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"Hijab de natation" chez Adidas

"Hijab de natation" : "Adidas caresse l’islamisme dans le sens du voile"

Tribune

Par Naëm Bestandji

Publié le

Adidas vient de lancer une collection de burkini. L'essayiste Naëm Bestandji, auteur notamment de « Le linceul du féminisme : caresser l'islamisme dans le sens du voile » (Seramis, 2021), explique en quoi la marque cautionne le sexisme islamiste.

« Couvre-toi et profite de l'eau à la plage ou à la piscine »… Telle est l’injonction formulée aux femmes sur un site Internet . Nous pourrions imaginer naviguer sur un site salafiste ou Frère musulman pour qui l’obsession sexuelle du corps des femmes est maladive et le patriarcat seul moyen, à leurs yeux, d’apaiser leur libido par l’occultation de l’objet de tentation. Pas du tout. Nous sommes sur le site de vente en ligne d’Adidas. C’est sa phrase d’accroche pour proposer sa collection sexiste de burkinis qu’il nomme « hijab de natation ».

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Pourquoi une telle injonction ? La marque serait-elle soucieuse d’un risque sanitaire encouru par les femmes dont les hommes seraient naturellement protégés ? Pourquoi la femme ne pourrait-elle pas « profiter de l'eau à la plage ou à la piscine » si elle n’est pas couverte ? Les raisons ne sont pas à chercher du côté de l’hygiène ni même du côté pratique (se baigner habillé est naturellement moins confortable qu’en maillot de bain). Les raisons sont morales, héritage patriarcal d’un autre âge réintroduites par l’intégrisme musulman.

Le voile désigne les femmes comme des objets sexuels à cacher…

« Hijab » désigne en arabe « quelque chose qui sépare ». Cela peut être un rideau, un paravent, un mur ou autre chose qui soustrait quelqu’un à la vue d’autrui. Le voile, outil de séparation mobile à la fois symbolique et concret, n’est pas une injonction islamique mais islamiste. Cette occultation vise uniquement les femmes car, selon les islamistes, la visibilité de la femme est une nuisance dont il faudrait limiter la portée en la cachant sous un voile. L’imam néo-salafiste Nader Abou Anas transmet ce message commun à tous les prescripteurs du voile dans une conférence : « Ma sœur, si j'ai décidé de m'adresser à toi, c'est pour te faire un rappel sur une chose qui peut te nuire et nuire à autrui. Cette chose n'est autre que ton vêtement, ma sœur. […] En vous exhibant, vous êtes des épreuves pour nos frères musulmans. […] Si nos femmes, nos sœurs et nos filles étaient pudiques, toute la société serait tranquille. […] Parmi les signes montrant que la société s'est écartée de [la] voie [d'Allah], et illustrant avec précision sa dérive, on note la propagation du phénomène des jeunes femmes qui se découvrent et étalent leurs charmes. »

« Elles doivent être encore plus effrayées par le châtiment divin, une menace pour l'au-delà, éternelle. »

Ces prescripteurs, tous des hommes, présentent leur vision avilissante des femmes comme une forme de valorisation : l’objet sexuel qu’est la femme doit être caché car il serait un objet précieux, une perle, un bijou dont le voile serait l’écrin. Ils précisent alors, dans leur grande mansuétude, que « la femme a le droit de montrer son visage et ses mains ». Pourquoi ? Pour respecter une « pudeur » féminine créée par des hommes. Cette « dérive », dont seraient responsables les femmes « impudiques » (c’est-à-dire toutes celles non voilées), aurait pour conséquence l’excitation des « prédateurs », des « loups affamés », comme l'affirme Hassan Iquioussen dans une conférence de 2013 qui avait pour titre Pourquoi la musulmane doit-elle porter le voile ? : les hommes. La femme est donc désignée comme une proie, responsable d’être le gibier des prédateurs par son manque de « pudeur ». Hassan Iquioussen, Nader Abou Anas et tous les autres, quelle que soit leur langue, disent les mêmes choses. Le néo-salafiste résume bien cette pensée « inclusive » : « Le hijab, il faut que tu saches ma sœur, que c'est l'ensemble du vêtement pour pas décrire tes formes. Pourquoi ? Pour pas attirer les hommes. Pourquoi ? Pour pas finir sous les mains d'un loup. » « Donc en étant pudique, en te couvrant, en mettant le vêtement que la femme musulmane doit porter, sache que tu garantis d’éloigner les loups. »

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Transformer les femmes en proies doit pénétrer l'esprit des musulmanes jusqu'aux tréfonds. Elles doivent ressentir le danger à se montrer sans voile comme une viande bien rouge face aux loups. Déclarer parler au nom de Dieu et de son Prophète permet de brandir les pires conséquences pour les récalcitrantes au voilement. Si la valorisation de l'objet n'est pas convaincante, si la peur de « finir sous les mains d'un loup » ne suffit pas, il faut les confronter à une menace bien pire. Les femmes ne doivent pas seulement avoir peur des hommes, un danger terrestre temporaire. Elles doivent être encore plus effrayées par le châtiment divin, une menace pour l'au-delà, éternelle : les terribles flammes de l’enfer.

