constituer une réserve céréalière commune, qui pourrait être utilisée en cas de pénurie tout en leur permettant de se libérer des variations de prix sur le marché international.

Bref, il est essentiel d’agir maintenant pour éviter une autre catastrophe qui mettrait encore en péril des centaines de milliers de personnes.

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