Subir une amputation à la Préhistoire revenait-il à être condamné ? La réponse est non, comme nous l’apprend une surprenante découverte dévoilée mercredi 7 septembre 2022 dans les pages du magazine Nature. Retrouvé en 2020 dans la grotte calcaire Liang Tebo, située dans le centre de l’île de Bornéo, un squelette humain daté de 31.000 ans montre en effet que l’individu, âgé d’une vingtaine d’années au moment de sa mort, avait subi une amputation chirurgicale du pied gauche et qu’il avait ensuite vécu entre six et neuf ans après l’opération.
Ces résultats suggèrent que des procédures chirurgicales avancées étaient pratiquées en Asie tropicale bien avant les tous premiers témoignages recensés jusqu'ici en Europe. La plus ancienne opération complexe connue était celle d'un agriculteur ayant vécu en France au Néolithique, il y a environ 7.000 ans. Son avant-bras gauche avait été ôté puis avait partiellement guéri.
Des balbutiements en chirurgie bien plus précoces qu'estimé
"L'opinion dominante concernant l'évolution de la médecine est que l'émergence de sociétés agricoles sédentaires il y a environ 10.000 ans, lors de la révolution néolithique, a donné lieu à une multitude de problèmes de santé auparavant inconnus parmi les populations non-sédentaires en quête de nourriture", écrit Tim Maloney, archéologue à l’Université de Griffith (Australie) et premier auteur de l’article. La preuve qu’un tel geste chirurgical a pu être réalisé avec succès plus de vingt millénaires avant la sédentarisation de l’être humain a ainsi de quoi surprendre les archéo-anthropologues, qui avaient toujours fait remonter les premières innovations majeures dans les pratiques médicales préhistoriques à la toute fin du Pléistocène, au plus tôt.
Néanmoins, on retrouve à partir du Mésolithique de nombreux crânes volontairement ouverts. Ces trépanations étaient peut-être destinées à soulager des maux de tête, ou auraient pu avoir une visée symbolique, voire religieuse. Les travaux de Paul Broca, médecin français du 19e siècle, ont suggéré que l’objectif d’un tel acte était non pas de pratiquer un trou, mais de prélever un morceau d’os sur le crâne à des fins de prestige.
Une vue de la partie inférieure du squelette montrant l'absence totale du tiers distal de la jambe inférieure. On aperçoit également l'os remodelé qui recouvre les surfaces d'amputation et démontre la guérison à son issue. Crédits : Tim Maloney/Université de Griffith
Pour autant, les amputations requéraient assurément "une connaissance approfondie de l'anatomie humaine et de l'hygiène chirurgicale, ainsi que des compétences techniques considérables. Avant les développements cliniques modernes, tels que les antiseptiques, la plupart des personnes subissant une opération d'amputation mouraient de la perte de sang et du choc ou d'une infection ultérieure." Ce ne fut donc pas le cas pour le jeune Sapiens de Bornéo, dont le sexe reste indéterminé. Les scientifiques en déduisent alors que le ou les individus à l’origine de son amputation, réalisée sur le tiers inférieur de sa jambe gauche alors qu’il était encore enfant, devaient posséder une connaissance détaillée de la structure des membres, des muscles et des vaisseaux sanguins pour éviter une hémorragie et une infection fatales.
Un aspect sans équivoque
Mais quid d'une morsure d'animal, qui aurait pu engendrer, par sa violence, une section nette du pied du bambin ? L'hypothèse est à rejeter pour l'équipe de Tim Maloney, qui assure qu'une amputation par l'attaque d'un animal, tout comme celle qu'aurait pu causer un accident, provoquent généralement des fractures par écrasement. "Il est également peu probable que l'amputation ait été pratiquée à titre punitif, car l'individu semble avoir été soigneusement traité après l'opération et lors de son enterrement", ajoutent-ils. Installé en position fœtale dans une formation géologique ornée de peintures, le corps a notamment été inhumé avec une boule d’ocre rouge à proximité de la bouche, preuve qu'il fut contemporain des artistes rupestres ayant œuvré dans la grotte.
D'autres travaux sont désormais nécessaires pour comprendre par quels moyens les membres de cette communauté du Pléistocène supérieur sont parvenus à éviter la mort du jeune sujet. "Les taux rapides d'infection des plaies sous les tropiques ont pu stimuler le développement de nouveaux produits pharmaceutiques, tels que les antiseptiques, qui exploitent les propriétés médicinales de la riche biodiversité végétale de Bornéo."