L’euphémisme de la « pudeur » pour justifier le sexisme et le patriarcat

Le raisonnement sexiste et patriarcal de l’intégrisme musulman se traduit à travers certaines expressions comme « mode pudique » ou « tenues modestes » (de l’anglais « modesty », « pudique » en français). Elles sont d’abord apparues sur les boutiques islamistes en ligne à destination des musulmanes occidentales. Parler de « mode pudique » pour la dissimulation des cheveux et du corps est un jugement de valeur, un jugement moral. Désigner les tenues supposées être pudiques, modestes, et donc de facto celles qui ne le seraient pas, est la définition même de la dictée vestimentaire. La phrase d’accroche d’Adidas, « Couvre-toi et profite de l'eau à la plage ou à la piscine. », en est la fidèle reproduction. Une dictée si flagrante qu’elle permet aux idéologues islamistes de rendre les victimes d’agressions sexuelles et de viols responsables de leur sort si elles n’étaient pas pudiquement vêtues au moment des faits.

« Le sport devient alors un autre terrain de conquête idéologique par la visibilité du sexisme islamiste. »

Par appât du gain, et grâce au lobbying de militants islamistes, quelques grandes marques de vêtements se sont approprié ces expressions, comme Nike, Adidas ou H&M, participant ainsi à la stratégie politique des islamistes dont le corps des femmes sert de porte-étendard à leur outil prosélyte qu’est le sexisme du voile.

Contrairement à l’idée reçue, tous les islamistes ne sont pas contre la pratique sportive des femmes… à la condition qu’elles soient séparées des hommes. Mais ils ont compris qu’il est impossible d’obtenir cette séparation dans l’immédiat. Certains agissent alors pour l’instauration d’une séparation sexuelle à la fois symbolique et matérielle, un minimum d’apartheid sexuel par la stigmatisation et le marquage vestimentaire des femmes : le voile. Le sport devient alors un autre terrain de conquête idéologique par la visibilité du sexisme islamiste. Une fois que cela sera bien ancré dans le paysage et banalisé, la revendication d’horaires séparés par « respect de la liberté religieuse » rencontrera moins d’obstacles. Ce processus est appliqué tel quel par le « hijâb de sport » et par sa version waterproof, le burqini.

Adidas vend du sexisme « religieux » par appât du gain… et conviction ?

D’un côté, les sportifs (hommes et femmes) choisissent des tenues adaptées à leurs pratiques, pour leur confort, leur praticité et leur performance. Aucune connotation sexuelle n’entre en ligne de compte. De l’autre, une musulmane voilée optera pour une tenue en fonction de l’avis de prédicateurs dont les critères ne sont pas la quête de performance ni de confort mais la morale sexuelle et patriarcale. Une femme voilée peut donc se dépenser physiquement, à la condition qu’elle respecte la « pudeur » fixée par des hommes. Telle est l’adaptation islamiste au sport, ou plutôt l’adaptation du sport au sexisme islamiste. Ainsi, une musulmane qui y consent se dissimulera sous un voile quel que soit le sport pratiqué. Peu importe, par exemple, l’évidence de courir, nager ou jouer au football sans être entravée par un voile : c’est le voile ou… pas de sport.

« Le sexisme islamiste version Adidas protège la femme des hommes… et du chlore. »

Autrement dit, le voile n’est pas une forme de libération permettant à des femmes d’accéder à une activité. Le voile conditionne au contraire cet accès par leur soumission. En résonance, il signifie aussi aux autres femmes leur degré d’impudeur. Ainsi, des musulmanes qui jusque-là pratiquaient le sport sans voile sont de plus en plus amenées à se couvrir. En Algérie ou Tunisie par exemple, cette « liberté d’accès à la baignade » s’observe par la disparition quasi-totale des femmes en maillot de bain sur les plages. L’émancipation par le sport devient un leurre par la sexualisation permanente du corps féminin entravé par sa dissimulation sous une prison mobile et psychologique.

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Comme évoqué plus haut, le sport est aussi un terrain prosélyte par le sexisme du voile, grâce au sponsoring de marques internationales sur les conseils d’intégristes musulmans. Elles commercialisent des hijabs adaptés à la pratique sportive, pour rendre ces carcans un peu moins inconfortables tout en s’offrant un nouveau support publicitaire pour floquer leur logo. Les islamistes n’ont pas besoin d’y floquer le leur. Le voile en lui-même fait office de logo géant. Nike et Adidas en sont les principaux équipementiers. Ces marques participent ainsi au développement de l’islamisme à travers le voilement. Pour certaines femmes, la possibilité de pratiquer un sport ou de sortir dans l’espace public est à présent conditionnée à l’occultation de leurs cheveux et de tout le reste de leur corps. Les marques de vêtements concernées assument. L’argent n’a ni odeur ni éthique.

« Couvre-toi et profite de l'eau à la plage ou à la piscine. Ce hijab Adidas est confectionné en tissu Infinitex Fitness Eco léger et résistant au chlore. » Nous sommes rassurés : le sexisme islamiste version Adidas protège la femme des hommes… et du chlore. Alors, « femme, couvre-toi ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne