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L’équipe de France de football est-elle l’une des seules d’Europe à ne pas avoir rencontré Amnesty pour évoquer le sort des travailleurs au Qatar?

Coupe du monde 2022 au Qatardossier
Avant la Coupe du monde, l’ONG de défense des droits humains tente de sensibiliser les équipes nationales. Avec un succès variable selon les pays.
par Jacques Pezet et Marie Thimonnier
publié le 16 septembre 2022 à 12h52

Bonjour, vous nous avez interrogés sur un tweet publié le 6 septembre par Quentin Müller, auteur de les Esclaves de l’homme pétrole (qui doit sortir début octobre aux éditions Marchialy). Le journaliste y évoque le sort des travailleurs étrangers au Qatar, et affirme que «la Fédération française de football [FFF] fut l’une des seules en Europe à refuser une rencontre entre joueurs de l’équipe de France et Amnesty France pour parler des conditions de vie des travailleurs étrangers au Qatar».

Alors que son tweet indiquait que l’information était détaillée dans son futur livre, cosigné avec le journaliste Sebastian Castelier, CheckNews n’a pas retrouvé l’extrait dans une copie fournie par sa maison d’édition. Sollicité, Quentin Müller explique : «C’est une information que je croyais avoir mise dans le bouquin mais en fait non. C’est Lola Schulmann qui m’a révélé cela lors d’un entretien en juin.»

Lola Schulmann est chargée de plaidoyer chez Amnesty France, l’organisation non gouvernementale de défense des droits humains. Cet été, elle avait également indiqué à CheckNews les difficultés rencontrées par son ONG pour faire réagir la Fédération française de football quant au sort des travailleurs étrangers employés au Qatar. Après une mobilisation en ligne, puis devant le siège de la FFF, Amnesty France avait obtenu une réunion avec les dirigeants de la fédération le 19 avril 2022. Mais depuis, plus rien, nous affirmait Lola Schulmann, qui assurait avoir demandé au président Noël Le Graët qu’une rencontre puisse avoir lieu entre l’ONG et les joueurs de l’équipe de France pour les sensibiliser aux enjeux du respect des droits humains au Qatar. Sollicitée par CheckNews depuis plusieurs semaines, la FFF n’a répondu à aucune de nos demandes sur le sujet.

Selon la chargée de plaidoyer d’Amnesty France, de tels séminaires ou des discussions approfondies ont été menées par les branches d’Amnesty en Allemagne, en Belgique, au Royaume-Uni, en Suisse, aux Pays-Bas, au Portugal, en Finlande, en Norvège et aussi en Australie, même s’il est excessif d’affirmer que la majorité des équipes nationales européennes ont rencontré les équipes de l‘ONG.

CheckNews a fait le tour des équipes qualifiées pour la compétition.

La «Mannschaft» et les «Diables rouges» ont vu Amnesty

Parmi les «bons élèves», on peut citer les joueurs des équipes d’Allemagne et de Belgique, qui ont déjà rencontré directement les équipes d’Amnesty. Début juin, les fédérations de football de Belgique et d’Allemagne, ainsi que les branches locales d’Amnesty ont diffusé des communiqués et photographies montrant ces rencontres. Elles ont même été suivies de déclarations de joueurs de premier plan, comme la star belge Eden Hazard, déclarant : «C’est bien de parler de ces problèmes, ce sont des choses dont il faut parler. Il ne faut pas avoir peur de dire les choses, même si nous sommes là en premier lieu pour jouer au football.» Côté allemand, la Mannschaft a vu deux fois les équipes d’Amnesty et Human Rights Watch en mars et en juin 2022. En amont de la première rencontre, le capitaine et gardien de but allemand Manuel Neuer avait déclaré qu’il se réjouissait de cette réunion : «Il est important pour nous que de tels «professionnels» viennent nous rendre visite et que nous puissions ainsi avoir un aperçu. Je pense que c’est aussi crucial pour nous.»

Hors d’Europe, l’Australie, qui sera un adversaire de la France lors du premier tour de la compétition, fait partie des pays où des joueurs, notamment Mat Ryan et Jackson Irvine, ont participé à des rencontres avec des syndicats soutenant les travailleurs migrants que le Qatar a recrutés. Des fiches ont également été transmises aux équipes masculines et féminines sur la situation des travailleurs étrangers au Qatar.

Danemark et Pays-Bas : des rencontres prévues en septembre

Contactées par CheckNews, les branches d’Amnesty dans ces deux pays assurent que les rencontres avec les joueurs se dérouleront d’ici la fin du moins de septembre. Amnesty Danemark reconnaît cependant que celle avec les «Danish Dynamite» ne devrait durer «que quinze minutes». Les deux antennes de l’ONG insistent sur le fait qu’elles ont des «contacts réguliers» depuis plusieurs années avec les fédérations de football des deux pays sur la question des droits humains, notamment au Qatar.

Angleterre et pays de Galles : pas de rencontres mais des efforts

Concernant l’Angleterre et le pays de Galles, Amnesty UK indique qu’il n’y a eu de rencontres avec aucune des deux équipes, et ce malgré des annonces sur le sujet. «Pendant de nombreux mois, les médias britanniques ont rapporté qu’il y aurait une séance d’information avec les organisations des droits de l’homme et les joueurs [anglais]. Mais cela n’a jamais eu lieu. Au lieu de cela, la Fédération de football d’Angleterre nous a dit plus récemment qu’elle avait elle-même partagé des informations pertinentes sur les droits de l’homme avec les joueurs», indique un porte-parole.

Au mois de mars, le Guardian avait en effet rapporté la réaction du milieu de terrain Jordan Henderson, qui qualifiait de «choquantes, décevantes et horribles» les violations des droits humains commises par le Qatar, après que ses coéquipiers anglais ont reçu un briefing de trente minutes sur la situation dans le pays organisateur de la Coupe du monde. Amnesty UK indique qu’elle n’a pas organisé cet exposé, «entièrement géré par la Fédération anglaise de football (FA)». Cette dernière citait toutefois le travail de l’ONG parmi les informations présentées aux joueurs. Depuis, Amnesty UK estime que «dans l’ensemble, la FA est moins loquace que la fédération galloise sur les questions de droits de l’homme à l’approche de la Coupe du monde».

Dans un communiqué partagé le 25 août, Amnesty UK saluait une déclaration de la fédération galloise appelant à «voir de nouvelles améliorations significatives et durables dans les conditions des travailleurs migrants au Qatar» tout en soutenant la création d’un centre des travailleurs migrants à Doha, et invitait la fédération anglaise à s’engager davantage. L’ONG appelait l’effort gallois à se concrétiser aussi par un soutien au fonds d’indemnisation pour les travailleurs.

Suisse : des engagements pour les hôtels mais pas de briefing avec les joueurs

Amnesty affirme avoir des «échanges réguliers avec l’Association suisse de football, qui a accepté au terme de la qualification au mondial au Qatar de vérifier si les hôtels respectent bien les droits humains». Amnesty Suisse regrette cependant que l’association n’ait pas accepté de rencontres avec les joueurs.

Espagne : la fédération ne répond pas à Amnesty

En Espagne, les relations entre l’ONG et la Fédération royale espagnole de football semblent pires qu’en France. Un porte-parole de l’ONG indique ainsi que «la section espagnole d’Amnesty International a écrit à la fédération à six reprises […] au sujet du rôle que les différentes instances sportives doivent jouer en matière de respect des droits humains et de la manière dont le sport peut servir d’impulsion à ces droits dans certains pays, et plus particulièrement au sujet du rôle de la fédération espagnole dans l’organisation de la Coupe du monde 2022 au Qatar. […] Aucune des lettres n’a reçu de réponse et nous n’avons même pas reçu d’accusé de réception. Nous avons également réalisé quelques actes publics devant la fédération, sans être reçus, donc je ne qualifierais pas ces communications d’échanges, car de leur part, il n’y a pas eu de réponse à ce jour».

Portugal : Amnesty mène une campagne générale pour les droits humains depuis 2020

Contacté par CheckNews, Amnesty Portugal n’a pas répondu à notre demande dans le cadre de cet article. Sur son site et sur celui de la Fédération portugaise du football, on peut constater que les deux organisations ont lancé en 2020 une campagne nommée «Je joue pour les droits humains». Si cette démarche ne se limite pas qu’au Qatar, l’ONG rappelle dans son manifeste l’importance de la liberté de circulation et souligne que «malheureusement, nous avons l’exemple des travailleurs migrants chargés de la construction des nouveaux stades de football au Qatar qui se sont retrouvés avec leurs passeports retenus, sans pouvoir rendre visite à leur famille ou quitter le pays.». Si on ne trouve pas de photographies des joueurs ou de déclaration de sa star Cristiano Ronaldo avec les équipes d’Amnesty, on peut constater que la Fédération portugaise de football a assuré «défendre les droits de l’homme, les personnes LGBTQI + et la liberté des médias», à la suite d’une visite au Qatar d’un groupe de travail de l’UEFA, dont elle est membre.

Pologne, Croatie, Serbie : pas d’engagements sur les sites des fédérations de football

Malgré nos sollicitations, nous n’avons pas reçu de réponse d’Amnesty Pologne sur ce sujet. On ne trouve pas de campagne dans ce sens sur le site de l’ONG en Pologne ou sur ses réseaux sociaux, ni de communiqué dans ce sens sur le site de la fédération de football. CheckNews n’a pas identifié de contact d’Amnesty pour la Croatie, finaliste de la dernière coupe du monde, et pour la Serbie. Leurs fédérations de football, à notre connaissance, n’ont pas publié de communiqué évoquant la question du respect des droits humains au Qatar.

Norvège et Finlande : de bonnes relations avec l’ONG

Ces deux pays, qui n’ont pas passé les phases de qualification, font partie de ceux qui entretiennent de bonnes relations avec Amnesty et qui ont fait des efforts notamment en portant des tee-shirts en hommage aux droits humains.

Conclusion

Parmi les treize équipes européennes (Angleterre, Allemagne, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, France, Pays-Bas, pays de Galles, Portugal, Pologne, Serbie et Suisse) qualifiées pour la Coupe du monde de football au Qatar, seuls les joueurs allemands et belges ont effectivement été sensibilisés dans le cadre de rencontres avec Amnesty. Des telles rencontres sont prévues pour les Pays-Bas et le Danemark, alors que la fédération anglaise a fait le choix de sensibiliser les joueurs au sort des travailleurs étrangers du Qatar sans passer par l’ONG. S’il est donc inexact de dire que la France est un des seuls pays à ne pas avoir répondu favorablement aux demandes d’Amnesty, la fédération française fait indéniablement partie des plus inertes, à ce jour, sur la question.

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